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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Trois mousquetaires

(The Three Musketeers)

L'histoire

D'Artagnan (Gene Kelly) quitte sa Gascogne natale et se rend à Paris pour s’engager dans le régiment des mousquetaires du roi Louis XIII. Son tempérament enthousiaste et bouillonnant lui vaut dès son arrivée de provoquer en duel trois mousquetaires : Athos (Van Hefling), Porthos (Gig Young) et Aramis (Robert Coote). Pendant qu'il croise le fer avec le premier des mousquetaires, l’arrivée des gardes du cardinal de Richelieu (Vincent Price) met un terme à leur combat. D’Artagnan décide de se ranger aux côtés de ses trois adversaires pour repousser les hommes du cardinal qui tentent de les assassiner. Ils parviennent à s’en débarrasser sans encombre et après cette victoire, ils s’unissent dans des aventures périlleuses pour déjouer les conspirations de Richelieu et de la démoniaque Milady (Lana Turner). En attendant, D’Artagnan s’installe en pension chez le vieux M. Bonacieux et succombe aux charmes de sa filleule Constance (June Allyson), l’une des servantes de la reine Anne contre laquelle conspire Richelieu...

Analyse et critique

Des mises en images du plus célèbre roman de Dumas père, il y en a eu une flopée, de toutes les nationalités, et ce dès l’époque du muet. Étonnement, les plus satisfaisantes seront venues d’outre-Atlantique avec le dytique de Richard Lester qui s’est gonflé d’un troisième opus une quinzaine d’années plus tard, adaptant cette fois la suite des Trois Mousquetaires, à savoir le magnifique Vingt ans après ; mais aussi et surtout avec le onzième long métrage de George Sidney, cinéaste génial encore aujourd’hui bien trop mésestimé, Tavernier et Coursodon louangeant à juste titre dans leur 50 ans de cinéma américain ces deux sommets inégalés du film d’aventures hollywoodien que sont effectivement Les Trois mousquetaires et Scaramouche, mais en ajoutant cependant dans la foulée : "des exceptions fulgurantes dans une filmographie assez terne." Il est assez déprimant de lire l’adjectif "terne" accolé à ce cinéaste au talent indéniable tellement son style en est à l’exact opposé, sa mise en scène se révélant au contraire souvent débridée, brillante, énergique et constamment inventive ; Sidney se permet très souvent des mouvements de caméra et de grue, des raccords ou des travellings aussi culottés qu’époustouflants de virtuosité.


Dans le domaine de la comédie musicale, il nous aura donné au moins un chef-d’œuvre mémorable avec Embrasse-moi chérie (Kiss Me, Kate) - encore plus jubilatoire, aussi curieux que cela puisse paraitre, que Chantons sous la pluie au sein duquel seront d’ailleurs repris quelques secondes de séquences des Trois mousquetaires - mais aussi le déluré et génialement "kitchissime" Bal des sirènes (Bathing Beauties), l’entraînant Escale à Hollywood (Anchors Aweigh), une délicieuse parodie de western romantique avec The Harvey Girls, le sur-vitaminé Annie, reine du cirque (Annie, Get your Gun), peut-être le plus beau mélodrame musical ayant jamais été tourné avec Show Boat, la délirante parodie de péplum en Cinémascope qu’était La Chérie de Jupiter (Jupiter’s Darling), le charmant et charmeur La Blonde ou la rousse (Pal Joey) ou encore l’un des meilleurs titres de la médiocre filmographie d’Elvis Presley, L’Amour en quatrième vitesse (Viva Las Vegas). Pour raccrocher au film qui nous concerne dans cette chronique, sachez que, moins connu et cité dans les différentes anthologies sur le cinéma que Stanley Donen et Vincente Minnelli, George Sidney fut pourtant - avec également le tout aussi mésestimé Charles Walters - l’un des plus grands représentants du genre à Hollywood, tous les quatre ayant un temps fait partie de la prestigieuse écurie Arthur Freed à la MGM et s’étant alors fait surnommer "les quatre mousquetaires" de la comédie musicale. Un enchaînement certes un peu tiré par les cheveux, mais qui nous ramène à ces hommes d’armes de Louis XIII avec justement l’un des plus grands acteurs danseurs de la comédie musicale pour tenir le rôle de D’Artagnan.


Et cette version reste toujours l’un des films d’aventures - toutes époques et  nationalités confondues - les plus rythmés, les plus vigoureux et les plus bondissants qui soit ; une adaptation qui ne manque pas d’humour sans tomber dans la parodie, acrobatique et mouvementée à souhait. George Sidney filme avec entrain et jubilation cette adaptation de Dumas comme s’il s’agissait d’un musical et chorégraphie les combats comme des ballets. Il est ici grandement aidé par le maître d’armes Jean Heremans, qui accomplit un travail époustouflant et qui règlera aussi plus tard les duels tout aussi prestigieux de Scaramouche. Le duel opposant D’Artagnan et Jussac dans les jardins du Luxembourg demeurera à tout jamais dans les annales du cinéma au même niveau que celui qui verra se confronter Stewart Granger et Mel Ferrer dans Scaramouche, tous deux battant même des records en termes de longueur de temps. Toujours concernant la mise en scène, on repère comme souvent chez le réalisateur des cadrages penchés, un montage rapide, des ellipses culottées, des déplacements de grue aériens et virtuoses, des mouvements de caméra élégants et d’une extrême précision, des angles de prises de vues iconoclastes, des arrivées de personnages ou de certains objets à flan d’objectif, sans oublier une facilité déconcertante à diriger de nombreux figurants. Et lorsqu’il s’agit de mettre en boîte des scènes romantiques, George Sidney n’hésite pas non plus à filmer de très près pour nous offrir des portraits en gros plans absolument magnifiques de ses actrices. Sidney nous en met donc plein la vue, et c’est bien principalement lui qui fait de ce film une perle du swashbuckler car Les Trois mousquetaires est bel et bien avant tout un exercice de style virtuose dans le domaine du pur divertissement et un véritable film de metteur en scène.


Le résultat est à la hauteur des espérances des admirateurs du grand romancier français : aussi éloigné dans le texte que proche dans le ton, l’auteur de tant de grands romans d’aventures n’aurait certainement pas renié ce film "bon vivant", coloré et trépidant. Autant dire que l’on ne s’ennuie pas une seule seconde tout au long des 120 minutes que dure le film. Le casting est aussi réussi qu’étonnant même si au départ, assez peu probant sur le papier : le fougueux Gene Kelly cabotine avec talent (suivant son état d’esprit du moment, on pourra néanmoins trouver sa prestation surjouée soit jouissive soit pénible) et se révèle très convaincant dans le rôle du quatrième mousquetaire, nous éblouissant par sa vivacité et ses dons d’acrobate car il ne fut quasiment jamais doublé, se rappelant alors son héros d’enfance, Douglas Fairbanks ; la charmante June Allyson interprète une délicieuse Constance ; Vincent Price est un Richelieu idéal... Mais la palme revient au couple Athos / Milady, respectivement Van Heflin et Lana Turner, cette dernière fascinante, troublante et vénéneuse à souhait. Après deux heures de rebondissements ininterrompus, ces deux acteurs vous feront certainement venir les larmes aux yeux lors de la fin tragique de Milady qui n’a rien à envier émotionnellement à celle du roman de Dumas. Alors certes, pour resserrer l’intrigue touffue du roman afin qu’elle tienne en seulement deux heures, le scénariste abuse de raccourcis narratifs et multiplie les ellipses, rendant parfois le récit un peu décousu voire pas spécialement clair ; certes, Porthos et Aramis sont totalement sacrifiés et le ton humoristique très présent fait perdre un peu au film une tension dramatique qu’il aurait mérité d’avoir... Mais ce ne sont que des détails pas vraiment rédhibitoires pour pouvoir pleinement apprécier cette montagne russe de cape et épée.


L’équipe technique de la MGM n’est pas en reste et met tous les atouts de son côté pour que son luxueux objet scintille de mille feux : photographie, costumes, décors, musique (Herbert Stothart puisant dans l’œuvre symphonique de Tchaïkovski ou se croyant dans un western, pour certaines chevauchées le compositeur invente des thèmes proches de ceux de la cavalerie), tout est à l’avenant et finit de faire de ce film une petite pépite totalement jouissive pour les yeux et les oreilles. Mais George Sidney ne s’arrêtera pas en si bon chemin et fera encore mieux, quatre ans plus tard, avec son magnifique Scaramouche. En attendant, courez, sautez, ferraillez en compagnie de cette joyeuse troupe avec, pour conclure, l’avis que l’on peut trouver au sein de la "bible" de Tavernier et Coursodon sur ce film plein de panache : "Un des sommets du cinéma de pur divertissement : il continue à procurer une euphorie de tous les instants et ses vertus majeures sont bien celles de la mise en scène. Sidney y déploie un sens du mouvement et de l’espace qui dépoussièrent le vénérable véhicule tout en lui rendant le plus beau des hommages. Ses mouvements d’appareil ont une fluidité, une élégance quasi musicale (la longue chevauchée de Gene Kelly - D’Artagnan à travers la campagne française, puis au bord de la mer, avec le duel sur la plage qui la couronne, est une séquence anthologique d’une étonnante beauté visuelle). L’invention de cette mise en scène éclate à chaque instant : idées de cadrage, utilisation raffinée des miroirs, ellipses surprenantes..." Un film d'aventures chorégraphié comme une comédie musicale, un cocktail détonant d’aventures, d’humour et de romance, un parfait exemple de la quintessence du film d'aventure hollywoodien qui sera d’ailleurs l’un des plus grands succès de la décennie pour la MGM.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 5 avril 2023