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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Dieu Eléphant

(Joi Baba Felunath)

L'histoire

Le détective Feluda est en vacances à Benarès avec son cousin et assistant Tapesh et son ami écrivain Lalmohan Ganguly. Son repos est interrompu lorsqu'il est sollicité par la famille Ghosal qui s'est vu dérober un objet précieux représentant Ganesh - le Dieu Elephant - dans sa demeure. Feluda va enquêter et se retrouver confronté à Maganlal Meghraj, commerçant vénal et malhonnête qui cherche à l'arrêter, et à un mystérieux homme saint qui vient d'arriver sur les bords du Gange.

Analyse et critique

Suite à l'échec commercial relatif des Joueurs d'échecs, son précédent film, Satyajit Ray retourne en 1979 vers le personnage de Feluda, qu'il avait déjà mis en scène cinq ans plus tôt dans La Forteresse d'or. Feluda est une pure création de Ray, qui lui donna d'abord vie dans des nouvelles et romans, il s'agit d'un détective intelligent plongé au cœur d'aventures policières. Le Dieu Elephant, qui fut d'abord distribué en France sous le titre de Vive le seigneur Felu, nous conte l'une d'entre elles. Sur les traces d'un objet d'art volé, Feluda y est aux prises avec un commerçant d'art véreux et impitoyable dans un film parfois amusant et divertissant, mais n'atteignant pas le niveau des standards du genre ou la qualité des œuvres majeures de Ray.

Le Dieu Elephant est incontestablement destiné au plus grand public, notamment le plus jeune, et se place pour cela sur le terrain de l'humour, avec un succès certain. Si l'intrigue est policière, en aucun cas Ray ne cherche à orienter son film vers la noirceur, mais au contraire désamorce toute les situations par le rire. On pense notamment au colocataire de nos trois héros, un monsieur muscle roulant des mécaniques et créant un décalage comique avec l'intelligence de Feluda. On pense également à la scène où Lalmohan, le compagnon de Feluda, est forcé par Maganlal, le méchant du film, à être la cible d'un lanceur de couteaux. Scène qui pourrait être porteuse d'une grande tension, elle l'est d'ailleurs pour les protagonistes du film, mais qui fait pourtant rire le spectateur, le lanceur de couteaux loin d'être un athlète, étant un vieil homme semblant peiner à chaque lancé. Ces scènes amusantes sont nombreuses, et pour la plupart réussies. Elles sont la grande force du film.

L'humour, comme souvent, repose sur la sympathie que l'on porte aux interprètes. Ici les spectateurs sont servis, les amateurs de Satyajit Ray retrouvant avec bonheur Soumitra Chatterjee, l'inoubliable acteur du Monde d'Apu, de Charulata ou de Kapurush, accompagné de quelques habitués du cinéma de l'auteur bengali comme Harradhan Bannerjee, ou encore Kamu Mukherjee. On est également convaincu par les performances des interprètes des deux compagnons de Feluda, Siddhartha Chatterjee et Santosh Dutta, parfaits dans leur rôle de sidekicks comiques. Toutefois, si la qualité des acteurs du Dieu Elephant est incontestable, celle de l'écriture de leurs personnages est bien plus critiquable. En effet, la plupart sont très archétypaux. Les "gentils" sont parfaits et infaillibles, le "méchant" sans la moindre once d'humanité, et nous avons l'impression de ne rencontrer que des caractères schématiques, des personnages dont les actions et les réactions sont évidentes. Ray fait dans le film plusieurs clins d'œil à la bande dessinée Tintin, et on serait d'ailleurs tenté de rapprocher Feluda du héros d'Hergé, intelligent et courageux, mais sans véritable épaisseur humaine, sans la moindre faille qui ouvrirait la porte à l'empathie. Autour du petit journaliste belge, une galerie de personnages secondaires savoureux remplit ce rôle, on ne peut pas en dire autant dans Le Dieu Elephant, où la plupart des personnages sont monolithiques, à l'exception peut-être du grand-père, seul être à montrer quelque richesse dans cette histoire.

La conséquence immédiate de ce manque d'épaisseur, c'est le manque d'intérêt ressenti par le spectateur pour les aventures narrées par Ray. Sans empathie pour les personnages du film, on ne se passionne pas vraiment pour ce qui pourrait leur arriver, ni pour leur quête. Ray essaye pourtant de raccrocher l'enquête au jeune enfant de la famille Ghosal, que l'on suit dans ses espiègleries, mais même lui ne parvient pas à retenir réellement notre attention. En plus de ce défaut dans le dessin des personnages, il faut bien dire que l'enjeu central de leur enquête n'est pas non plus très passionnant. Certes, la statuette volée est un McGuffin dans la plus pure tradition hitchcockienne, mais si elle a peu d'intérêt pour le spectateur, on peine également à comprendre en quoi elle revêt un intérêt pour les protagonistes du film. On voit mal pourquoi ces derniers se mobilisent pour retrouver cet objet plutôt insignifiant, impression renforcée par le développement de l'histoire, puisqu'il va s'avérer que le vol déclenchant toutes ces aventures n'en est pas vraiment un.

C'est par une série de rebondissements plutôt téléphonés que l'on en arrive à cette conclusion finalement attendue. Des rebondissements menés sans grand rythme, sans véritable sens du cinéma d'aventure dans la mise en scène et le montage proposés par Ray. On peut tracer un parallèle entre Le Dieu Elephant et les thrillers d'aventures d'Alfred Hitchcock, notamment L'Homme qui en savait trop (version 1956), et force est de constater que la comparaison n'est pas à l'avantage du cinéaste indien. Là où le maitre anglais sait créer un suspense insoutenable dans la moindre séquence, Ray engendre la plupart du temps un ennui poli. Certaines scènes qui pourraient être porteuses d'intensité semblent même désamorcées par sa mise en scène, comme celle montrant la mort de l'un des personnages filmée sans la moindre tension et rapidement éclipsée, comme si Ray cherchait à évacuer au plus vite la moindre trace de noirceur. Bien sûr, l'objectif évident du cinéaste est de produire un divertissement familial, mais l'aseptisation nous semble excessive et nuit finalement à la dynamique du film. Heureusement, on retrouve sa patte esthétique remarquable qui nous fait traverser avec grand plaisir les rues de Benarès, rendant tout de même le film agréable, mais il reste bien peu passionnant. On préfère de loin le Satyajit Ray qui nous emporte dans de grandes fresques humaines et sociales comme dans la trilogie d'Apu ou la Grande ville.

A l'évidence, Le Dieu Elephant n'est pas le film le plus ambitieux de Satyajit Ray. Certes, on peut évoquer quelques thématiques sous-jacentes, celle de la contrebande des œuvres d'art indiennes par exemple, mais ces questions restent uniquement effleurées. Ce n'est d'ailleurs pas forcément un défaut en soi, un pur film d'aventure peut être tout à fait réussi. Malheureusement, l'écriture n'est pas vraiment à la hauteur et Satyajit Ray n'exprime pas le meilleur de ses qualités avec ce type de matériau. Nous ne sommes toutefois pas face à un film totalement raté, les moments de comédie lui donnent un certain intérêt, son casting aussi, mais Le Dieu Elephant est finalement un Ray mineur et un film d'aventure au traitement trop léger et trop premier degré pour susciter un réel intérêt.

DANS LES SALLES

DISTRIBUTEUR : LES ACACIAS
DATE DE SORTIE : 9 AVRIL 2014

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Par Philippe Paul - le 8 avril 2014