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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Monstre de Londres

(Werewolf of London)

L'histoire

Le docteur Glendon effectue un périple très dangereux au Tibet, dans l’espoir de mettre la main sur une fleur très rare liée à la lycanthropie. Il se fait attaquer et mordre par une créature sauvage qui n’est autre qu’un loup-garou. De retour à Londres, Glendon reprend ses activités de botaniste et travaille sur cette plante qu’il a rapportée. Mais rapidement, il découvre l’horrible vérité : quand la pleine lune se montre, il devient un loup-garou enragé qui n’a de cesse de faire des victimes dans la ville. Sans compter que quelqu’un d’autre semble en savoir autant que lui...

Analyse et critique

Werewolf of London fait indéniablement partie de cette poignée de classiques oubliés qui refont surface un jour ou l’autre. En 1935, coincé entre tous les succès de l’épouvante qui prolifèrent sur les écrans, le film essuie un semi-échec immérité auprès du public et tombe dans l’indifférence générale. Il faudra attendre The Wolf Man avec Lon Chaney Jr., basé sur une toute autre structure et nanti de noms prestigieux, pour que le mythe du loup-garou renoue avec les sommets du box-office et rentre ainsi dans la légende. De fait, Werewolf of London pâtît de deux comparaisons. D’une part, il paraît autrement moins étincelant que ses concurrents contemporains, tels The Raven, Mad Love ou encore et surtout le sublime The Bride of Frankenstein. D’autre part, il paraît relativement inférieur au film mettant en scène Chaney Jr. six ans plus tard. Néanmoins, ce millésime de 1935 mérite-t-il cet oubli et ce mépris général ? Au contraire, nous en déplorons le caractère. Werewolf of London est un film parfois légèrement artificiel, un brin frustrant, mais souvent ingénieux et terriblement divertissant. Nous avons affaire à un film généreux, visuellement superbe, très différent de ce que le mythe sera par la suite dans les années 1940, intéressant dans son approche du sujet et absolument jamais méprisable.


A première vue, la Universal a produit un film qui joue sur un principe assez inhabituel la concernant, à savoir l’absence quasi totale de grands noms attachés au genre. Alors que le public raffole dès lors de Bela Lugosi, Boris Karloff, Lionel Atwill ou encore Peter Lorre, le film de Stuart Walker préfère tenter une autre aventure. L’absence de grands noms aurait certes pu provoquer la découverte d’acteurs intéressants (à l’instar de Claude Rains dans The Invisible Man de James Whale) et ainsi mettre à jour d’autres talents, mais le casting ne tiendra pas ces promesses-ci. Malgré un Henri Hull tout à fait convaincant dans le rôle du docteur Glendon (alias le loup-garou), le film peine à trouver des marques de sympathie, le reste de la distribution demeurant particulièrement inintéressant. Valerie Hobson demeure aux limites de l’acceptable, Lester Matthews (que l’on apercevra la même année en bellâtre un peu fade dans The Raven de Lew Landers) joue un amoureux transi de la manière la plus plate qui soit, et ce n’est pas Warner Oland (l’interprète des Charlie Chan de 1931 à 1937) qui relèvera le niveau tant son jeu reste terne et trop en retrait, un peu comme s’il n’avait pas saisi qu’il n'était ailleurs que dans un épisode de la série dont il s’était échappé le temps d’un film. Et l’on remercie le réalisateur de ne pas trop multiplier les scènes secondaires montrant de petites vieilles dames se chamailler ou dans des beuveries, tant l’artifice humoristique a depuis perdu de sa superbe. Passé ces quelques menus défauts, nous sommes face à un scénario original et très différent du film de 1941. En ces lieux, l’action se passe à Londres, la malédiction démarre au Tibet (pour l’exotisme), le docteur Glendon est à l’opposé de Larry Talbot (un homme pragmatique et dur par rapport à un homme massif mais tourmenté), la légende du loup-garou ne prend en compte ni pommeau de canne en argent, ni relation gitane... En revanche, nous gagnons en outre la menace d’une épidémie ravageuse, certes à peine esquissée par le scénario mais bel et bien présente. L’histoire d’amour s’étiole quant à elle peu à peu pour enfin devenir irrespirable, Henri Hull insufflant une parfaite dureté mêlée d’humanité et d’impuissance à son personnage, et courant après l’antidote distillé par la plante qu’il a rapportée du Tibet. En fait, rien ou presque ne semble rapprocher le scénario de ce film de celui de son successeur, à commencer par un personnage principal qui n’entretient que très peu de choses en commun avec la création interprétative de Chaney Jr. On doit donc admirer ce Werewolf of London comme un film unique, à l’échec immérité, et qui doit être redécouvert.



Car à côté de tout cela, nous retrouvons avec bonheur les artifices si poétiques des productions collatérales de l’époque. La photographie profite par exemple d’un contraste toujours saisissant. La mise en scène de Walker est dénuée de génie mais n’en reste pas moins solide et vigoureuse, proposant un cadre régulièrement subtil, et cela en dépit d’un montage pas toujours très heureux (certains raccords offrent des instants au rythme discutable, même si les scènes de climax fonctionnent efficacement). Reste des jeux d’ombres bienvenus, une ambiance horrifique exemplaire et des maquillages très réussis. A noter que Jack Pierce, dont le travail sera encore plus probant avec Chaney Jr., officie déjà sur cet opus lycanthropique. Le savant peu à peu frappé par le désespoir est finement amené dans un récit qui ne ménage pas le spectateur : on ne s’ennuie jamais, même pendant les innombrables scènes de dialogues qui parsèment le film. Cependant, ce long métrage, aussi exemplaire soit-il, ne se hisse pas au niveau de ses concurrents de l’époque. L’ensemble est excellent mais n’a pas le sadisme ni le côté macabre d’un The Raven magnifiquement « Poeien », n’a pas non plus l’incomparable poésie d’un The Bride of Frankenstein ni l’efficacité millimétrée d’un The Invisible Man, ni même la folie destructrice d’un Mad Love... Werewolf of London doit se contenter d’un bon traitement divertissant, truffé de bonnes idées (le héros cherchant à s’enfermer pour éviter de faire du mal à des innocents, l’espérance concernant la fleur du Tibet aux vertus curatives), amputé par l’absence de vraies têtes d’affiche mais dignement mené par un acteur principal très concerné par son rôle. La fin, réellement tragique, et le ton de l’intrigue, très noir (évitant de tomber dans des arcanes trop conventionnels), furent immanquablement les outils supplémentaires facilitant son échec public. Dommage pour ce modèle appréciable du genre.


Werewolf of London doit être réévalué comme il se doit. Oublié en raison de son flop inopportun à l’époque et de la présence du grand classique que constitue le film de George Waggner en 1941, cette œuvre reste une belle réussite et, oserais-je dire, un très bon film qui a totalement sa place au sein d’un genre qui ne manque pourtant pas d’œuvres bien supérieures.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Denis Bastien - le 30 mai 2016