Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Diable par la queue

L'histoire

Dans un château délabré du XVIIe siècle, propriété d'une famille de nobles désargentés, on attire les touristes avec la complicité du garagiste local. Jusqu'au jour où arrivent un séduisant gangster et ses deux complices qui transportent le butin de leur dernier méfait. La famille de châtelains n'a aucunement l'intention de laisser passer une pareille aubaine et le gangster est-il vraiment si pressé de partir...

Analyse et critique

Tous les meilleurs films de Philippe de Broca voient leurs héros lunaires se créer et évoluer dans un ailleurs fantaisiste représentant constamment une alternative à une réalité qui ne manque pourtant pas de les rattraper. L'expression la plus célèbre de ce motif est bien sûr Le Magnifique (1973) et son héros perdu entre fantasmes et réalité ou encore le Brésil de bd de L'Homme de Rio (1964). Cependant l’œuvre au sein de laquelle ce thème se déploie de la façon la plus personnelle sera aussi celle de son plus cuisant échec commercial, Le Roi de cœur (1966). Bien que gagnant une aura culte au fil des ans, notamment aux Etats-Unis (qui en produiront une version scénique sous forme de comédie musicale), cet accueil glacial de Le Roi de Cœur demeurera une profonde blessure pour de Broca. Les deux films suivants, Le Diable par la queue et Les Caprices de Marie (1970) compteront parmi les plus excentriques de la carrière du réalisateur. 

Cependant, la donne a changé et désormais De Broca prendra bien soin d’orner ses œuvres d’un vernis plus accessible, dans la forme, le casting (le choix de Belmondo en tête sur Le Magnifique) et même l’esthétique (Le Magnifique encore avec ses références aisément identifiables par le spectateur) moins aventureuse. Le Diable par la queue est donc le film « d’après » (si l’on fait exception du segment La Révolution française dans le film à sketches Le Plus Vieux Métier du monde (1967)) et témoigne de cette volonté en étant une sorte de remake « populaire » de Le Roi de Cœur : un personnage extérieur aux objectifs terre à terre (Yves Montand/Alan Bates) voit sa vision du monde changer et son excentricité révélée au contact d’un groupe de doux-dingues (les pensionnaires de l’asile/la famille d’aristocrates déchus) dont il va adopter l’existence. La mélancolie et l’étrangeté du Roi de Cœur laisse place au ton solaire et bondissant de Le Diable par la queue, pour une belle réussite mieux comprise par le public.

Dans Le Diable par la queue, cet ailleurs farfelu et libérateur cher à de Broca est représenté par un château du XVIIe siècle où subsiste de nos jours tant bien que mal une famille de nobles ruinés. Cette situation ne leur a en rien fait perdre de leur prestance et folie douce, comme le prouve leur manière de survivre dans leur demeure aussi prestigieuse que délabrée. Avec la complicité du garagiste local (Xavier Gélin) amoureux d'Amélie (Marthe Keller) cadette de la famille, les voitures des rares voyageurs sont sabotées afin que ceux-ci se réfugient au château transformé en auberge. La dernière fournée va leur ramener un séducteur vantard (Jean-Pierre Marielle) et sa maîtresse récalcitrante, un groupe de nudistes nordiques et surtout le baron César Maricorne (Yves Montand) faux noble et vrai escrocs en fuite après un hold-up. 

Philippe de Broca crée un décalage constant entre le vestige du passé que constitue le château et l'agitation bien contemporaine qui guide ses habitants. Dans un premier temps on appréciera la présentation savoureuse que fait le réalisateur de cette famille d'allumés (qui rappelle celle tout aussi azimutée de Le Farceur (1961)) entre le comte à la nonchalance toute aristocratique (Jean Rochefort parfait), la malicieuse grand-mère (Madeleine Renaud), la très avenante et séduisante comtesse (Maria Schell), l'effacée et discrète Jeanne (Clotilde Joano) et surtout Amélie et son sex-appeal ravageur. De Broca leur conserve cette langueur et port altier typique de leur rang à travers leur phrasé, leur maintien (Jeanne et ses poses mélancolique jouant du piano) tenues et respect des traditions (le dimanche matin tout le monde va à la messe bien évidemment). La rencontre avec leurs hôtes plus inscrits dans la réalité devrait donc créer un choc des cultures mais c'est tout l'inverse qui se produira.

La période de tournage en plein été coïncide avec le bonheur que traverse de Broca (qui vient d'épouser Marthe Keller qu’il filme amoureusement à travers le charme de ce sourire éclatant, coiffure à frange radieuse et jambes interminables dans ses minijupes) et confère au film une joie de vivre et une légèreté irrésistible. C'est cet esprit représenté par ces nobles insouciants qui contamine progressivement tous les autres personnages du film. Ce sera bien sûr le cas pour le malfrat joué par Yves Montand d'abord présenté sous un jour menaçant, tout de noir vêtu et taciturne. Afin de donner le change et échapper un temps à la police, il va donc se fondre dans le décor en y allant lui aussi de ses attitudes exubérantes, Montand s'en donnant à cœur joie dans un grand numéro de clown séducteur et beau parleur, forçant tous ses tics hâbleurs pour notre plus grand amusement. Le charme des lieux et de ses occupants opère donc lors de merveilleuses séquences où l'imagerie ensoleillée, le brio du réalisateur pour mettre en valeur le château (le château de Fléchères dans le département de l'Ain) et la musique envoutante (évoquant bien cette insouciance hors du temps) de Georges Delerue offre de purs moments de grâce tel cette partie de chat dans le parc. De Broca sait également s'éloigner de ce registre contemplatif pour des élans plus boulevardiers hilarants dans le climat de séduction entre Yves Montand et Maria Schell (ou les essais infructueux de conclure pour Xavier Gélin) et surtout les tentatives d'assassinat ratées afin de récupérer le fameux magot qui permettrait de restaurer le château.

Ce cadre est ainsi propice à libérer la fantaisie qui sommeille en nous, pour un temps ou pour de bon à l'image d'un Montand qui comprendra qu'il ne joue pas mais est enfin lui-même dans cette légèreté qu'il dégage (voir le moment où il rejoint les nudistes en riant après avoir manqué de se noyer). Une belle réussite au charme contagieux et pas dénué de la mélancolie typique de De Broca (Claude Piéplu étonnamment tragique dans le délire ambiant, son dépit rappelant celui de Jean-Louis Maury dans Les Jeux de l'Amour) dans cet idéal de comédie populaire.

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La fiche IMDb du film

Le diable
par la queue
BLU-RAY

 sortie le 4 février 2025
 éditions Coin de mire cinéma

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Par Justin Kwedi - le 10 mars 2025