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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Roman de Lillian Russell

(Lillian Russell)

L'histoire

La vie professionnelle et amoureuse de la chanteuse Lillian Russell (Alice Faye), fille d'une suffragette qui avait postulé au poste de maire de New York à la fin du 19ème siècle et qui, à l'encontre des vœux de sa mère qui aurait rêvé en faire une chanteuse d’opéra, va pousser les portes du music-hall et devenir adulée durant plusieurs décennies à la fois pour son talent et son immense beauté. Elle aura tous les hommes à ses pieds et son succès ne se démentira jamais...

Analyse et critique

Dans le milieu des années 30, après le succès phénoménal rencontré par The Great Ziegfeld réalisé par Robert Z. Leonard, déjà scénarisé par William Anthony McGuire, la MGM eut dans l’idée de produire un biopic dans le même style sur Lillian Russell avec Jeanette McDonald dans le rôle titre. Mais le projet tomba à l’eau et c’est Darryl F. Zanuck pour la Fox qui reprit le flambeau quelques temps plus tard. Au vu du sujet et des moyens mis en avant, on aurait pu s'attendre à un biopic flamboyant, mouvementé et dramatiquement puissant, d’autant que le budget alloué au film était conséquent - l’un des plus gros pour la 20th Century Fox en cette année 1940 - et qu’à cette époque le studio s’était fait une spécialité des comédies musicales colorées voire chamarrées tellement les couleurs nous éclataient à la figure, peut-être encore plus que celles aujourd’hui plus célèbres - et ce n'est que justice - de la major concurrente, la Metro Goldwyn Mayer. Pour en rester au seul Irving Cummings, il n’y a qu’à revoir That Night in Rio, Down Argentine Way ou The Dolly Sisters pour se rendre compte que si l’on peut penser que tous ces films tiennent encore le coup et peuvent toujours se savourer avec une certaine délectation, c’est principalement grâce à leur esthétique kitsch et bariolée dotée d’une brochette de couleurs véritablement étonnante, à 1 000 lieues d’une palette pastel à la Vincente Minnelli par exemple.


Et donc pour en revenir à ceux qui auraient été en attente d'une biographie rutilante, ils pourront repasser car il n'en est absolument rien ! Au contraire, il s’agit d’un film d’une part tourné en noir et blanc - ce qui s’avère un peu dommage au vu des costumes utilisés et des décors mis en place qui eussent pu briller bien plus intensément en Technicolor -, et de l’autre une œuvre à l'image de son actrice principale qui trouve certainement ici son plus beau rôle, Alice Faye. A son image, ce qui signifie doux, charmant, discret et un peu en retrait ; une comédienne qui me fait décidément penser à une autre au jeu un peu semblable, sorte d'idéal féminin pour les plus romantiques d'entre nous, diaphane, angélique et rêveur un peu en dehors de la réalité, la ravissante Gail Russell. On ne pouvait à mon avis faire choix plus judicieux qu'Alice Faye pour le rôle titre d'un film qui repose avant tout sur la gentillesse et la douceur d’une femme qui est aimée de tous. Alice Faye dira d’ailleurs que c’était la plus belle performance dramatique de sa carrière : "Playing Lillian Russell was a challenge, but I was helped immeasurably by the director Irving Cummings, who had been an actor and really made the picture for me... He had know the real Lillian Russell, a great of the gay ‘90’s, and was able to advise me on her sense of humour and the way she worked." Et effectivement, le réalisateur travailla au début du siècle aux côtés de cette star aujourd’hui méconnue, alors adolescent partageant avec elle l’affiche du film Wildfire en 1908. Contrairement à la majorité des films biographiques hollywoodiens, ici point de schéma traditionnel ascension/chute puisque Lillian Russell ne boira pas, ne se droguera pas, ne présentera aucuns défauts apparents et restera constamment au sommet de sa gloire. Deuxième grosse originalité de ce biopic pas comme les autres : aucun pathos puisqu’à chaque fois qu’une séquence dramatique pourrait faire surface, les auteurs utilisent l’ellipse et passent immédiatement à autre chose.


Attention non plus à ne pas rechercher ici une grande vérité historique au sein de cette version édulcorée de la vie de Lillian Russell, femme qui fut vedette de l’opérette à New York ainsi qu’en Europe à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle. Cette très grande star de l’époque eut au contraire une vie bien remplie et passablement tapageuse, ce qui se ressent difficilement à la vision de ce film. Connue pour sa beauté et son style ainsi que pour sa voix et sa présence scénique, elle était également considérée comme l'un des sex-symbols de son époque, aussi bien appréciée des médias que du public. Elle épouse un compositeur (Don Ameche dans le film) qui sera arrêté pour bigamie avant de faire à nouveau quatre autres mariages. C’est sa voix qui est choisie par Graham Bell en 1890 lorsque ce dernier lance son service de téléphonie longue distance : de New York, la chanteuse fait entendre une mélodie au public de Boston et Washington avec le président de l'époque qui fait partie des auditeurs. Durant quarante ans son compagnon est le millionnaire Jim Brady (Edward Arnold dans le film) qui la comble de cadeaux, assurant ainsi son style de vie extravagant. Sa carrière sur scène dure quarante années pleines à craquer ; elle joue même au cinéma aux côtés de Lionel Barrymore. Dans les dernières années de sa vie, elle suit le modèle de sa mère, plaide donc pour le suffrage des femmes et devient une célèbre conférencière avant de recruter pour le corps des Marines des USA et de recueillir des fonds pour l’effort de guerre durant la guerre 14-18. Elle est également la première femme à diriger un spectacle à bord d’un paquebot en 1922... Autant dire qu'il y avait de quoi remplir un film de plus de trois heures avec force paillettes et éclats.


Comme nous l’écrivions juste avant, Irving Cummings et son scénariste choisissent au contraire d'utiliser l'ellipse à chaque séquence qui aurait pu se révéler trop spectaculaire ou dramatique - le plus bel exemple étant celui de la mort du personnage joué par Don Ameche - et nous nous trouvons au final devant un film en demi-teinte, tout à fait charmant et foncièrement attachant pour qui aura accepté de se laisser bercer par ce ton pastel assez naïf et plein de bons sentiments mais jamais mièvre, au contraire d’une très grande délicatesse. Beaucoup y trouveront leur compte puisque l’on y parle de la place de la femme dans la société avec le couple des parents de Lillian, dont la mère féministe de la première heure, on y croise une grand-mère donnant un baiser sur la bouche au jeune Henry Fonda en guise de message à sa petite fille (superbe Helen Westley), une mère venant se coucher auprès de sa fille adulte pour lui avouer sa fierté devant son succès alors qu'elle était au départ réticente à ce qu'elle fasse carrière dans le music-hall, deux vieux amis milliardaires amoureux de la même femme sans que cela n'entame leur belle amitié (géniaux Edward Arnold et Warren William), un époux se 'tuant' à la tache au sens propre pour offrir à sa femme la plus belle des chansons (toujours élégant Don Ameche), un jeune journaliste timide et secrètement amouraché de l'actrice qui suivra ses pas pendant des années sans jamais (ou presque) se montrer ni se déclarer (Henry Fonda touchant en amoureux transi). Alice Faye domine ce formidable casting : elle n'en fait donc jamais trop, que ce soit dans son jeu ou son chant ; elle ne pousse jamais sa voix envoutante de crooner qui demeure constamment chaude et comme en retrait elle aussi ; on pourrait dire qu’elle est en gros l’équivalent de Frank Sinatra au féminin.


Les amateurs de musique risquent d'être un peu déçus car durant pourtant plus de deux heures de film nous n'y trouvons finalement que peu de numéros musicaux : notons quand même la sublime chanson Blue Lovebird qu'a composée Bronislau Kaper et qu'a écrite Gus Kahn ; la très charmante Adored One ; After the Ball qui sera reprise entre autres par Kathryn Grayson dans le sublime Show Boat de George Sidney ; ou enfin le fameux Bamboo Tree plus connu pour avoir été chanté par Judy Garland et Margaret O’Brien dans le non moins magnifique Le Chant du Missouri (Meet Me in St. Louis) de Vincente Minnelli. Outre les fans de chansons, les spectateurs attirés par les puissants mélodrames risquent aussi de ressentir une forte déception puisqu'il n'y a quasiment aucune progression dramatique dans cette œuvre composée de finalement très peu de séquences, la plupart très bavardes et sans aucune qui ne cherche à atteindre un quelconque climax. De plus, nous ne trouvons aucun personnage négatif, pas même les producteurs au contraire plus proches de mécènes compréhensifs et pleins d'humanité (superbe Leo Carillo) que de véreux et ambitieux financiers. Enfin, même pour ceux qui auront été charmés, notons un gros point noir de cinq minutes qui semblent en durer beaucoup plus : une séquence qui vient un peu gâcher la fête, celle incongrue des vrais comiques Weber & Fields, qui arrive de plus vers la fin du film et qui casse ce ton installé par le réalisateur, une sorte de sketch pénible, peu drôle et interminable ; pour sa défense, disons que l’humour de l’époque n’est peut-être plus vraiment le nôtre.


Une fois tous ces paramètres et éléments connus, soit vous vous ennuierez comme je l’ai souvent lu ici et là, soit comme moi vous vous laisserez porter par ce très beau portrait de femme ainsi que par tous ceux des hommes qui gravitent autour d'elle, le tout au milieu de décors et de costumes somptueux : Darryl F. Zanuck n’a pas lésiné en ce qui concerne la méticuleuse reconstitution historique, le choix des costumes et le nombre de figurants. Sûrement le plus beau film du réalisateur du pourtant déjà délicieux Hollywood Cavalcade sur les débuts du cinéma à travers des personnages évoquant lointainement Mack Sennett et Mabel Normand ; il n’y est certes probablement pas pour grand-chose car sa mise en scène ne possède pas de grand caractère ni spécialement d'ampleur, mais la direction d’acteurs est tellement bonne et le scénario tellement bien écrit que l’on pourra ressortir de ce film le sourire aux lèvres et surtout l’envie de connaitre un peu mieux la carrière de Alice Faye.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 12 juillet 2021