Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Vent de la violence

(The Wilby Conspiracy)

L'histoire

Dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid, un prisonnier politique noir, Shack Twala, obtient sa libération de Robben Island grâce à son avocate afrikaner, Rina van Niekerk. Avec Jim, l’amant de cette dernière, ils sont arrêtés alors qu’ils vont fêter cette bonne nouvelle. Shack n’a pas encore les papiers qui prouvent sa libération. Une rixe s’ensuit avec la police, et les trois sont obligés de prendre la fuite.

Analyse et critique

Ralph Nelson fait partie de ces quelques réalisateurs dont l’essentiel de la filmographie est coincé entre le déclin du Hollywood classique et l’avènement du Nouvel Hollywood. Une situation qui, comme pour le reste de sa génération, le rend difficile à identifier clairement pour la critique. On pourrait au moins le classer dans la catégorie des cinéastes militants, notamment contre le racisme, mais aussi contre la guerre du Vietnam comme l’illustre ce qui est probablement son film le plus célèbre, Soldat Bleu. Une œuvre souvent célébrée, mais qu’il est permis de considérer, en tout cas pour l’auteur de ces lignes, comme un film pesant, entièrement dédié à une métaphore un peu balourde. Le Vent de la violence est également un film militant, l'un des rares qui, à son époque, attaque frontalement l’apartheid sud-africain. Mais il véhicule son propos avec bien plus de finesse cinématographique, derrière le vernis du genre et du suspense, en s’ancrant particulièrement dans le registre du thriller paranoïaque alors en vogue. Son propos n’en est que plus fort.

Comme pour d’autres cinéastes américains (Sidney Lumet avec The Offence par exemple), Le Vent de la violence est une incursion dans une production anglaise pour Ralph Nelson, qui tourne son film au Kenya et dans les fameux studios de Pinewood. Il s’agit de l’adaptation du second roman de Peter Driscoll, auteur spécialisé dans le thriller. Le récit du film est le prétexte à une plongée, extrêmement directe, dans la violence absolue de l’Afrique du Sud de l’époque. L’un des rares moment de répit est finalement l’ouverture du film, qui voit la libération de Shack Twala, militant de la cause noire soutenu par son avocate afrikaner. Une belle image qui ne dure pas, puisque lorsqu’ils sont interpelés en compagnie de l’amant de l’avocate, le ton bascule brutalement pour imprimer durablement l’ambiance du film. La brutalité de la scène est saisissante, dans les actes comme dans les mots. Dans la suite du récit, cette brutalité sera incarnée par une entité particulièrement menaçante, qui remplace la police régulière dans le récit, le Bureau of State Security (BOSS). Ce service secret actif de 1969 à 1980, et particulièrement impliqué dans l’application de l’apartheid, est ici décrit comme une entité mafieuse toute-puissante. Elle est personnifiée dans le récit par le Major Horn, personnage terrifiant, notamment par ses propos particulièrement crus. Ces dialogues jamais édulcorés sont la marque du ton très direct du film, comme la manière qu’a Ralph Nelson de respecter le personnage et la parole de Horn. Il est horrible mais il n’est pas ostracisé, ce qui permet de donner une réalité objective à ce qu’il représente, tout comme l’impeccable performance de Nigel Williamson dans le rôle, qui assume totalement la monstruosité du personnage tout en le jouant avec sincérité. Dans Le Vent de la violence, L’Afrique du Sud est une terre où la menace du BOSS est toujours présente, derrière chaque silhouette. Et sa violence est sans limite.


Très clair dans sa représentation du système ségrégationniste, Ralph Nelson ne sombre pourtant pas à la tentation d’un regard complaisant. On ne s’appesantit pas sur les quartiers, sur la violence sociale, on ne s’appesantit pas non plus sur l’interrogatoire dégradant de Rita, on devine tout cela, car Nelson aborde son sujet d’une manière suffisamment directe pour ne pas avoir à montrer les choses. Le propos du Vent de la violence est explicite, son combat est clair et efficace. D’autant plus que si le film à un propos fort, Nelson ne sombre jamais dans la lourdeur du film à thèse. Au contraire, nous avons affaire à un thriller rythmé et dense, qui utilise les ressorts du cinéma de genre. Des éléments de film d’espionnage, avec la mise en œuvre de certains gadgets, des moments de comédie presque burlesque comme lorsque Michael Caine et Sidney Poitier sortent la tête de leur voiture qui vient de se retourner, et un récit d’aventure, qui voyage et exploite ses paysages. Et surtout, Le Vent de la violence est marqué par une atmosphère de thriller paranoïaque, genre en vogue dans le cinéma hollywoodien des années 70, entre autres chez Alan Pakula, et auquel on ne peut s'empêcher de rattacher le film. La menace permanente et difficile à identifier, les locaux étranges du BOSS, les secrets et surtout le complot qui mène au dénouement final sont des éléments typiques de l’exercice, dont Nelson livre une interprétation particulièrement maitrisée.

Le résultat de ce travail, c’est avant tout un récit prenant, tendu et qui passionne, sans masquer sa tragique toile de fond. Nelson signe une forme d’héritier de La Chaîne, dopé aux mécaniques de buddy movie naissant et du thriller politique. Il fonctionne grâce à l’excellent duo formé par Sidney Poitier et Michael Caine, deux monstres sacrés qui apportent toute leur force, tous leur charisme à des personnages remarquablement écrits. Un grand divertissement, qui cache la description cinématographique la plus convaincante des heures noires de l’Afrique du Sud.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 3 mai 2023