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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Démons de l'esprit

(Demons of the Mind)

L'histoire

Le baron Zorn, persuadé à tort ou à raison que son fils et sa fille ne se remettront jamais du suicide de leur mère - celle-ci s’est tranché la gorge sous leurs yeux alors qu’ils étaient encore tout petits -, entend les empêcher de commettre eux-mêmes un acte du même genre en les séquestrant dans son château et en les droguant. Ce remède qui consiste à les couper du monde extérieur ne fait en réalité qu’ajouter à leur trouble. Quant au médecin hypnotiseur convoqué sur les lieux, est-il autre chose qu’un charlatan ?


Analyse et critique

L’abondance des bonus proposés sur le Blu-ray de Demons of the Mind n’est pas gratuite. Ce film ayant un statut à part dans l’histoire de la Hammer, il convient, comme on dit en anglais, de le « mettre en perspective ».

La forêt, le château perdu dans la forêt, la diligence entraînée dans une course folle par des chevaux que le cocher ne maîtrise plus, les villageois menaçants brandissant tous une torche dans la nuit, le prêtre excité... C’est bien à un film de la Hammer que nous avons affaire. Mais, en 1972, toute cette quincaillerie traditionnelle ne suffit plus pour séduire le public. La correspondance de l’époque entre les pontes de la « maison de l’horreur » et les distributeurs révèle que, si le comte Dracula fait encore recette, le docteur Frankenstein n’attire plus guère les foules, et le succès même de Dracula est à double tranchant, car, le roman de Bram Stoker venant de tomber dans le domaine public, certains concurrents n’ont pas tardé à se dire qu’il y avait là un filon à exploiter. Le producteur Harry Allan Towers et le réalisateur Jess Franco ont même réussi à « débaucher » Christopher Lee en le convainquant que, cheveux gris et moustache aidant, il pourrait incarner dans El Conde Dracula (Les Nuits de Dracula) un vampire bien plus fidèle à la figure du roman original que le personnage un brin hystérique que ces messieurs de la Hammer lui font jouer depuis Le Cauchemar de Dracula. Depuis douze ans, donc.


Mais le mal est sans doute plus profond encore. En 1972, la Hammer ne sait peut-être pas encore que, l’année suivante, L’Exorciste de William Friedkin va prouver qu’un film relevant d’un genre n’attirant jusque-là qu’un public relativement limité peut désormais s’imposer comme un produit mainstream, mais le succès du Bal des vampires de Polanski en 1967 sonnait déjà comme un avertissement : quand une parodie séduit plus que l’original, c’est que l’original n’est plus très original.


La Hammer devait donc trouver le moyen de se renouveler. Elle eût pu se contenter de repeindre la façade. Elle préféra faire le contraire et opta pour ce qu’on appelle en architecture moderne le « façadisme » : on garde telle quelle la façade du bâtiment - en l’occurrence, la quincaillerie que nous signalions -, mais, derrière, on reconstruit l’essentiel du bâtiment. Cette rénovation connut plusieurs formes ; il y eut par exemple, la même année et l’année suivante, la transposition de Dracula dans le monde contemporain (Dracula A.D. 1972, devenu en raison du décalage horaire Dracula 73, et, en 1973, The Satanic Rites of Dracula / Dracula vit toujours à Londres) ; il y avait eu aussi, dès 1970, un rajeunissement du personnel : dans Les Horreurs de Frankenstein, le rôle du docteur n’avait pas été confié à Peter Cushing mais à son cadet Ralph Bates, et l’on nous révélait par la même occasion - ironique mise en abyme ? - que le jeune Victor Frankenstein avait fait très tôt des siennes puisqu’il n’avait pas craint d’assassiner son père quand celui-ci s’était opposé à ses projets.


Les innovations proposées dans Demons of the Mind étaient, elles, plus ambitieuses. Certaines d’entre elles étaient, si l’on peut dire, purement quantitatives. La Hammer n’avait pas attendu 1972 pour planter des pieux dans le cœur des vampires, mais, cette fois-ci, le sang coule vraiment beaucoup, et en gros plan. La Hammer n’avait pas attendu non plus 1972 pour peupler ses productions de jeunes filles en déshabillé vaporeux (la plus marquante étant sans doute Veronica Carlson dans Dracula et les femmes, en 1968), mais les jeunes filles apparaissent ici souvent sans déshabillé du tout (sans doute, là encore, pour ne pas se laisser distancer par des productions concurrentes, telles que The Blood on Satan’s Claw / La Nuit des maléfices réalisé par Piers Haggard et produit par la Tygon en 1971).


Mais la révolution fondamentale était qualitative - dans le choix d’un réalisateur, Peter Sykes, qui réalisait là son premier long métrage, et dans une « lacune » que souligne fort justement Nicolas Stanzick dans l’un des bonus : point de vampire, point de loup-garou, point de momie, point de monstre dans Demons of the Mind. Comme l’indique le titre, les démons en jeu dans cette histoire sont ceux de l’esprit, et, si loup-garou il y a, c’est celui qu’on évoque vaguement à la faveur d’une séance d’hypnose qui semble renvoyer à une vieille légende parfaitement imaginaire, le vrai mal résidant dans la hantise du maître du château, terrifié à l’idée que la folie de sa défunte femme pourrait se retrouver chez son fils et sa fille. Bien sûr, il ne fallait pas être grand clerc pour trouver depuis des décennies des complexes oedipiens ou autres chez Dracula, Frankenstein et leurs joyeux compères, mais la psychanalyse devient d’une certaine manière le personnage principal de Demons of the Mind, ou, si l’on préfère, la version moderne du fatum des tragédies antiques : car c’est en voulant éviter la catastrophe que le père, dans une large mesure, la provoque, ignorant que ses craintes sont moins des craintes que des projections télépathiques propres à égarer ses enfants.


On ne révélera pas ici la fin, et on la révélera d’autant moins que, contrairement à ce que prétendent certains commentateurs, qui la voient heureuse, elle est très ambiguë - c’est le spectateur qui jugera, en fonction de son humeur, si l’on peut encore espérer un retour à l’ordre. En revanche, on peut s’interroger sur la réussite globale du film : projet audacieux et donc louable, mais en définitive un peu bancal. Ne sachant pas trop sur quel pied danser face à une histoire qui se veut à la fois réaliste et fantastique, puisqu’elle mêle pulsions et pouvoirs télépathiques, plusieurs comédiens en font des tonnes. Dans le rôle du psy de service, Patrick Magee semble comme d’habitude tout juste sorti de son tonneau de vin ; Robert Hardy, qui joue le père, a souvent l’air de s’amuser comme un petit fou derrière ses énormes bacchantes, alors qu’on lui demande simplement d’être fou. Paradoxalement, celui qui tire le mieux son épingle du jeu est le chanteur Paul Jones, dans le rôle a priori très convenu du jeune premier.


Ce caractère mi-chèvre mi-chou de Demons of the Mind est peut-être tout bonnement celui de son temps. Le début de la fin de l’âge d’or de la Hammer s’inscrit dans un tournant historique plus large, celui de lendemains qui déchantaient. Il restait encore un parfum de swinging sixties dans le cinéma anglais du début des années soixante-dix, mais un parfum qui s’éventait.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Frédéric Albert Lévy - le 7 janvier 2021