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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Jugement des flèches

(Run of the Arrow)

L'histoire

Appomattox, 09 avril 1865. Le soldat confédéré O'Meara (Rod Steiger) tire la dernière balle de la guerre de Sécession en atteignant le lieutenant Nordiste Driscoll (Ralph Meeker). Constatant qu’il est toujours en vie, le fantassin l’emmène jusqu'à un hôpital de campagne d'où il assiste à la reddition du général Lee. Ne supportant pas la défaite de son camp, sa haine envers les vainqueurs est telle qu'il ne peut plus cohabiter avec sa famille ni ses compatriotes qu’il critique avec virulence pour leur ‘résignation’. Il décide alors de partir pour le Far West en direction des territoires indiens. Son idée est de se faire accepter par une tribu et devenir un de leurs membres pour oublier sa race et pouvoir continuer à se battre contre les soldats américains. En chemin il rencontre un vieil éclaireur Sioux, Walking Coyotte (Jay C. Flippen), qui lui apprend les rudiments de langage et coutumes de son peuple. Un peu plus tard, les deux hommes sont capturés par le Sioux Crazy Wolf (H.M. Wynant). Considéré comme un renégat pour avoir fait la guerre aux côtés des Tuniques Bleues, Walking Coyotte est condamné à être pendu tandis que O'Meara est sur le point d’être torturé. Mais avant que les sentences ne soient exécutées, Walking invoque et réclame ‘le jugement des flèches’. On ne peut pas faire autrement que de leur accorder de participer à ce cruel rituel indien, une course à mort dont personne jusqu’à présent n’a réchappé. Alors que Walking Coyotte succombe, O'Meara ne doit son salut qu’à la squaw Yellow Mocassin (Sara Montiel) qui le cache et l'emmène dans son village. Premier homme à avoir survécu à la course de la flèche, aucun sioux n'a plus le droit de porter la main sur lui. Il sollicite alors de faire partie de la tribu en épousant celle à qui il doit la vie. Le chef Blue Buffalo (Charles Bronson), convaincu par son courage et ses arguments, accepte sa requête. Mais le jour où un régiment de soldats vient dans la région pour y construire un fort, l’appartenance d’O’Meara à la Nation Sioux est remise en cause…

Analyse et critique

Quasiment au même moment sortaient en 1957 sur les écrans américains les deux derniers westerns de Samuel Fuller, le précédent n’étant autre que le célèbre Forty Guns (40 tueurs) avec Barbara Stanwyck à la tête de sa ‘horde sauvage’. Formellement, Le Jugement des flèches est un western plus sage, moins ‘maniéré’, mais cependant tout aussi rude, sec et violent. Il nous conte l’histoire assez audacieuse d’un homme déchiré entre deux appartenances, un Sudiste n’ayant pas accepté la défaite de son camp à la fin de la guerre civile et qui, ne supportant pas la résignation de ses compatriotes, décide de partir au Far-West se faire naturaliser indien pour pouvoir continuer à se battre contre les soldats américains. Un postulat de départ inédit et passionnant sur le papier mais qui ne tient malheureusement pas toutes ses promesses, la faute en incombant surtout à l’écriture de Fuller, trop brouillonne et trop arythmique à mon goût pour arriver à me tenir en haleine et à me rendre attachants les personnages. Mais avant de vous faire une fausse opinion de ce classique, je vous livre d’emblée un autre son de cloche qui devrait en rassurer plus d’un ; en effet Jacques Lourcelles écrivait dans son dictionnaire du cinéma (paru aux éditions Bouquins, tout comme celui chapeauté par Jean Tulard) : "Run of the Arrow, dès ses premières images, est si débordant d'expressivité et de sincérité qu'il est difficile quand on le découvre de ne pas éprouver le sentiment qu'on voit le plus beau film du monde". Au moins, vous saurez qu’il est possible de hisser ce western de Samuel Fuller (tout comme le précédent) tout au sommet de la hiérarchie du genre. [ATTENTION : Ceux à qui les spoilers hérissent le poil peuvent désormais arrêter la lecture de cette chronique !]


Un confédéré tire sur un Nordiste ; il le fouille, trouve sur lui de la nourriture et se met à la dévorer à même le cadavre. Générique. Le ‘trépassé’ s’avère respirer encore ; le Sudiste l’emmène se faire soigner. Là, il assiste à la reddition de Lee ; il est sur le point de tuer le général Grant qui se trouve à portée de son fusil. On l’en empêche en argumentant que ça ne ferait que rendre la défaite de Lee encore plus déprimante. On lui rend sa balle retirée du soldat blessé en lui disant de la garder précieusement puisqu’il s’agit de la dernière tirée lors du conflit. Rentré chez lui, alors qu’on le fête, il se chamaille avec tous ses compatriotes y compris sa mère lors d’un échange d’une rare dureté :
"Je me pendrais si je devais saluer le drapeau de l'union !"
"C'est peut-être la solution à tes problème" lui rétorque sa mère !
Décidant d’abandonner tous ces ‘résignés’, le voilà parti à la recherche de la nation indienne, toujours en guerre contre les Tuniques Bleues : il espère se faire accepter en son sein et se faire même ‘naturaliser’. Ici au moins, il côtoiera des hommes courageux avec qui il pourra poursuivre son combat… A la lecture de ces lignes, on ne peut pas dire que l’intrigue soit conventionnelle ou déjà-vu ! Quelles idées novatrice et passionnantes au contraire ! Des propositions scénaristiques encore plus culottées et captivantes que celles qui prévalaient dans d’autres westerns ‘avec indiens’ tels La Porte du diable (Devil’s Doorway) d'Anthony Mann ou La Dernière chasse (The Last Hunt) de Richard Brooks. Puis on assiste à un cruel rituel (encore jamais vu non plus au cinéma), celui que reprend le titre du film, qui consiste à laisser une chance de survivre à des prisonniers s’ils arrivent à échapper à des guerriers les poursuivant au cours d’une chasse à l’homme perdue d’avance, les pourchassés devant se déplacer pieds nus contrairement aux ‘chasseurs’. Après en avoir réchappé, O’Meara vit une période de paix et de sérénité auprès de sa nouvelle épouse indienne. Mais cet impulsif apatride revanchard, toujours plein de rage et de frustration, se verra à nouveau tiraillé par de cruels dilemmes le jour où un détachement de soldats viendra négocier avec la tribu pour construire un fort aux abords de leur territoire. Si un conflit redémarre par la suite, O'Meara sera-t-il capable de prendre les armes pour massacrer les soldats dont feront désormais partie à coup sûr certains de ses ex-camarades de combat ?


C’est une des innombrables questions que le personnage joué par Rod Steiger aura à se poser durant le courant du film. Le western de Fuller sondera également les problèmes de différence entre blancs et indiens à propos de religion, de valeurs et de coutumes, abordera les thèmes de l’union nationale, de la cassure qu’a amené la Guerre Civile, des contradictions de la société américaine, mais se concentrera surtout sur la crise d’identité de son antihéros, "un bloc de haine" comme le décrira lui-même le cinéaste. En effet, O’Meara est un être frustre, haineux, cabochard et pas forcément sympathique. Mais tout ceci ne sera malheureusement qu’effleuré, le film ne durant qu’à peine 85 minutes. Ceux qui penseront trouver un document sociologique sur les Sioux devront également déchanter car contrairement à ce qui a souvent été écrit, hormis la romance entre Rod Steiger et Sarita Montiel (comédienne guère inoubliable et ici doublée en anglais par Angie Dickinson), on n’assiste pas à grand-chose de la vie au sein du campement indien ; beaucoup moins en tout cas que dans de nombreux autres westerns se déroulant en grande partie chez les Natives et notamment Au-delà du Missouri (Across the Wide Missouri) de William Wellman, La Flèche brisée (Broken Arrow) de Delmer Daves, La Rivière de nos amours (The Indian Fighter) de André de Toth ou encore les nombreux films pro-indiens de George Sherman. Et c’est d’autant plus dommage que Samuel Fuller avait trouvé un lieu idyllique pour y filmer le campement : les quelques plans d’ensemble sur ce paysage sont admirables et superbement photographiés par Joseph F. Biroc. Mais contrairement aux grands chantres de la nature, Fuller semble ne pas s’en être soucié plus que ça, n’exploitant pas les sites traversés avec le lyrisme attendu, n’en faisant pas des ‘personnages’ à part entière. Le cinéaste a tout à fait le droit d’avoir une vision aussi peu poétique de la nature, mais il est ensuite forcément compréhensible que les admirateurs de Delmer Daves ou d'Anthony Mann se sentent un peu frustrés. Si le film en désappointera certains de ce point de vue, c’est donc surtout en fonction de leurs attentes et non de la mauvaise qualité de la mise en scène de Fuller.


Produit par une RKO à bout de souffle, juste avant qu’elle ne mette fin à ses activités quelques semaines après (le film fut donc finalement distribué par la Universal), le faible budget de ce western n’est pas là pour aider cette décevante appréhension 'plastique' et l’on regrette donc amèrement les répétitifs plans de jambes ‘galopantes’ pour pallier aux cascadeurs lors des deux fameuses séquences du ‘jugement des flèches’ (l’excuse comme quoi Rod Steiger, légèrement blessé, ne pouvait pas courir et que l’on en est venu à ce subterfuge pour pallier à ce problème n’est guère crédible, ou alors l’idée était mauvaise), la perruque ridicule de Jay C. Flippen, quelques vilaines transparences et certains effets spéciaux totalement ratés comme ceux des oiseaux ou de la course des flèches dans le ciel... La majeure partie des moyens financiers octroyés au film semble être passée dans l’attaque finale des indiens contre le fort en construction. Alors que jusqu’à présent, le budget avait semblé un peu étriqué, quelques centaines de figurants font leur apparition pour une séquence d’une sécheresse et d’une violence rare, le montage cut de plans de soldats transpercés de flèches faisant son effet avec une redoutable efficacité : du très grand Fuller, hargneux et sans compromis, à la fois spectaculaire et abstrait, la violence se déchainant avec absurdité, les hommes tombant comme des mouches sans qu’on ait eu le temps de voir d’où venaient les balles et les flèches, au milieu d’un chaos indescriptible, cernés par la poussière soulevée par les combats ! Une séquence de bataille à l’aspect fantomatique qui est le clou du film. D’autres images ou scènes de violence demeureront également difficilement oubliables telles celle des sables mouvants (aussi impressionnante que rapide) ou encore celle de la torture de Ralph Meeker par les indiens. Tout se déroule en hors champ mais le cri strident et lancinant poussé par l’homme déchiqueté vif est presque insoutenable : il le sera aussi pour O’Meara qui ne pourra faire autrement que d’achever ses souffrances, geste qui lui fera ouvrir les yeux et prendre conscience de son humanité (ce qui revient à dire que les indiens ne le sont pas, humains ; toujours cette même ambigüité, assez désagréable).


Là où le bat blesse également, comme déjà dans Forty Guns, c’est le casting ; il faut dire que l’écriture des personnages ne nous rend pas ces derniers très ‘vivants’ ni franchement attachants et que nous avons du mal à éprouver de l'empathie pour qui que ce soit. Les premiers comme les seconds rôles ne sont guère mémorables, pas même Rod Steiger dont la méthode de l’Actors Studio mal digérée s’avère parfois pénible. Quant à l’idée de faire jouer un indien par Jay C. Flippen, elle n’est pas vraiment finaude. Les amateurs de cinéma hollywoodien sont tellement habitués à voir cette trogne très connue dans la peau de shérifs ou soldats américains, voire de flics ‘bien blancs’, que du coup il n’est absolument plus crédible ici (sa perruque n'arrangeant pas ses affaires). Ce qui n’est pas le cas de Charles Bronson qui n’en était plus à son premier indien et qui lui, en revanche, est totalement convaincant dans un rôle malheureusement assez chiche. Brian Keith interprète le protagoniste le plus sensé du film, quasiment le seul à promouvoir des valeurs et des idées pacifiques, unique symbole d’une force positive : il sera tué rapidement après néanmoins avoir partagé une séquence dialoguée assez enthousiasmante avec Rod Steiger, expliquant à ce dernier pourquoi il n’avait pas à éprouver de la haine pour les vainqueurs, pourquoi il ne devait pas cracher sur le drapeau, terminant sa leçon de principes en lui faisant un parallèle avec la fable de Philip Knowland, le protagoniste malheureux du roman ‘the Man without a Country’ de Edward Everett Hale. Un superbe moment de respect, d’écoute et de compréhension mutuelles. Dommage que l’ensemble n’ait pas été de ce niveau d’intelligence, de culture et de lucidité. Car au final, dans son film qui ne prend partie pour personne (ni pour les indiens dont la sauvagerie n’est pas ‘humaine’, ni pour les révoltés haineux comme O’Meara, ni pour les opportunistes "petits Custer frustrés" comme celui qu’interprète Ralph Meeker), chaque camp ayant ses fauteurs de trouble, Fuller semble ne pas avoir trouvé comment mettre fin au dilemme qui ronge son héros, nous laissant sur notre faim en nous invitant à faire notre propre conclusion : un peu facile ! Et puis j’avoue avoir aussi été gêné par l’argument trouvé par le cinéaste-scénariste pour faire comprendre à Rod Steiger qu’il ne pourrait jamais vraiment être un vrai Sioux : par le fait d’être incapable de supporter la souffrance que l'on inflige à des êtres humains par la torture (sic !) Si on ne connaissait pas bien le réalisateur, on pourrait y voir une pointe de racisme assez déplaisante. Quant au parallèle entre confédérés et indiens d’Amérique, il n’est guère moins léger, guère moins simpliste !


Par son écriture et sa mise en scène, un western pas spécialement harmonieux et qui pourra de ce fait semer la confusion et faire perdre quelques repères aux amoureux du classicisme. Les amateurs de dissonances et de raccourcis forcenés seront au contraire probablement plus enclins à apprécier ce film expressément peu aimable. Un western de 1955 possède énormément de points communs avec Le Jugement des flèches, de son contexte historique similaire et véridique à son personnage principal d’américain inculte et somme toute assez naïf qui a des difficultés à s’adapter à un monde changeant trop vite pour lui, jusqu’à son final fortement désappointant : il s’agit de La Charge des Tuniques Bleues (The Last Frontier) d’Anthony Mann qui avait également des similitudes avec 40 tueurs dans son discours sur la fin d’une époque et de certains ‘hommes de l’Ouest’. Moins reconnu et moins célébré que les deux westerns de Fuller, je ne peux néanmoins pas m’empêcher à cette occasion de fortement le recommander déjà par le fait de le considérer comme une très belle réussite mais aussi pour essayer de faire comprendre tout ce qui m’a ravi dans ce film et qui m’a un poil rebuté dans les deux Fuller qui, à mon avis, manquent singulièrement de subtilité. Mais ce n'est évidemment pas parce que j'ai été mitigé à son encontre qu'il faille me donner raison et que Run of the Arrow ne mérite pas que l'on s'y arrête.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 5 août 2021