Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Masque aux yeux verts

(The Wicked Lady)

L'histoire

Barbara Worth, beauté du XVIIe siècle, entame sa carrière criminelle en volant le mari de sa meilleure amie, laquelle vient juste de convoler...

Analyse et critique

The Wicked Lady est l'une des plus fameuses productions du studio Gainsborough et l'un des grands succès du cinéma anglais des années 40. Cette popularité s’avère tout à fait fascinante à la vision d’un spectacle délicieusement amoral, mais dont l’outrance s’inscrit dans la continuité de The Man in Grey, film fondateur du style rococo et tapageur qui fera le succès du studio. Le film s’ouvre sur les amours courtoises entre les fiancés Caroline (Patricia Roc) et Sir Ralph Skelton (Griffith Johns) effectuant une balade rurale à cheval tout en échangeant des mots doux. Cette tonalité douce et timorée se voit en un instant balayée avec l’entrée en scène de Barbara (Margaret Lockwood), meilleure amie de la future mariée et ambitieuse sans scrupules rêvant de la grande vie. Le film adapte le roman The Life and Death of the Wicked Lady Skelton de Magdalen King-Hall, qui s'inspirait elle-même des mœurs dissolues de Lady Katherine Ferrers qui fit scandale dans l'Angleterre du XVIIe siècle. Sur ces bases réalistes, le film ne se refusera aucune surenchère.

Ainsi vingt minutes ne se sont pas écoulées que la belle a déjà séduit et épousé le fiancé de son amie (qui, humiliation suprême, est réduite à être la demoiselle d’honneur de son mariage annoncé) et trouvé le moyen de tomber follement amoureuse d’un autre durant les festivités de ses noces ! Seulement, la vie rurale morne au côté d’un homme qu’elle méprise ne lui sied guère, et en tentant de récupérer un diamant perdu au jeu, elle embrasse la carrière criminelle au cours de laquelle elle va croiser la route du bandit de grand chemin Jerry Jackson (James Mason). Il y a déjà matière à trois films avec cet aperçu qui occupe à peine un tiers de l’histoire. Le récit enchaîne sans discontinuer les rebondissements rocambolesques jusqu’à l’excès. Cette frénésie est dictée par la vénéneuse héroïne incarnée par une Margaret Lockwood étincelante de perversion. Guidée par ses seuls désirs, elle éliminera tous les obstacles à son plaisir et à ses ambitions sans le moindre remords et par les moyens les plus vils : vol, duperie, assassinat...

Le script noie toute tentative de l’adoucir et de l'humaniser, tel ce moment où elle commet son premier meurtre par maladresse lors d’un vol et que dès la séquence suivante elle se réjouit de découvrir que sa prime de capture est plus élevé que celle de James Mason. Ce dernier s’en donne à cœur joie également en voleur à la gouaille irrésistible. Les échanges avec Margaret Lockwood sont un festival de sous-entendus sexuels, sans parler des nombreuses situations équivoques. L'écrin stylisé et sensuel traverse toutes les strates du film, des décors rococo de John Bryan aux costumes provocants d'Elizabeth Haffenden dont les décolletés vertigineux des deux personnages féminins vaudront (en plus du reste) les coups de ciseaux de la censure américaine lors la sortie du film outre-Atlantique. Le mélange de raffinement (l'indéniable inspiration picturale des compositions de plan de Leslie Arliss), d'outrance vulgaire et d'urgence très moderne (le montage étant assuré par un certain Terence Fisher) font de The Wicked Lady un spectacle atypique, inclassable et novateur. On comprend totalement le succès du film, divertissant et jubilatoire de bout en bout par son sens de l’excès. Cette Barbara si peu fréquentable (à faire passer l’Ambre du roman de Kathleen Windsor pour un parangon de vertu) se révèle finalement aussi attachante que fascinante dans sa manière de suivre ses envies sans se soucier des conséquences, et la délectation de Margaret Lockwood à interpréter un tel personnage est contagieuse - poussant plus loin sa prestation déjà vénéneuse de The Man in Grey.

Tout aussi avenante, Patricia Roc évite de tomber dans la niaiserie pour contrebalancer l’âme noire de sa rivale et maintient également l'intérêt pour la douce Caroline, ce que ne parviennent pas à faire les autres figures masculines (à se demander comment Barbara peut préférer le fade Michael Rennie à Mason), écrasées par le charisme de James Mason. Leslie Arliss mène là un récit alerte et trépidant, orné par le luxe et le soin habituel des productions Gainsborough. Un vrai plaisir coupable, scandaleux et charmant. Le film bénéficiera d'un remake de piètre réputation avec Faye Dunaway et réalisé par Michael Winner en 1983...

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 31 mars 2023