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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Travailleurs du chapeau

(It's a Great Feeling)

L'histoire

Jack Carson ne trouve aucun metteur en scène pour le diriger dans son nouveau film, "Mademoiselle Fifi" ; pas de problème, il s'en chargera lui-même. Sauf que Dennis Morgan qui devait être son partenaire n'est pas de cet avis ; il veut bien supporter son cabotinage devant la caméra mais si c'est en plus pour se faire diriger par lui, c'en est trop d'un seul coup ! Carson, qui vient d'auditionner de force Judy Adams (Doris Day), une serveuse de restaurant insistante, donne l'occasion à cette dernière de prouver ses dons de tragédienne en lui faisant jouer la comédie auprès de Morgan afin qu'il change d'avis. Cela fonctionne parfaitement : non seulement il récupère le rôle masculin principal, mais il vient aussi de dénicher sa Mademoiselle Fifi en la personne de Judy. Carson et Morgan vont désormais utiliser tous les stratagèmes pour persuader leur producteur que Judy a tous les atouts pour devenir une grande vedette...

Analyse et critique

Jack Carson, Dennis Morgan, Gary Cooper, Edward G. Robinson, Errol Flynn, Joan Crawford, Sidney Greenstreet, Patricia Neal, Eleanor Parker, Ronald Reagan, Jane Wyman, Danny Kaye, l'orchestrateur Ray Hensdorf mais aussi les cinéastes Raoul Walsh, King Vidor, Michael Curtiz et David Butler en personne ! Rien que ça ! Tout ce gratin pour entourer la nouvelle star que la Warner souhaitait désormais placer en orbite et montrer sous son meilleur jour. Et chacun le temps de quelques secondes d'interpréter son propre rôle avec énormément de dérision. Rien que pour ce défilé de stars et pour les gags qui en découlent (entre autres, les apparitions de Edward G. Robinson et Joan Crawford sont assez croustillantes), le troisième film avec Doris Day mérite d'être vu. Même s'il s'agit avant tout d'un tremplin pour la nouvelle étoile montante du studio, le film de David Butler n'a d'ailleurs pas franchement à rougir face aux deux précédents films de l'actrice signés Michael Curtiz, Romance à Rio et Il y a de l'amour dans l'air.

It's a Great Feeling déroule une intrigue assez amusante, simple prétexte à nous montrer les talents comiques et musicaux de la miss. Et si le deuxième point était acquis depuis un bon moment, son tempérament comique n'était désormais plus à démontrer : il n'y a qu'à l'admirer dans cette comédie, au cours notamment de la séquence hilarante où elle doit se faire passer pour une célébrité française, Yvonne Amour, avec un accent à couper au couteau. Alors qu'au cours d'une soirée donnée en son honneur, des officiels français la congratulent pendant quelques minutes dans leur langue d'origine censée être aussi la sienne, Doris Day leur rétorque avec un accent à couper au couteau : « Parlavou Frances ? » Absolument désopilante ! Le gag récurrent de son clignement de paupière et celui de son débit mitraillette en accéléré sont également très drôles, ainsi que la vision des rushes du film de Jack Carson par le producteur, bien pires que celles tournées pour le film dans le film de Singin' in the Rain !

Tout ceci n'est pas toujours d'une grande finesse ni d'une grande légèreté, mais le film parvient à tenir la distance sur 85 minutes. Comment ne pas avoir de la sympathie pour ce film tellement on a rarement vu Hollywood se moquer de lui-même avec autant d'entrain et de dérision ? Jack Carson notamment qui interprète son propre rôle, quand même pas moins qu'un cabotin médiocre, hautain, minable et pas même capable d'imiter correctement Maurice Chevalier dont il massacre l'accent et une chanson avec beaucoup d'humour.

Jack Morgan : « Should gave me a chance to be directed by Carson. »
Dennis Morgan : « Direct ! You couldn't even teach Lassie to act like a dog ! »

Dans les premières séquences du film, on voit donc un producteur des studios Warner demander successivement à Raoul Walsh, Michael Curtiz et King Vidor de tourner son dernier film. Les trois refusant, on fait la même demande à David Butler qui, apprenant que la vedette sera ce bouffon de Jack Carson, refuse à son tour. Une bien amusante mise en abime que le début de cette comédie musicale puisqu'il en est justement le réalisateur. La seconde moitié du film sera un tout petit peu moins réjouissante, mais l'ensemble se suivra avec grand plaisir à condition de ne pas en attendre monts et merveilles.

L'apparition de guest stars dans leurs propres rôles et la visite en Technicolor des studios de la Warner sont en fait les meilleures idées du film. Le scénario tient plus d'une suite de saynètes et de sketchs plus ou moins drôles (la majorité d'ailleurs plutôt plus que moins) que d'une intrigue bien écrite. Alors que les deux premiers films de la miss réalisés par Michael Curtiz étaient d'assez belles réussites dans le domaine du divertissement, cette "parodie" tournée par David Butler s'avère certes parfois pataude mais dans l'ensemble quand même très amusante, voire même sacrément jubilatoire à de nombreuses reprises. On ne s'y ennuie pas d'autant plus que les belles chansons de Jules Styne & Sammy Cahn rythment le film (les meilleures étant l'excellente chanson-titre, At the Cafe Rendezvous, There's Nothing Rougher than Love, Blame My Absent-Minded Heart et surtout That Was a Big Fat Lie avec l'imitation de Maurice Chevalier) et que Doris Day possède toujours autant d'entrain et de talent vocal. Dennis Morgan s'affirme également comme un bon ténor hollywoodien. On peut donc passer un fort agréable moment devant cette satire de l'univers hollywoodien. Mais que ce soit David Butler, Doris Day ou Jack Carson, tous ont fait et feront encore mieux par la suite. Néanmoins fortement sympathique !

Avec It's a Great Feeling seulement trois films sont au compteur pour Doris Day, mais l'actrice commençait sacrément à se plaire dans le monde des studios ; les horaires et le planning de travail lui convenaient bien mieux que lors de sa précédente carrière de chanteuse de Big Band : "I enjoyed playing and singing for the cameras and I guess that enjoyment came through on the screen, somehow communicated itself to the audience and me them feel good too. When the camera turned, instead of suffering the agonies that always preceded radio and stage appearances, I easily and rather happily responded to whatever was demanded of me ; I had no inhibitions, no doubts, no hang-ups." Changement total de registre pour son film suivant au cours duquel elle retrouvera son découvreur, Michael Curtiz, et aura pour partenaires non moins que Lauren Bacall et Kirk Douglas.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 19 mai 2016