L'histoire
John Ridgefield est un riche magnat du pétrole qui, en tant que propriétaire d'une usine de construction aéronautique, conçoit également des avions. Tony Garthwaite, pilote d'essai, ancien pilote de chasse pendant la Seconde Guerre mondiale, est employé par Ridgefield après son mariage avec Susan, la fille de ce dernier. Les tensions entre le magnat et sa fille, présentes depuis la mort du frère de Susan lors d'un vol effectué sous l'impulsion de son père, sont accentuées lorsque Garthwaite effectue des essais de vol dangereux dans un nouveau prototype qui doit franchir le mur du son.
Analyse et critique
David Lean nous offre un ébouriffant et exaltant livre d'images avec cette fascinante évocation du courage des pionniers de l'aviation. Comme toujours, le réalisateur mêle avec brio spectaculaire et humain, les exploits aériens étant profondément liés au drame familial qui se déroulent au sol. Les protagonistes du film se divisent ainsi clairement entre les "croyants" et les "sceptiques". Les croyants sont personnifiés par un Ralph Richardson qui domine la distribution avec cette figure d'industriel et ancien pilote, passionné et exalté par le défi technique symbolisé ici par le mythique mur du son. Les sceptiques se trouvent paradoxalement être de son propre sang avec son fils Chris (Denholm Elliott), qui n'a pas l'étoffe et est effrayé par les airs, et sa fille jouée par Ann Todd. Cette dernière souffre en silence de voir son époux (Nigel Patrick) faire le pilote d'essai pour les vols expérimentaux à haut risque des appareils de son père.
Partagé entre ses deux visions, le film alterne des séquences de plus en plus angoissées au sol avec d'autres où l'ivresse des airs, le mélange de danger et d'excitation se ressentent comme rarement. La vérité criante de ces deux aspects n'est pas due au hasard, le scénario de Terence Rattigan s'inspirant d'une série d'articles sur la réelle perte que subit le concepteur Geoffrey de Havilland lorsque son fils périt en voulant franchir également le mur du son. Le drame est évoqué dans le film mais le script préfère réinterpréter les évènements avec des personnages de fiction, tout en tournant l'exploit à l'avantage des Anglais puisque le mur du son fut franchi en réalité par l'Américain Chuck Yeager au sein de la US Air Force - comme on le verra au cinéma dans L’Etoffe des héros (1983) de Philip Kaufman où Yeager est joué par Sam Shepard. Les séquences de vol sont techniquement époustouflantes, entre trucages (les passages dans le cockpit avec les vrais acteurs et une incrustation et/ou rétro-projection parfaite) et vrais moments dans les airs aux vues impressionnantes.
Lors du tournage, Lean eut accès au dernier cri technologique de l'époque prêté par la de Havilland Comet (responsable du premier avion de vol commercial justement) dont le biplace de Havilland Vampire est utilisé dans la scène où Nigel Patrick et Ann Todd font un aller-retour entre l'Angleterre et l'Egypte, toujours dans cette volonté de vanter les possibilités de l'aviation. Le culte des airs se paiera au prix fort, tant pour les pilotes prêts à tout risquer pour dépasser les limites que pour leurs familles. Ann Todd, comme toujours excellente, traduit bien cette détresse tandis que le casting masculin se révèle plutôt fade entre les peu charismatiques Nigel Patrick et John Justin. C'est donc tout naturellement lors d'une séquence entre Ralph Richardson et Ann Todd que l'on atteint le clou du film lorsque cette dernière est gagnée malgré elle par la fièvre de l'aviation. Venue voir son père pour un tout autre sujet, leur conversation se voit complètement détournée par l'excitation des informations radio de l'exploit sur le point d'être enfin accompli, le franchissement du mur du son.
David Lean réussit l'exploit d'être encore plus intense en escamotant les scènes de vol (si ce n'est quelques inserts) pour justement s'attarder sur l'écoute anxieuse et enfin commune du père et de la fille sur le défi en cours. Une belle manière d'exprimer cette fois le progrès par un angle plus humain que technique, et ainsi bien plus galvanisant et chaleureux. La belle et sobre dernière scène montre que les sceptiques sont désormais convertis, tout comme le spectateur.