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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Dossier noir

L'histoire

Jaques Arnaud, jeune juge d'instruction, vient d'être nommé dans une petite ville de province. Sa première affaire, héritée de son prédécesseur, se conclut simplement. Mais le témoignage de la victime lui fait entrevoir un scénario bien plus complexe, mettant en cause les notables de la ville. Son investigation le fait douter et l'amène à enquêter sur la mort, jusqu'ici réputée accidentelle, d'un opposant de ces notables qui aurait constitué contre eux un dossier à charge, le Dossier noir, depuis introuvable...

Analyse et critique

Ancien avocat, André Cayatte a fait des thématiques judiciaires ses sujets de prédilection dans sa carrière de cinéaste. Ses titres les plus célèbres, Nous sommes tous des assassins par exemple, se rattachent au genre. Bien souvent, les sujets qu'il aborde dans ce domaine s'annoncent passionnants, tant par leur intrigue que par le monde qu'ils ambitionnent de dépeindre. Toutefois, force est de constater que la plupart du temps ces films sont imparfaits et s'avèrent régulièrement décevants. Peut-être trop imprégné de ses sujets, trop engagé, Cayatte est souvent maladroit lorsqu'il s'agit d'aborder des thèmes qui lui sont proche. Cela donne une œuvre en demi-teinte, intéressante sur le fond et frustrante par la forme. Il n'est d'ailleurs pas interdit de penser que Cayatte était finalement plus à l'aise avec des sujets moins personnels, comme c'est le cas, nous semble-t-il, avec le très bon Passage du Rhin. Le Dossier noir appartient à cette catégorie majoritaire : un drame judiciaire, qui propose à la fois une intrigue à suspense et la peinture des arcanes de la justice. Encore une fois, une proposition alléchante qui se concrétisera, malgré plusieurs éléments intéressants, par une réalisation décevante.

Alors de filmer Le Dossier noir, Cayatte a débuté les années 50 avec d'importants succès comme Justice est faite ou Nous sommes tous des assassins. Il a à ce moment pour ambition de tourner un film sur l'affaire Seznec - nous aurions été curieux de le voir - mais la censure l'en empêche. Il se tourne alors vers Le Dossier noir, sujet original donc moins sensible, dont il écrit le scénario avec Charles Spaak, co-auteur de La Belle équipe et de la Grande illusion, et dialoguiste de La Bandera entre autres. Il est assez facile de comprendre ce qui a intéressé Cayatte dans ce projet. Au delà de la pure intrigue policière, il va pouvoir mettre en image le quotidien d'un jeune juge d'instruction de province, dépeindre son manque de moyens et sa solitude devant les décisions qu'il doit prendre. Il pourra également s'intéresser aux méthodes policières, pas toujours adaptées à la découverte de la vérité.

La première partie de cette objectif supposé constitue certainement l'aspect le plus réussi du film. Cayatte parvient a donner au Dossier noir une dimension quasi documentaire, montrant notamment un palais de justice d'une vétusté édifiante, grande bâtisse mal chauffée, équipée d'un seul téléphone chez la concierge, et proposant pour seul personnel la dite concierge et ses jeunes enfants, régulièrement mis à contribution par le juge. Voilà la mise en évidence flagrante d'un travail qui ne peut être fait correctement et d'un manque de ressources qui sera d'ailleurs la clé du dénouement du film et de la précarité de la justice. Ce travail de documentariste, Cayatte le poursuit avec le même succès au-delà des murs du palais, offrant une peinture intéressante d'une petite ville d'après-guerre, en pleine reconstruction et en train de basculer vers le monde moderne.

Malheureusement, la construction de l'intrigue que mène Cayatte dans le même temps est moins efficace. Après les premières minutes, on croit se diriger vers le schéma classique de la lutte d'un homme seul, le juge d'instruction, face à une communauté puissante et corrompue. Une situation vue et revue qui aurait pu être efficace mais qui n'intéresse pas Cayatte, celui-ci cherchant autre chose qu'un "simple" combat du Bien contre le Mal. Cette situation, pour lui, n'est qu'une étape vers une conclusion plus originale qu'il a imaginée dans son ambition de décrire la solitude et les faiblesses du juge. Une intention louable mais difficile à mener, dans laquelle le réalisateur finit par se perdre. A la moitié du film, le spectateur est alors lui-même un peu perdu devant une intrigue qui semble tourner à vide et avoir du mal à rejoindre la conclusion voulue par son auteur. La narration patine, et durant de longues minutes l'ennui s'installe.

Le Dossier noir reprend heureusement vie dans son dernier tiers par l'introduction du personnage interprété par Bernard Blier, un policier parisien venu régler cette petite affaire de campagne. S'ensuit alors une confrontation entre deux méthodes opposées, celles de l'expert de la capitale et celle du policier local - excellent Noël Roquevert - à la solde des barons locaux. Les deux acteurs s'en donnent à cœur joie et redonnent une belle dynamique au film qui connait ses meilleurs instants. Le montage est vif, les dialogues efficaces et l'ensemble redevient prenant. Malheureusement, tout cela vient un peu à l'encontre de l'intrigue principale. On en perd même de vue le juge d'instruction, interprété par un fade Jean-Marc Bory qui n'est pas à le hauteur de deux géants comme Blier et Roquevert alors que c'est pourtant lui qui nous révélera la clé de l'affaire. Ou en tout cas d'une partie de l'affaire. Car en son cœur, il y avait le fameux "Dossier noir" qui devait faire trembler les puissants. Un dossier disparu pour les personnages, mais aussi pour les spectateurs qui n'en entendront plus beaucoup parler durant la dernière partie du film.

Nous voilà confrontés à la plus grande faiblesse du Dossier noir. Cayatte veut parler de la justice, il veut parler de la police, son film est porté par de grandes intentions morales fort intéressantes, mais elles semblent lui faire régulièrement perdre son fil conducteur, l'intrigue policière. Celle-ci aurait très bien pu être secondaire mais elle se devait d'exister et de rester cohérente pour porter les messages de son auteur. Tout au contraire, ici elle se délite progressivement et certains des arcs narratifs les plus importants, notamment celui du dossier, restent ouverts lorsque le mot "Fin" s'inscrit sur l'écran. Une partie de ce qui nous est conté s'envole en fumée, et, malheureusement, une partie des intentions profondes de son auteur avec.

Il ne faut pourtant pas considérer le Dossier noir comme un échec total. Sa dernière partie, nous l'avons vu, est particulièrement réussie et prenante même si elle nous fait perdre de vue une partie de l'intrigue initiale. Le casting remarquable rehausse également nettement la qualité d'ensemble du film. Danièle Delorme, Noël Roquevert, Bernard Blier Daniel Cauchy, Paul Frankeur ou Antoine Balpêtré sont tous excellents et composent des seconds rôles de très haute volée. Dommage que l'interprétation du rôle principal soit plus faible : nous aurions d'ailleurs été curieux de voir ce qu'aurait donné, à la place de Bory, le jeune Claude Rich qui fut en balance pour le rôle. Enfin, même amoindrie, la réflexion menée par Cayatte sur la justice et ses moyens reste intéressante.

Finalement, devant Le Dossier noir, c'est la frustration qui domine. Le matériau initial, les ambitions thématiques de Cayatte et la qualité du casting auraient pu nous offrir un très grand film. Mais malheureusement, l'auteur-réalisateur ne réussit pas totalement le mélange de ces ingrédients et nous offre un film qui, s'il se révèle souvent intéressant, est aussi souvent ennuyeux et ne nous semble, surtout, pas totalement abouti.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 29 septembre 2014