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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Fantôme de Cat Dancing

(The Man Who Loved Cat Dancing)

L'histoire

Une jeune femme fuyant son mari, Catherine Crocker, rencontre inopinément un groupe de bandits sur le point d'attaquer un train. Dans l'urgence, et de peur qu'elle ne les dénonce, ils la kidnappent. Tandis que l'époux de Catherine part à sa recherche, et alors que cette présence féminine attise les convoitises de ses virils compagnons, la jeune femme tombe progressivement sous le charme du mystérieux chef de la bande, Jay Grobart.

Analyse et critique

Richard Sarafian aimait les images insolites, et c’est ainsi qu’après l’improbable arche tirée à travers le désert par une trentaine de mules du Convoi sauvage, Le Fantôme de Cat Dancing s’ouvre par la découverte, presque aussi saugrenue, d’une cavalière apprêtée, petite ombrelle et chapeau haut-de-forme, arpentant un décor désertique où l’on s’attendrait plutôt à croiser des sauvages ou des bandits crasseux (ne nous inquiétons pas, ceux-ci ne vont pas tarder). Il s’agit de Catherine Crocker (incarnée par Sarah Miles, l’actrice britannique ayant alors récemment joué les premiers rôles chez Losey, Antonioni ou Lean), jeune femme distinguée à l’allure victorienne imaginée par l’auteure du best-seller paru en 1972 (1) mais qui fut probablement développé par la scénariste et coproductrice Eleanor Perry selon sa propre expérience.

Mariée à un avocat, Eleanor Irene Rosenfeld quitta en effet celui-ci pour un homme de 16 ans son cadet, Frank Perry. Ensemble, ils réalisèrent plusieurs films (seul Frank étant crédité à la réalisation), dont The Swimmer, cet étrange film avec Burt Lancaster. Puis, parti tourner en Espagne, Frank Perry avait décidé de quitter Eleanor et obtint un divorce unilatéral. En 1971, Eleanor Perry est donc une presque sexagénaire bafouée, aux idées féministes attisées par cet outrage. Et sa collaboration désastreuse avec son coproducteur Martin Poll ne viendra pas calmer son tempétueux caractère, loin de là ! La liste des griefs établie par Eleanor Perry à l’encontre de celui-ci est interminable : un bureau trop luxueux, une place de parking, un crédit au générique, mais surtout, l’adjonction forcée d’un coscénariste masculin, car, selon Poll, « seul un homme sait écrire des dialogues de western » ! Le loup mâle étant entré dans la bergerie, un certain nombre d’autres scénaristes non crédités au générique vinrent ensuite apporter leur grain de sel au scénario (dont Robert Bolt, époux de Sarah Miles et co-auteur, notamment, de Lawrence d’Arabie), ce qui acheva d’excéder Eleanor Perry. Deux mois après la sortie du film, ulcérée, elle se fendit dans le Los Angeles Times d’un dévastateur article exutoire intitulé « The Woman who hated Cat Dancing. »

Mais la scénariste du film n’était pas la seule « femme libérée » du plateau : Sarah Miles, précédée de sa réputation sulfureuse (2), apporta elle aussi son lot de péripéties, en l’occurrence autrement plus tragiques. En plus de son époux Robert Bolt, donc, Sarah Miles était venue accompagnée de son publiciste, David Whiting, qu’elle avait pris sous son aile après qu’il ait écrit en Angleterre un article intitulée « Sarah Miles, la vierge croqueuse d’hommes » !... Miles avait alors invité Whiting à venir habiter chez elle, officiellement pour qu’il écrive un livre sur l’actrice, mais certaines mauvaises langues suggèrent qu’il puisse y avoir eu d’autres raisons officieuses (Whiting avait 26 ans, Miles 30, et Bolt 48…). Une fois à Gila Bend, trou paumé où se tournait donc le film, Sarah Miles s’était pourtant apparemment lassée de son poulain (ou de son étalon...), caractériel et dépressif. Un soir qu’elle s’était rendue dans un bar local et que Lee J. Cobb la raccompagnait, Whiting l’agressa, à son retour, en l’insultant et la giflant. Miles s’enfuit, trouvant refuge chez Burt Reynolds. Au petit matin, toutefois, le corps sans vie de David Whiting fut retrouvé, baignant dans une flaque de sang, un flacon de pilules à la main mais également une plaie au crâne. Une cour de justice s’improvisa à Gila Bend, où le juge était aussi le plombier local, où il n’y avait pas de greffier et aucune infrastructure suffisante pour accueillir la horde de journalistes venus couvrir le scandale. On bâcla la procédure, la thèse du suicide fut retenue et personne ne sut jamais le fin mot de l’histoire…

On imagine, dans ces conditions, le manque de sérénité du réalisateur devant gérer de telles personnalités et de tels évènements sur le tournage de son propre film. Richard Sarafian, qui avait hérité d’un projet prévu initialement pour Brian Hutton, a pourtant réussi à imprégner le film de sa personnalité, prenant d’ailleurs certaines décisions radicales (comme virer Michel Legrand en qualifiant sa pré-partition de « musique de maquereau »). Jay Grobart, devenu finalement au fil du projet le personnage principal, presque plus que Catherine Crocker, est une variation autour d’une figure archétypale du solitaire insoumis, traînant les fantômes de son passé violent, en quête d’une rédemption incertaine, comme Kowalski dans Vanishing Point ou comme Bass dans Le Convoi sauvage. On peut d’ailleurs prolonger la comparaison avec ce dernier, au-delà même du cadre « westernien », autour d’une thématique un peu morbide de la filiation : Bass comme Grobart ne prendront conscience de leur devoir de père qu’une fois confrontés à une mort imprévisible et violente (3). L’une des plus belles réussites du film tient d’ailleurs au portrait qui est fait de l’absente, ce personnage dont tout le monde parle mais que nous ne verrons jamais et qui, comme l’évoque joliment le titre français, hante le film. Un peu comme dans Rebecca d’Alfred Hitchcock, la nouvelle compagne doit entamer une inégale rivalité contre une défunte - possédant qui plus est ici le même « prénom » - s’imaginant (à tort, comme chez Hitchcock) qu’elle ne pourra conquérir l’homme que si elle parvient à lui ressembler - c’est ainsi que Catherine Crocker transforme au fur et à mesure du film sa propre nature, vers une espèce de « sauvagerie » dont on ne la soupçonnait pas capable au début du film.

Car si l’on a médit de la réputation sulfureuse de Sarah Miles, il faut reconnaître que la comédienne s’accommode fort bien de la difficile composition de son personnage, mêlant à la fois la distinction victorienne et la sensualité réprimée, la gravité et l’espièglerie, et n’hésitant pas à s’investir physiquement dans un personnage rudement malmené (elle est tour à tour traînée par un cheval, roulée dans la boue, tabassée, violée…). Mais surtout, la comédienne fait preuve d’une belle alchimie avec Burt Reynolds, admirable comme rarement dans ce rôle de héros taiseux, solitaire mais doté de robustes principes. Le film, qui débute sur une classique trame d’ « otage » qui peut rappeler La Chevauchée des bannis ou L’Appât, devient en effet progressivement leur histoire d’amour, et dans la deuxième partie du film, ils sont la plupart du temps seuls ensemble à l’écran. Alors oui, il y a bien sur la fin une ou deux scènes qui cèdent à une imagerie « david-hamiltonienne » un peu grotesque (notamment cette séquence où elle le voit, court vers lui en trébuchant dans la neige, sous les yeux d’un enfant chevauchant une blanche licorne… pardon, un cheval) mais toute la partie où elle cherche à l’apprivoiser recèle quelques beaux moments, notamment à travers certains dialogues où elle tente de lui faire révéler sa part bien cachée de romantisme et où il se contente d’une réponse lapidaire, bourrue mais cocasse (dont ce « Damn if i know ! » qui revient plusieurs fois).

A leurs côtés, Sarafian a réuni un beau casting de gueules, où l’on croise quelques uns des plus attachants seconds rôles du cinéma américain : outre les inestimables Jack Warden et Lee J. Cobb (qui partagent une affiche 16 ans après 12 hommes en colère), on a en effet le plaisir d’y croiser un jeune Bo Hopkins ou George Hamilton, sorte de sosie bronzé de Vincent Price qui compose un étonnant Willard Crocker, astiquant sa carabine « faite sur mesure » avec laquelle il veut assassiner l’amant de sa femme. Il est intéressant de noter que Marilyn Durham, l’auteure du roman, avouait ressentir une certaine empathie pour Willard, qui ne se retrouve pas le moins du monde dans un film qui le présente comme un égocentrique fielleux et machiste : par exemple, au moment des retrouvailles avec sa femme, il la gifle, « parce que c’est sa femme ».

La toute dernière partie, un peu plus romantique, ne doit donc surtout pas estomper la grande brutalité de ce qui précéde, et qui font du Fantôme de Cat Dancing un film souvent surprenant, que ce soit dans la sécheresse de certaines actions (par exemple, l’attaque des Indiens après le départ de Grobart), la crudité de certaines répliques (outre la vulgarité du personnage de Billy, on pense également à la réponse inattendue de Jay quand Catherine lui avoue qu’elle aimerait faire un enfant avec lui…) mais aussi, donc, la grande malice d’un humour pas forcément évident à première vue mais qui fait souvent mouche. Evidemment, ce souci d’un style direct et dénué de fioritures impose quelques scories, et il y a quelques idées dont on aurait pu se passer (par exemple, un coup de feu à un certain endroit, éminemment symbolique) et, par ailleurs, le rythme, notamment du montage, n’est pas toujours à la hauteur de ce choix de la percussion (ce serait mentir que de prétendre que le film ne possède pas quelques spectaculaires longueurs) - mais il nous a surtout semblé assez emblématique de cet esprit, acide et libertaire, qui définissait tout une frange du cinéma américain des années 70 et dont Richard Sarafian doit être considéré comme un digne représentant. Et non plus, donc, comme l’homme d’un seul film !

  


(1) Marilyn Durham, une ménagère n’ayant paraît-il jamais quitté son village perdu de l’Indiana, dont c’était le premier roman ! Les droits d'adaptation de celui-ci furent d'ailleurs acquis avant même sa parution !
(2) La jeune femme avait la réputation d’une mante religieuse, se déshabillait très souvent à l’écran, avait été virée d’une école de jeunes filles pour propos insultants tenus à la Reine-Mère, jurait constamment et avait la réputation de boire sa propre urine !
(3) De nombreuses discussions eurent lieu entre les divers coscénaristes du film autour des conditions de la mort de Cat Dancing, mais le choix figurant dans le film possède une indéniable force.
(4) A noter que, selon l’Imdb, il existerait une version américaine appartenant à Turner plus longue d’une dizaine de minutes…

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Antoine Royer - le 28 juin 2011