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Critique de film
Le film
Affiche du film

Lunch Hour

L'histoire

Un homme et une femme entretiennent une relation illégitime pour laquelle ils se retrouvent dans une chambre d'hôtel à l'heure du déjeuner. Les flash-back révèleront l'origine de cette liaison mais également son impasse.

Analyse et critique

Lunch Hour est une œuvre méconnue qui sous un postulat faussement moraliste, constitue un manifeste féministe terriblement cinglant. Un homme (Robert Stephens) et une femme (Shirley Anne Field) se retrouvent à l'heure du déjeuner dans une modeste chambre d'hôtel. Leur attitude gênée et les échanges de banalités témoignent de l'inconvenance de la situation et de la nature illégitime de la liaison sans que cela ne soit dit. Le désir semble pourtant le plus fort et alors que l'inévitable rapprochement s'effectue, un raccord en mouvement nous ramène quelque mois plus tôt aux prémices de cette liaison. Elle (tous deux ne seront jamais nommé et simplement un homme et une femme dans le récit) est une jeune dessinatrice dans une entreprise de peinture tandis que lui est cadre de la compagnie. L'attirance est immédiate tant la gentillesse et l'attention de Robert Stephens sont aux antipodes du machisme ordinaire de ce cadre professionnel, entre les avances larvées sous couvert de prévenance envers les employé(e) d'un directeur et les remarques salaces des ouvriers voyant passer la silhouette élancée de Shirley Anne Field.

Le film nous plonge en pleine Angleterre rigide et moraliste d'avant la révolution sexuelle, la pilule et l'hédonisme de la jeunesse du Swinging London. Ainsi tout témoignage d'affection trop manifeste du couple se voit sanctionné par un regard extérieur sévère : une étreinte trop tendre dans un parc et c'est le gardien qui viendra les interrompre d'un œil furibond, un baiser dans le recoin désert d'un musée et le guide interrompt sa visite, se tenir affectueusement la main au restaurant signifiera d'être servi avec brusquerie lorsqu'on fera sa commande... L'environnement ambiant n'est que frustration, au travail où il ne faut pas faire naître les rumeurs, et le quotidien repose de toute façon sur cette culpabilité puisque Robert Stephens est marié. La mise en scène de James Hill fait de ce Londres blafard (somptueuse photo de Wolfgang Suschitzy) une prison à ciel ouvert où toute expression de sentiment se fait en secret de peur d'être jugé. Robert Stephens va donc avoir recours à la solution la plus discrète et scandaleuse en louant une chambre d'hôtel qui nous ramène donc au point de départ du film. Seulement rien ne va se dérouler comme prévu.

Lunch Hour est adapté de la pièce éponyme de John Mortimer (qui signe également le scénario), d'abord jouée sur les ondes de la BBC en 1960 puis sur les planches londoniennes l'année suivante. Si le rigorisme moral constitue la toile de fond de l'intrigue, il n'en est pourtant pas le sujet principal. Dès le départ, on aura senti une sorte de fossé entre Shirley Anne Field et Robert Stephens. Elle est caractérisée en grande partie par sa culture, sa nature paisible et son goût pour le dessin, tandis que lui n'existe que par le désir qu'il a d'elle. Les échanges ne tournent finalement qu'autour de cette frustration de l'assouvissement du désir et Robert Stephens se révèle trop limité lorsqu'ils cherchent à avoir d'autres sujets de discussion, notamment sur les dessins de Shirley Anne Field. Tous ces éléments constituent des signes avant-coureurs du fiasco dans la chambre d'hôtel. Une nouvelle fois, l'élément perturbateur viendra d'un personnage extérieur avec ici la logeuse envahissante jouée par Kay Walsh. Son intrusion révèle à Shirley Anne Field le mensonge de Robert Stephens pour louer la chambre, qui les fait passer pour un couple marié. Rien de perturbant face à cette ordre moral mais la sophistication du mensonge va, en fait, révéler la vision du monde de l'homme et révolter la jeune femme. Plutôt que le surligner par le dialogue, l'affabulation de Stephens s'exprime sous forme fantasmée avec Shirley Anne Field jouant le rôle de l'épouse et l'on découvre ainsi, réel ou purement inventé, un quotidien dans lequel la femme est assignée aux tâches ménagères, à l'éducation des enfants et où lui-même est absent et passif. En s'inventant une telle existence factice, il méprise finalement son épouse et les femmes en général, Shirley Anne Field se sentant rabaissée en assumant ce rôle dans le fantasme.

On aura ainsi des dialogues surréalistes par lesquels elle reproche à Robert Stephens ses manques en tant que mari, ce qu'il n'aura été que dans son mensonge et son illustration par James Hill. Cela suffit pourtant à souligner son indifférence et sa froideur, et Shirley Anne Field comprend qu'elle ne peut se lier à un tel homme. Un scénario à la structure déroutante qui fut rapproché des écrits de Penelope Mortimer, épouse de John Mortimer, et qui mit en place un dispositif similaire dans Le Mangeur de citrouille (adapté brillamment au cinéma par Jack Clayton) ou dans son scénario pour Bunny Lake a disparu (1965) d'Otto Preminger avec de nouveau une femme victime d'un homme froid et manipulateur. John Mortimer reprend ainsi à son compte le leitmotiv de son épouse afin (selon l'interprétation de la critique anglaise) de se faire pardonner ses nombreuses infidélités en prônant ces mêmes préceptes féministes. Le message se révèle ainsi assez novateur et cinglant, tout en maintenant la morale sauve avec une rare intensité (entre tonalité austère et vraie sophistication visuelle), notamment grâce à la prestation passionnée de Shirley Anne Field. Une très belle découverte qui réussit à brasser tous ces thèmes en à peine une heure, ce format ayant limité injustement la visibilité du film.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 1 janvier 2020