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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Piment de la vie

(The Thrill of It All)

L'histoire

Grâce à la lubie d’un membre de la famille d’une patiente de son mari, Beverly (Doris Day), la femme d’un brillant obstétricien, devient du jour au lendemain une star de la publicité pour les savons "Happy Soap". Pour cette simple femme au foyer, ce statut de vedette nouvellement acquis va bouleverser les rapports qu’entretient cette dernière avec son époux (James Garner) et ses deux jeunes enfants. En effet, si les bambins s’amusent de voir leur mère à la télévision, il n’en est pas de même du médecin qui voit tout ceci d’un assez mauvais œil surtout que, un peu macho sur les bords, il est d’une jalousie maladive et supporte assez mal ses absences à répétition et ses supposées frasques...

Analyse et critique

Lorsque l’on évoque le nom de Norman Jewison, on pense immédiatement au réalisateur progressiste dont les films les plus importants, quels qu'en soit le genre, abordent tous plus ou moins en filigrane ou frontalement de graves et sérieuses problématiques sociales ou (et) politiques. Ce sera le cas de Dans la chaleur de la nuit (In the Heat of the Night), F.I.S.T., Rollerball, Justice pour tous (...and Justice for All)... Parmi ses autres titres les plus connus, on trouvera évidemment Le Kid de Cincinnati ou encore L’Affaire Thomas Crown, tous deux avec Steve McQueen. Autrement dit, au vu de cette liste de ses oeuvres les plus célèbres, il nous semble ne pas avoir beaucoup d’occasions de rire ou se dérider avec ce cinéaste, qui n’a certes pas toujours fait preuve ni de subtilité ni de finesse mais dont les meilleurs films s'avèrent en revanche de franches réussites. Qui aurait alors pu croire qu’il avait commencé sa carrière au cinéma, au début des années 60, avec trois comédies totalement fantaisistes dont deux consécutives avec la comédienne la plus bankable du moment, à savoir Doris Day ? L’une des deux fut la dernière collaboration de l’actrice avec Rock Hudson, Ne m'envoyez pas de fleurs (Send Me No Flowers) ; juste avant, Jewison a tourné la comédie familiale qui nous concerne ici.


Depuis Confidences sur l’oreiller (Pillow Talk), pour lequel elle avait été nominée pour l’Oscar de la meilleure interprète féminine, Doris Day s’était fait, au début des années 60, la spécialiste de la comédie sexy à quiproquos, sorte de vaudevilles cinématographiques. Rock Hudson était alors son partenaire de prédilection mais entre Pillow Talk et le film qui nous intéresse ici, elle avait aussi formé un couple avec non moins que Clark Gable, Jack Lemmon, Richard Widmark, David Niven ou Cary Grant. Pour Le Piment de la vie, c’est au tour de James Garner de tomber dans ses bras. Et la première très bonne surprise vient justement de l’acteur qui venait d’acquérir une certaine célébrité grâce à son rôle du lieutenant Hendley, le chapardeur de La Grande évasion (The Great Escape) de John Sturges, et qui nous étonne ici par son charme fou et sa drôlerie constante. Il forme un couple épatant avec Doris Day, égale à elle-même, toujours aussi pétillante et dynamique, ici de plus très bien mise en valeur par les maquilleurs et les costumiers - ce qui ne fut pas toujours le cas durant les sixties -, aussi charmante que sensuelle, sachant à l’occasion se faire volcanique à sa manière unique et inénarrable, parfaitement bien entourée par des seconds rôles talentueux tels Reginald Owen, Zazu Pitts, Arlene Francis ou Edward Andrews.


Certains ne manqueront pas de relever le caractère sexiste et machiste du script puisque l’époux, s’il a écrit dans un de ses livres que les femmes impérativement devaient s’émanciper en dehors de leur foyer, change d’avis du tout au tout le jour où il s'avère que cette déclaration péremptoire va directement le concerner. Effectivement, il voit d’un mauvais œil le fait que sa charmante épouse se lance dans la publicité et ne puisse ainsi plus s’occuper des enfants ni de la maison ; il va alors tout faire pour la ramener derrière les fourneaux et dans la chambre à coucher. Mais qui pourrait croire une seule seconde que des artistes aussi progressistes que l’étaient Norman Jewison et James Garner aient pu vouloir faire passer ce genre de message, vu d’aujourd’hui un peu rétrograde ? On peut se poser la même question quant à Doris Day, qui n’en était pas à son premier rôle de femme forte et affranchie et qui durant les ¾ du temps l’incarne encore ici, même si in fine son personnage décide de revenir s’occuper de ses tâches ménagères. Et d'ailleurs, est-ce nécessairement arriéré que de préférer rester femme - ou homme - au foyer plutôt que de travailler ? Je suis intimement convaincu que non, chacun s’épanouissant à sa guise. Mais à mon humble avis aussi, les auteurs se moquent et s'amusent de ces situations et de ce machisme ambiant plutôt que prendre leur parti. Quoi qu’il en soit et même si cela avait été le cas, il n’y aurait pas de quoi crier au scandale car tout ceci reste bien gentillet et de plus constamment cocasse. Il se pourrait certes bien qu’à notre époque qui a du mal à faire la part des choses et à les replacer dans le contexte d’une époque donnée, quelques groupes féministes "intégristes" viennent à demander l’interdiction de diffuser un tel film. Mais ne leur donnons pas de mauvaises idées car ce serait d’une idiotie sans nom, même si nous ne sommes plus à une ânerie près dans le domaine du moralement ou du politiquement correct.


Outre le couple composé par Doris Day et James Garner, et qui fonctionne à merveille, les deux enfants ne sont pas en reste non plus (l'hilarante scène du téléphone au début par exemple, mais tant d'autres aussi). La petite fille est interprétée par Kym Karath qui sera la craquante petite Gretl dans La Mélodie du bonheur (The Sound of Music) de Robert Wise et que l’on avait déjà vue la même année dans le splendide La Montagne des neuf Spencer (Spencer’s Mountain) de Delmer Daves. Doris Day, qui eut son premier enfant à l’âge de 18 ans, connaît parfaitement bien le rôle de mère ; autant dire qu’elle se montre parfaitement convaincante dans la peau de son personnage à tel point qu’on croirait que ce sont ses enfants. Le Piment de la vie est un film très sympathique et qui, même s'il ne se hisse pas au niveau des deux premières comédies avec Rock Hudson, n’en demeure pas moins un divertissement plus qu’honnête, une comédie sans prétention mais réellement très amusante - surtout les séquences se déroulant en famille qui se révèlent être les plus réussies - y compris dans sa gentille satire du monde de la publicité. Il faut dire que Carl Reiner (Les Cadavres ne portent pas de costards) en est le scénariste et que ses cameos dans les différentes scènes de soap s’avèrent savoureuses, l’idée étant que les auteurs de ces fictions télévisuelles bas de gamme utilisent toujours le même canevas dramatique et les mêmes dialogues quel que soit le genre abordé (film de guerre, mélo ou western). La réaction des enfants, qui s’en rendent plus vite compte que les adultes, est absolument savoureuse et nous conforte dans l’idée que les auteurs du film se moquent des personnages adultes qu’ils ont inventés sans cautionner leurs comportements.


Dommage en revanche que Doris Day n'ait pas chanté la chanson du générique, que la mise en scène soit si pépère, que le scénario se mette à patiner à mi-parcours et enfin que le film se termine par la seule séquence laborieuse, celle de l'accouchement dans le taxi qui aurait dû être le clou du spectacle alors qu'au contraire elle l'alourdit. On pardonnera à Norman Jewison ce petit raté qui clôt cette amusante comédie rocambolesque pleine de gags, de dialogues à double sens et dotée d'un rythme très soutenu. La comédie des années 60, qui a longtemps été jugée avec mépris, recèle de très nombreuses et adorables réussites dont on ne se lasse pas ; The Thrill of It All en fait partie.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 2 janvier 2018