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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Monde magique de Ladislas Starewitch

L'histoire

Le Rat des villes et le Rat des champs
Parti à la campagne, Rat des villes fait la rencontre de Rat des champs et l’invente à venir visiter Paris. Rat des Champs assiste à un spectacle de cabaret et festoie avant que la fête ne tourne court avec l’arrivée impromptue d’un chat.

Le Lion devenu vieux
Le roi Lion, devenu vieux, pleure sur ses aventures passées. A sa cour, ses sujets ne le respectent plus et rêvent de le jeter au bas du trône.

Fétiche mascotte
Fétiche, un chien en peluche, est ému par la fille malade de la pauvre fabricante de jouets qui lui a donné la vie par ses larmes versées. Alors, qu’en compagnie d’autres jouets, il est emmené dans un magasin pour être vendu, Fétiche et ses camarades parviennent à s’enfuir. Ils se retrouvent dans un étrange lieux où le diable organise une fête à tout casser.

Fleur de fougère
Jeannot, un petit garçon, apprend de son grand père fermier qu’une fougère magique est capable d’exaucer tous les vœux. Pour cela il faut s’enfoncer dans la forêt et la cueillir avant l’aube. Dès la nuit tombée, l’enfant part à la recherche de la plante magique.

Analyse et critique

Ce programme est une compilation de quatre films réalisés par Starewitch entre 1926 et 1949, quatre petits programmes où l’on retrouve la fantaisie, l’humour, l’espièglerie et la tendresse de leur auteur. Chaque film est riche en passages oniriques, en songes (Le lion devenu vieux), en bacchanales diaboliques (Fétiche mascotte). Fleur de fougères, le plus beau, est tout entier conçu comme un rêve, ou plutôt un cauchemar qui devient rêve puis, petit à petit, rejoint la réalité. Un raccourci de l’œuvre de Starewitch où les peurs enfantines se mêlent aux songes, où les rêves sont des prolongements naturels de la vie réelle, des échappatoires, des moyens de transfigurer les drames du quotidien. Quatre courts où l’on retrouve les différentes influences de Starewitch : La Fontaine, le Moyen âge, les contes (Les mille et une nuits dans Le Lion devenu vieux), voir même les légendes celtiques à travers les lutins, farfadets, Ents tout droit sortis de Tolkien, qui hantent la forêt de Fleur de fougère. Dans ce dernier, Starewitch invite à la tablée du roi Jeannot toutes les figures des contes et des fables : La grenouille et le bœuf, le Renart, la cigogne et le corbeau, le loup, mais également le Chat botté ou encore Cendrillon. Bien avant Shrek, Starewitch s’amuse de la rencontre de ces personnages d’horizons différents mais quivivent dans le même monde de l’imaginaire enfantin.

Ce côté iconoclaste, on le retrouve dans Le Rat des villes et le rat des champs, où il s’amuse à transposer dans le Paris des années folles la fable de La Fontaine. Revue de music-hall menée par une rate exotique, hommage à Josephine Baker, Jazz et champagne sont de la partie. Starewitch met souvent en scène des séquences de fête, ses personnages s’enivrent et jouent, courtisent. Les animaux de ses films ont un comportement on ne peut plus humain, ce qui donnera quelques soucis au cinéaste avec une censure pointilleuse. Cette magie qui prend sa source dans un quotidien parfois trivial, parfois naturaliste, est l’une des composantes essentielles du style Starewitch. Dans Fétiche mascotte, personnages réels côtoient marionnettes animées et le film s’ouvre sur une scène poignante nous montrant une mère pleurer de voir sa fille malade, alitée, à laquelle elle ne peut même offrir une orange. Starewitch se prend de ces élans de réalisme qui tranchent avec les mondes purement fantastiques souvent à l’honneur dans le cinéma d’animation. Toujours dans Fétiche mascotte, un des jouets est un souteneur qui extorque de l’argent à un singe qui fait du gringue à une poupée. Dans Le Lion devenu vieux, on assiste à une description de la fin de la monarchie avec soldats, bourgeois et ouvriers qui s’entendent pour mettre le roi à terre. Le petit garçon devenu roi dans Fleur de fougères, va quitter le royaume des rêves pour aider son grand père, pauvre paysan qui ne peut plus cultiver sa terre suite à la mort de son cheval. Le destrier princier va dorénavant devenir cheval de labour. Univers fantastique ne signifie pas pour Starewitch monde déconnecté de la réalité. Au contraire, il n’est que l’extension, l’émanation, d’un quotidien parfois dur. Il est inquiétant et immoral comme peut l’être l’imaginaire enfantin, d’où la profusion de diables et de créatures monstrueuses.

Le Rat des villes et le Rat des champs, premier film de la compilation, est l’occasion de pointer une faiblesse du style Starewitch. Souvent, le cinéaste a tendance à trop charger son image. Il y a une profusion de détails que Starewitch ne parvient pas toujours à hiérarchiser par l’utilisation de l’éclairage, l’utilisation de la profondeur de champ ou la composition des cadres. Du coup, il devient parfois difficile de saisir ce qui nous est montré et une impression de trop plein nous envahit, défaut inhérent à la sensibilité baroque de l’auteur. Pour le reste, c’est toujours le même émerveillement devant tant d’inventivité et de trouvailles. Starewitch utilise à merveille les surimpressions et les transparences, comme lorsque le rat des villes file au volant de sa voiture, marionnette animée et filmée devant une vitre où sont projetés des images de la rue. Trucage impressionnant qui huit décennies après sa réalisation nous laisse toujours perplexe. Starewitch est un passionné de bricolage qui s’amuse à trouver les inventions les plus folles pour donner vie à son imaginaire. Il suit également de prêt les évolutions techniques, comme la sonorisation. Il tourne Le Rat des villes et le rat des champs en 1926, puis le reprend entièrement en 1932 pour y adjoindre une bande sonore. Bruitages et musiques sont déjà prégnants dans la structure même de ses films muets. Leur montage est musical, les scènes de danse et de chants pullulent. Starewitch reprendra l’ensemble de son œuvre tournée avant 1932 pour y ajouter ces musiques, ces sons, dont il rêvait déjà avant que la technique ne le permette. La couleur est également une technique qui passionne le cinéaste. Tout au long de sa carrière il utilise différents procédés, virage, filtres, peinture au pochoir…

Le Lion devenu vieux est tourné dans l’urgence, pour des raisons financières suite au blocage de la production du Roman de Renart alors au point mort à cause de difficultés de sonorisation. Starewitch reprend les marionnettes de son long métrage, et les utilisera dans deux adaptations de La Fontaine tournées en 1932. C’est un magnifique conte sur la vieillesse. Le cinéaste nous parle des tourments et de la tristesse de ce lion avec une sensibilité et un justesse de chaque instant. On est ému de son sort, de sa déchéance. On partage sa mélancolie lorsqu’il rêve de ses aventures et de ses amours passés. Cette séquence de souvenir est l’occasion d’un voyage merveilleux qui vient rompre avec les intrigues de cours, l’irrespect des sujets du roi, les moqueries. On y trouve même un éléphant volant grâce à ses oreilles, dix années avant le Dumbo de Disney. Peu d’œuvres traitent la vieillesse de front et il est étonnant de voir que l’une de ses évocations les plus justes est un petit film d’animation pour enfant…

Fétiche mascotte est le premier film d’une série de cinq mettant en scène le personnage récurrent de Mascotte, qui devait en comprendre douze tournés sur deux ans. La série fut interrompue par manque de financements, et Fétiche mascotte et ses quelques suites ne purent voir le jour que grâce à des apports américains et anglais garantissant leur distribution. Seul problème, Starewitch se voit contraint d’édulcorer son propos afin de satisfaire les desiderata anglo-saxons. Ce premier épisode est à la frontière des désirs de son auteur et des implications commerciales. Ce film est à la fois doux et enfantin, mais dans sa deuxième partie Fétiche se retrouve confronté au diable et à des créatures tout droit sorties de l’enfer : poulet et poisson squelettes, légumes démoniaques… un imaginaire qui ne correspond pas aux codes habituellement admis dans les productions visant un public enfantin. Si Fétiche mascotte est également touchant dans son évocation d’une mère et de sa fille (Nina Star) meurtris par la pauvreté, c’est bien la partie "démoniaque" qui emporte l’adhésion avec son bestiaire incongru, improbable, ses gags issus du slapstick, ses visions de l’enfer que ne dédaigneraient pas un Tim Burton. Une œuvre étrange donc, qui mêle deux sensibilités, un côté doux, un côté noir, deux facettes de l’univers enfantin en quelque sorte.

La généralisation de la couleur, de par son coût d’exploitation, vient mettre en péril le délicat équilibre économique des productions Starewitch. La seconde guerre mondiale complique également son statut d’artisan. Après guerre, ses productions deviennent sporadiques. Fleur de fougère est ainsi l’un des rares témoignages de son art après les prolixes années 30, réalisé avec Alexandre Kamenka, émigré russe comme lui, ami et collaborateur fidèle après guerre. Fleur de fougère a été tourné en couleur, mais la méthode utilisée n’a pu traverser les années et c’est donc une version restaurée, mais en noir et blanc, qui nous est ici proposée.
Fleur de fougère est une fantaisie merveilleuse où Starewitch se livre de manière très personnelle. Outre les adieux de sa fille au cinéma, on y retrouve la fascination de Starewitch pour les insectes avec un combat de coléoptères qui nous ramène à la genèse de sa carrière. C’est un film d’une grande beauté, tour à tour en noir et blanc puis en couleurs monochromes dont les teintes nous rappellent les enluminures moyenâgeuses.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Portrait de Ladislas Starewitch

Par Olivier Bitoun - le 28 juillet 2006