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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Dirigeable volé

(Ukradená vzducholod)

L'histoire

Lors de l'inauguration d'un nouveau type de ballon dirigeable, un groupe d'enfants s'empare du véhicule et commence un voyage, emportant avec eux des documents relatifs à sa construction et convoités par de nombreuses personnes.

Analyse et critique


Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le destin de Karel Zeman ne commence pas dans les années 1940 avec ses premiers court métrages, ou même une douzaine d'années plus tard avec le début de sa reconnaissance internationale. Non, elle commence au début des années 1990 quand un collégien découvre ses premiers romans de Jules Verne, se délectant au passage des gravures d'Edouard Riou et Léon Benett. Le récit rebondit ensuite de deux décennies quand ce même bambin, devenu cinéphile, fait la découverte des Aventures fantastiques dont le style s'inspire non seulement des romans de Jules Verne mais aussi des travaux de ces deux illustrateurs. Un véritable choc qui, non content de le faire tomber à la renverse, le fait surtout retomber en enfance. Il va sans dire que ce premier paragraphe n'est qu'un révisionnisme autobiographique mais il permet de bien saisir à quel point le cinéma de Zeman est celui d'un véritable magicien, dont le plus grand prodige est bel est bien de parvenir à recréer ce pouvoir de fascination qui émerveille autant les enfants que la part d'enfant des plus âgés qui ne demande qu'à se réveiller. Cette expression "de 7 à 77 ans" a été tellement usée et exploitée qu'elle ne veut désormais plus dire grand-chose mais pourtant elle se prête admirablement bien à l'univers de Karel Zeman. La raison tient à son mariage unique de candeur rétro, de poésie surréaliste et de trucages très complexes qui paraissent pourtant joyeusement bricolés.

La variété des techniques est d'ailleurs extrêmement diversifiée et riche : papiers découpés, maquettes, mannequins, animation image par image, caméra multi-plan, fausses perspectives, matte painting, incrustations et même des dessins de caricatures. Sans oublier l'alternance entre le noir et blanc, la couleur et les teintes comme le sépia. C'est de cette mixité des différents procédés que naît l'émerveillement : chaque image, ou presque, repose sur une technique différente du plan précédent pour procurer un ravissement perpétuel et imprévisible. Le cinéaste est le premier à s'en amuser puisque le début du film présente une sorte de fresque accélérée sur l'évolution de la civilisation qui lui permet de mettre en avant son éclectisme formel en invoquant un style visuel adapté à chaque période : la Préhistoire, l'Antiquité, le Moyen-Âge et la Belle Epoque. Il passe ainsi de dessins sommaires à la gravure, pour finir par le pointillisme. Poussant cette logique de magicien du 7ème art, il va même jusqu'à introduire une partie de ses personnages lors d'un spectacle de magie où ce sont justement les enfants qui découvrent la supercherie d'un numéro d'escamotage. Pour Zeman, l'intérêt n'est pas dans la discrétion et l'invisibilité de ses effets mais au contraire dans la représentation même des trucages qui sont pour ainsi dire les héros de ses films. Il rend ainsi un vibrant hommage à Georges Méliès dont il perpétue la dimension inventive et autodidacte de la fantaisie et du voyage vers l'imaginaire.


Cette toute-puissance du trucage marque aussi ses limites car il faut reconnaître que les personnages et la construction dramatique ne sont pas les soucis premiers du cinéaste. Dans le cas du Dirigeable volé par exemple, la psychologie est pour ainsi dire aussi vide que les marionnettes remplaçant les acteurs sur les plans larges. De plus, la structure du scénario est assez mal équilibrée entre les parties chez les adultes et celles chez les enfants. Ces derniers sont au final assez peu présents alors que le film s'inspire du roman de Jules Verne Deux ans de vacances où les relations entre les chérubins étaient autrement plus complexes et réalistes (avec les tensions et la violence que cela pouvait engendrer). Il est presque ironique de constater que, si le film s'adresse à un public juvénile, les personnages enfantins motivent moins le cinéaste qui préfère de loin brocarder le monde des adultes, leur hypocrisie, leurs apparences, leur autoritarisme ou leur arrogance. Ceux-ci apparaissent donc régulièrement ridicules et guindés derrière un protocole ronflant. Outre une presse à sensation, c'est avant tout les militaires qui s'avèrent les cibles privilégiées de l'auteur dont l'anti-militariste était évident. Il ne perd pas une occasion de les tourner en dérision entre des médailles bruyantes, l'arrivée d'un officier à qui l'on déroule littéralement un tapis rouge, sans oublier une réunion au sommet pour tenter de déchiffrer une lettre envoyée par les enfants qu'ils sont incapables de prendre au premier degré, préférant y déceler des messages cachés d'espionnage.

On devine presque que c'est dans cette satire que le cinéaste s'amuse le plus. Il est possible qu'ayant fait le tour de ses procédés d'animation, Zeman cherchait une nouvelle approche de sa mise en scène. Pas étonnant donc que Le dirigeable volé apparaisse presque comme un film-bilan dans sa carrière, effectuant des références évidentes, entres autres, aux Aventures fantastiques (ré-exploitant un décor et le personnage qui y était attitré) et à Voyage dans la Préhistoire (les enfants ici chassant le rhinocéros à la place des dinosaures). Cette volonté de vouloir se tourner plus volontiers vers un humour absurde et farfelu offre des séquences volontairement saugrenues, tels la voiture munie de jambes de cheval et tous les passages mettant en scène un espion adepte de gadgets improbables. Lors de l'arrivée impromptue de pirates, Zeman s'offre même le luxe d'un humour noir entre règlements de comptes entre flibustiers, une grande mutinerie ou un requin avalant un canon. Le cinéaste jongle sans doute avec trop d'éléments hétéroclites pour éviter un manque évident d'unité et le sentiment d'être face à plusieurs court métrages indépendants, surtout lors de son dernier tiers où le cinéaste court dans toutes les directions. Est-ce pour autant un mal ? Pas nécessairement car le rythme est incroyablement soutenu, rempli de moments mémorables et toujours servi par une inventivité permanente et  irrésistible. Tant pis si la cohérence n'est plus au rendez-vous. C'est quelque chose pour les grandes personnes de toute façon ! Quant au cinéaste, il poussera encore plus loin cette folie déjantée dans L'Arche de M Servadac qui s'imposera comme 75 minutes de pures hallucinations.



 

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La fiche IMDb du film

Par Anthony Plu - le 15 avril 2016