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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Grands fusils

(Tony Arzenta - Big Guns)

L'histoire

Tony Arzenta est un tueur à gages pour la mafia sicilienne. Lorsqu’il souhaite prendre sa retraite, l’organisation cherche sans surprise à l’éliminer. La voiture piégée qui lui était destinée va tuer sa femme et son fils. L’organisation a alors déclenché la colère d’Arzenta, une machine à tuer est lancée sur le chemin de la vengeance.

Analyse et critique

Au début des années 70, Alain Delon est au sommet de sa carrière. Il est l’une des stars françaises qui peut bâtir un film sur son seul nom, à l’image au même moment de Jean-Paul Belmondo et de Louis De Funès. Populaire en France comme à l’international, et notamment en Italie grâce, entre autres, aux chefs d’œuvres qu’il y a tourné au début des années 60, il va s’associer avec Luciano Martino, le frère du réalisateur Sergio et producteur à succès dans tous les genres du cinéma italien, notamment le polar. Dans la vague du succès du Parrain, tremblement de terre cinématographique de l’année 72, le résultat de cette association sera Big Guns, un film de mafia, s’inspirant par certains détails du film de Coppola, mais avec une forme plus européenne et un propos qui se raccroche plus nettement au cinéma criminel de son époque. Le scénario est d’ailleurs commun, pour ne pas dire banal, racontant l’histoire habituelle d’un homme de main de la mafia, un professionnel efficace, qui souhaite quitter l’organisation. Sans surprise, cette dernière ne souhaite pas voir s’évanouir dans la nature un homme qui en sait tant, et la confrontation entre le tueur solitaire et l’organisation tentaculaire en devient inévitable.


Ce tueur, c’est Tony Arzenta. Il est évident d’associer immédiatement le personnage, par le biais de son interprète, à Jeff Costello, la figure absolue du tueur à gage au cinéma, ciselée par Jean-Pierre Melville six ans plus tôt. Big Guns et son personnage sont pourtant très éloigné du Samouraï. Arzenta n’est pas le personnage stylisé, vivant par des rites, créé par Melville. Il pourrait être le cadre banal d’une grande entreprise du début des années 70, vivant dans un appartement moderne et impersonnel et arborant le costume standard de l’employé de bureau. Il exécute ses contrats avec une grande efficacité et un grand professionnalisme, mais sans effet particulier, pour un patron installé dans un espace tertiaire lui aussi des plus standards. Quand au film en lui-même, là où Melville livrait un film très froid, très contrôlé, Tessari propose une œuvre plus explosive, plus libre également, notamment dans le jeu de Delon. Seul point commun, le mutisme des deux personnages, Melville comme Tessari ayant compris que le regard d’Alain Delon pouvait valoir bien des mots.


Big Guns est probablement l’un des films qui explicite le mieux la thématique du cinéma criminel des années 70, dans lequel l’organisation criminelle est utilisée comme reflet du capitalisme qui se mondialise, qui efface les valeurs et broie ses employés, qui ne peuvent pas en sortir, même quand ils sont des collaborateurs brillants. Tessari filme une mafia qui ressemble fort à une grande entreprise, et dont nous ne voyons d’ailleurs pas les activités criminelles, hormis dans son conflit avec Arzenta. Leurs bureaux se trouvent dans des immeubles cossus et les décisions se prennent lors de conseils d’administrations tenus dans de prestigieux hôtels. La hiérarchie est nébuleuse, et si Arzenta s’adresse à Nick Gusto comme à son responsable hiérarchique directe, ce dernier appartient à une nébuleuse de directeurs, français, danois, qui représentent la mondialisation de l’économie. Face à une organisation aussi vaste, et finalement aussi impalpable, l’individu n’a aucune chance, même pour un homme efficace comme Arzenta. Dans ce cadre, Big Guns offre un récit plutôt banal, mais dopé par de très gros moyens pour ce qui devrait ressembler à un film de série B. Nous sommes face à une grosse production de genre européenne, qui se concrétise par la visite de plusieurs lieux : Milan, Copenhague, un crochet par Paris et une conclusion en Sicile. En plus de ce voyage, dépaysant, le film se distingue par des scènes d’action efficaces et soignées, et par un casting impressionnant qui fait écho à plusieurs univers, comme celui du polar français avec Delon et Hanin, et évidemment celui du parrain avec la présence de l’indispensable Richard Conte et du génial Corrado Gaipa.


Mais ce qui transcende le matériau, c’est bien sur Alain Delon. D’abord l’acteur, puissant, au sommet de son art, capable de tout faire passer, en un regard, comme lors de cette scène remarquable où il voit sa femme et son fils tué par l’explosion de sa voiture piégée. Les scénaristes lui ont construit un personnage sur mesure, un homme pressé avant l’heure qui court après sa vengeance telle une machine inarrêtable. On prend un immense plaisir devant la performance de l’acteur, absolument convainquant. L’autre facette de Delon, c’est le producteur, qui a choisi de s’associer à Luciano Martino, un spécialiste du cinéma de genre, qui a choisi de faire appel à Mario Morra, excellent monteur qu’il avait côtoyé pour Le Professeur et à Silvano Ippoliti, chef opérateur incontournable de l’âge d’or du cinéma italien (Le Grand silence, entre autres) qui donne une véritable atmosphère à Big Guns, en jouant sur une atmosphère grise et brumeuse. Delon produit une série B qui prend une dimension supérieure grâce à la valeur de ses techniciens, et à la stature d’acteur qu’il apporte à l’écran. Exploité dans une version légèrement raccourcie en France, Big Guns n’attirera pas les éloges de la critique française. A une époque où le cinéma de genre italien n’existe pas pour la critique, Delon seul ne parvient pas à fédérer, alors que ses retrouvailles avec Lancaster (Scorpio) et Gabin (Deux hommes dans la ville) sont attendues. Le film est probablement aussi difficile à identifier, pas vraiment un poliziottesco, éloigné dans son traitement du Samouraï et peut être trop rapidement classé comme un sous-Parrain. Big Guns est pourtant un film d’action efficace, qui bénéficie de tout le savoir-faire de Duccio Tessari et qui convaincra tous les amateurs de Delon à son sommet.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 14 septembre 2023