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Critique de film
Le film
Affiche du film

Light Sleeper

L'histoire

John LeTour, dealer de drogues de 40 ans, travaille pour Ann qui approvisionne en médicaments une clientèle exclusive du secteur bancaire et financier. Alors qu'Ann envisage de passer à l'industrie des cosmétiques, LeTour, souffrant d'insomnie, a perdu tout sens de la vie. C'est alors qu'il rencontre son ex-fiancée, Marianne, dont il s'éprend à nouveau.

Analyse et critique


Dans la filmographie de Paul SchraderLight Sleeper se place parfaitement aux côtés de Taxi Driver (dont il écrivit le scénario pour Martin Scorsese) et American Gigolo (1980) dans son portrait des marginaux oiseaux de nuit dont le métier les confronte à une forme de lie de l’humanité. Le psychotique Travis Bickle (Robert De Niro) dans Taxi Driver cherche à consumer par la violence l’horreur de son quotidien, Julian (Richard Gere) sur American Gigolo s’y complaît et finit par en être victime. Light Sleeper emprunte une troisième voie avec son héros dealer John LeTour (Willem Dafoe) dont l’existence se nourrit de regrets. Il y a celui de n’avoir jamais su faire autre chose alors que son employeuse de toujours, Ann (Susan Sarandon), s’apprête à se retirer du métier. Ce regret se renforce alors qu’il croise Marianne (Dana Delany), ancien amour et compagne d’addiction avec laquelle il souhaite renouer.


Ce qui était latent, mais qu’il traversait de manière détachée, le frappe alors d’autant plus douloureusement dans l’exercice de son « métier ». Schrader nous plonge dans les tournées nocturnes de LeTour approvisionnant les hautes sphères et assistant aux déchéances les plus pathétiques tout comme aux comportements les plus révoltants. Le réalisateur excelle une nouvelle fois à scruter la fange et la désespérance d’une faune et d'un microcosme, dont notre héros se fait le spectateur impuissant. Ancien junkie repenti, LeTour observe la déchéance et la corruption des plus faibles par des puissants toujours aptes à s’en sortir, tel l’homme d’affaires Tis Brüg (Victor Garber). Au gré de ces errances, LeTour couche sur son journal et en voix-off sa mélancolie et ses regrets, dans une spirale à la fois répétitive mais qui le rapproche aussi de la fin de la seule vie qu’il n’eut jamais connue. Willem Dafoe offre la magnifique prestation d’un personnage nostalgique d’un passé dont il semble le seul à nourrir un souvenir heureux (son couple avec Marianne), broyé par un présent qui ne lui convient plus et anxieux face à un avenir incertain. La contradiction de ces différentes aspirations nourrit le spleen du film, et l’hésitation existentielle se fait aussi amoureuse entre Marianne et Ann (formidable Susan Sarandon). Le métier de dealer entrave pour des raisons différentes ces deux relations, et LeTour ne sait laquelle poursuivre pour trouver un sens à sa vie.


Paul Schrader excelle à poser une atmosphère introspective et mélancolique, sans avoir à dresser la violence d’un Taxi Driver ou le clinquant d’American Gigolo. La douleur ici est plus sourde, moins palpable, rendant les rares scènes choc d’autant plus saisissantes. Surtout, malgré le rebondissement tragique concluant le film, les événements amènent notre héros vers une perspective qu’il n’aurait pu envisager sans cette épreuve. Les cadres nocturnes, claustrophobes et clinquants du début du film laissent ainsi progressivement place à la respiration et l’espoir de la lumière du jour. Les dialogues et les gestes rejouant un passé révolu s’estompent pour, lors la magnifique dernière scène, autoriser le rapprochement sincère et regarder devant soi - dans la situation la moins opportune, ce qui n’en rend que plus beau ce fol émoi.


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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 8 mai 2023