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Critique de film
Le film

Les Proies du vampire

(El vampiro)

L'histoire

En 1957 au Mexique, la hautaine et belle maîtresse d’une hacienda de la Sierra Negra, région autrefois riche et luxuriante mais aujourd’hui ruinée et désolée, est soudainement la proie d’un vampire. Sa nièce Marta arrive à la gare, voyage en calèche puis à pied avec l’aide d’un galant homme, Enrique, pour y arriver et s’entendre dire par sa tante Eloisa - que nous reconnaissons comme la victime initiale du vampire - que son autre tante Maria Teresa est morte de peur et a été enterrée la veille. Désolée, Marta n’écoute qu’à peine Eloisa lui expliquer la nécessité de vendre à leur voisin, un gentilhomme nommé Duval, la demeure familiale. S’étant fait annoncer, celui-ci est reçu par le reste de la famille : il explique que ses propres ancêtres ont des attaches dans cette région. Ce qu’il ne dit pas, mais que nous constatons, c’est qu’il est le sosie du vampire…

Analyse et critique

Deux films de Mendez - en tout et pour tout - parvinrent historiquement à franchir la frontière française : Ladron de cadaveres [Le monstre sans visage] (Mex. 1955) et El vampiro [Les proies du vampire] (Mex. 1957). Deux œuvres qui suffisent à conserver précieusement son nom dans toutes les histoires du cinéma fantastique écrites dans notre langue depuis les années 1970. Mais en fait Mendez avait œuvré dans la plupart des genres populaires du cinéma mexicain. Et on relève dans sa filmographie, dès 1943, un Los cadaveres del Terror que l’on aimerait bien découvrir un jour, de même que El ataud del vampiro (Mex. 1959), la suite du film de 1957 avec trois de ses acteurs principaux, et quelques autres dont Mysterios de Ultratumba (Mex. 1959) et El grito de la muerte (Mex. 1963).

Revu en 2003 que reste-t-il de ce grand classique ? Eh bien disons-le d’emblée : il demeure aussi puissant, impressionnant et finalement secret qu’à sa première vision. Est-ce à cause de la beauté intangible de l’actrice - d’origine cubaine - Carmen Montejo : une des plus belles femmes vampires jamais vues sur un écran ? Est-ce en raison d’un scénario machiavélique qui met en jeu les ressorts de l’inceste et de l’homosexualité avec une virulence et une âpreté toutes freudiennes ? Ou bien tout simplement du fait de la beauté plastique constante de la mise en scène dont la rigueur évoque Fritz Lang et Tod Browning autant qu’elle annonce Terence Fisher et parfois Jean Rollin ?

Un exemple de cette rigueur : la première apparition d’Eloisa, une fois devenue vampire, aux yeux de sa famille. Elle se trouve en haut d’un escalier qu’elle descend naturellement pour recevoir sa nièce et l’homme qui l’accompagne. Comment ne pas songer à la première apparition, dont Fisher était si fier, de Christopher Lee, un an plus tard, dans Dracula [Horror of Dracula / Le cauchemar de Dracula] (GB 1958) ? La réflexion sur la dialectique apparence/réalité se traduit par un plan semblable et tout aussi efficace dramatiquement. Impossible aussi de ne pas constater que Lavud, quelques minutes plus tard, monte un escalier qui le mène vers la surface, avec la même attitude hautaine. Marta est ainsi prise en tenaille entre ses deux bourreaux et plus aucune partie de l’espace ne lui est hospitalière : ni la surface ni le sous-sol de l’hacienda. Autre idée géniale : celle de l’autre tante décédée, Maria Teresa (qui n’est en réalité pas morte mais fait semblant de l’être afin de mieux se protéger contre sa sœur vampire et celui qui la domine) qui apparaît pour la première fois tel un fantôme pour, non pas agresser comme on le croit d’abord, mais protéger Marta pendant son sommeil. Admirable instauration d’une ambivalence génératrice d’une angoisse totale. On ne peut s’empêcher de penser à ce que fera Corman dans la série Edgar Poe dès House of Usher [La chute de la maison Usher] (USA 1960) et aussi dans The Pit and the Pendulum [La chambre des tortures] (USA 1961). Enfin le comte Lavud / Duval joue des apparences contre tous, y compris sa proie : son objet est principalement de ressusciter son frère, mort 100 ans plutôt et de restaurer le pouvoir féodal qu’ils avaient sur la région, se nourrissant littéralement de ses terres autant que de ses hommes. C’est bien le seul désir qu’il manifeste par le dialogue : il est bien un animal tyrannique et pas du tout un amant, en dépit de son apparence de Dom Juan. Il vampirise d’ailleurs indifféremment une femme ou même… un enfant de "peon", en une séquence hallucinante de froideur et de cruauté qui confine à l’onirisme cauchemardesque le plus étonnant. Nul érotisme sous-jacent en dépit de sa prestance plastique. De même que les deux sœurs sont restées célibataires car trop attachées à leur terre, de même Lavud revient sur la sienne : le vampire mexicain est conforme au mythe européen en tout point mais aussi, sans doute, à l’histoire économique de la petite propriété dans le Mexique rural de l’époque. Et c’est sans doute aussi cet aspect terrien qui acclimata si bien une mythologie pourtant hétérogène au Mexique.

Notons que l’intrigue du scénario de La maschera del demonia [Le masque du démon] (Ital. 1960) de Mario Bava, tout comme celle du Mendez, reposera aussi sur un jeu des apparences entre deux "sœurs", l’une morte et l’autre vivante, sans qu’aucun érotisme vulgaire ne diminue le sujet même du film : prendre la place de la sœur au côté du père – qui meurt de cette tentative après l’avoir désavoué. Face à ce réseau de relations pathologiques, la normalité repose sur le couple Marta et Enrique mais surtout sur la rupture de l’une de ces relations : c’est parce qu’une des sœurs se retourne contre l’autre que le rapport de force est rompu en faveur du bien. Le personnage de Maria Teresa est tout à fait étonnant : même Bunuel n’a pas eu cette force plastique qui envahit chacune des séquences où elle apparaît, telle un Christ féminisé, souffrante et compatissante mais inquiétante : les plans évoquent autant la Universal que la peinture baroque et religieuse espagnole la plus classique. Mendez adopte un parti pris équivalent à celui de Browning dans son Dracula (USA 1931) comme on l’a souvent dit : il présente son vampire dès le début comme un vampire, sans aucune ambiguïté. Ce qui l’intéresse, c’est de découvrir sous chaque palier dramatique, un nouveau palier sous-jacent : le film est une décompression constante qui nous fait passer de l’un à l’autre. Les mouvements doux et enveloppant de la caméra de Rosalio Solano, rompus par quelques plans à l’expressionnisme outré, quelques trucages à la naïveté abrupte mais magnifique car aussi purs qu’à l’époque du muet, composent une "symphonie de l’horreur" qu’un Murnau n’aurait pas désavouée et qui envoûte autant qu’elle angoisse. Elle permet de laisser surgir une violence ouvertement baroque en de brefs plans frappés de démence par leur violence sauvage : on pourrait parler de la veine authentiquement "primitive" de Mendez.

Le film, outre ses qualités intrinsèques qui placent Mendez au rang de cinéaste majeur, est historiquement important comme étape unique, carrefour incontournable – tel celui de cette forêt de studio admirablement éclairée auquel finissent par arriver le couple de voyageurs (couple voulu contemporains des spectateurs de l’époque) – entre l’acquis des années 1920, 1931-39, 1940-1945 et la modernité naissante de la Hammer Films d’une part et de l’American International Pictures et du fantastique italien de l’autre, voire même de notre Jean Rollin national qui non seulement le tenait en haute estime mais encore s’est peut-être inspiré de la séquence du livre qui tombe tout seul pour l’amplifier dans Le Frisson des vampires (Fr. 1970). Pour toutes ces raisons, et aussi pour l’interprétation surprenante de Robles, pour le plaisir brut surtout que procure chacune de ses visions, il faut apprécier cette résurrection du film à sa juste valeur, à savoir la restauration d’une œuvre-clé du cinéma fantastique.

Version revue, corrigée et augmentée le 25 février 2004 d’un test paru initialement sur www.dvdrama.com en novembre 2003

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Francis Moury - le 15 février 2004