Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Dernier jour de la colère

(I giorni dell'ira)

L'histoire

Dans la petite ville calme et prospère de Clifton, Scott, né d’une prostituée et de père inconnu, est le souffre-douleur des habitants. Sous les insultes, il ramasse les excréments ou nettoie le saloon sans rétribution ou presque. Un jour, le pistolero Talby débarque en ville, et va abattre un homme en défendant Scott. Ce dernier voit en Talby celui qui pourra le sortir de sa condition, et le suit pour se mettre à son service. Le pistolero, après lui avoir inculqué quelques leçons et avoir observé son habileté aux armes, en fait son bras droit.

Analyse et critique

Après avoir passé le début des années 60 dans l’ombre, en tant que scénariste ou assistant réalisateur, notamment sur Pour une poignée de dollars, Tonino Valerii est passé à la réalisation en 1966, évidemment dans le registre du western, avec Lanky, l’homme à la carabine, film regardable mais inabouti. Sa deuxième tentative, l’année suivante, sera Le Dernier jour de la colère, adaptation d’un roman allemand Rolf Becker. Le sujet du film rappelle, plutôt que sa variation italienne, le western américain traditionnel, en se concentrant sur la question du « pistolero le plus rapide de l’ouest » et de l’engrenage de violence dans lequel il est pris. On pense, évidemment, à La Cible humaine d’Henry King ainsi qu’à quelques autres films qui ont imposé, dans l’inconscient du spectateur, ce thème comme central dans la légende de l’ouest racontée à Hollywood. Mais nous sommes en Italie, le trio de scénaristes constitué de Tonino Valerii, Ernesto Gastaldi et Renzo Genta transpose donc ce récit classique vers de tout autres enjeux, profondément européens, profondément italiens, pour nous offrir un film d’une grande richesse politique et psychologique, enrobé dans les atours des meilleurs westerns transalpins : de grands moments d’actions et quelques images mémorables.

Le Dernier jour de la colère s’ouvre sur le décor d’une petite ville typique de l’ouest. Mais contrairement à l’habitude, cette ville semble calme et prospère. Les habits des locaux témoignent de cette richesse, nous sommes loin de l’ouest poisseux et violent, toile de fond presque systématique du western italien. Dans ce monde, nous découvrons Scott, celui qui, comme le dit un des habitants, « ramasse la merde » à Clifton. Pendant une assez longue introduction, sans la moindre action – fait rare pour le genre – nous observons un paria de cette société, pauvre parmi les riches, incarnation évidente des laissés pour compte du miracle économique italien. Sans aucune option pour sortir de sa condition, Scott voit en Talby, le pistolero qui débarque dans Clifton et va abattre sèchement un homme qui se moque du jeune homme, celui qui peut lui permettre de sortir de sa condition, voire de se venger. Une solution qui va le voir suivre le sillage d’un homme violent, avec les autres mais aussi avec Scott, lui assenant des leçons parfois humiliantes. Talby, c’est la fausse solution du crime et de la violence, pour ceux qui n’ont pas leur place dans la société italienne de la fin des années 60.


Le Dernier jour de la colère déroule ce récit sous une forme qui peut paraitre singulière pour le genre, Valerii ne multipliant pas les scènes d’action et de violence. Celle-ci sont plus rares qu’à l’habitude, mais marquante, comme le duel au fusil que gagne Talby, ou l’incendie du saloon de la ville. Elles articulent un film qui se concentre plus sur l’évolution de ses personnages, et sur l’analyse sociale de la communauté de Clifton. Cette ville, que l’on pourrait dire bourgeoise, cache un secret, celui de l’enrichissement de ses membres les plus éminent, qui pourrait presque apparenter le film à un drame chabrolien, agrémenté de poussière et de colts. La manière dont Talby, aidé par le jeune Scott, va se venger de ses habitants, et filmé comme une vengeance flamboyante, qui culmine dans l’incendie du saloon qui purifie une ville corrompue, et l’entraine simultanément dans la destruction. L’injustice sociale et la destruction ont créé la violence, mais cette violence, finalement, n’apporte que des ruines.


La mécanique du récit rappelle celle du précédent western tourné par Lee Van Cleef, La Mort était au rendez-vous dans lequel son personnage associait déjà sa vengeance à celle d’un jeune homme. Mais ici les personnages sont plus profonds, leurs rapports plus complexes, le résultat plus riche. Le film est mieux décrit par son titre original, qui se traduit littéralement par Les Jours de la colère, la colère de Talby, floué il y a bien longtemps par des complices et celle de Scott surtout, humilié pendant toute sa jeunesse, qui va s’exercer sur la ville de Clifton. Entrainé par Talby, Scott fait sont retour à Clifton sur de sa force, pour se venger de la ville, quitte à mettre tout le monde dans le même sac, y compris Murph Allan, le vieux pistolero qui lui servait de compagnon dans ses années de misère. La force qu’il a acquis et la violence dont il fait preuve ne lui permettent pas de punir seulement les coupables de son malheur. Ses actes frappent tout le monde, et détruisent la société tout entière. Son retour, où il humilie le propriétaire du Saloon, qui le traitait comme un moins que rien, et l’illustration marquante, par la puissance des mots et du regard de Giuliano Gemma, d’un changement terrible : Scott est devenu l’oppresseur, et même Murph ne peut plus le faire changer d’avis.

Talby, sous les traits saillants de Van Cleef, est l’âme damnée de Scott, qui lui permet de faire exploser sa colère après 20 ans de mauvais traitement. Une vengeance rendue compréhensible par les premières minutes du film, mais qui ne peut s’exprimer qu’avec l’aide d’un criminel impitoyable, qui laisse derrière lui une trainée de cadavres. Comme le dit le sheriff de Clifton, Scott se vend pour peu de chose. Mais avait-il le choix ? Dans sa condition, a-t-il un autre moyen de s’en sortir que de céder à la violence ? Par extension Valerii illustre l’impasse d’une Italie dans laquelle la seule échappatoire aux injustices économiques est une violence absolue, qui ne résoudra rien et ne laissera que des ruines. Valerii exploite un thème classique du western, celui du tireur le plus rapide enfermé dans la violence et toujours menacé appliqué à un raisonnement social, celui d'un ascenseur efficace mais inarrêtable pour Scott, qui fait penser par anticipation à la logique politique des polars italiens à venir, transposée dans un autre décor.


Après un premier coup d’essai, Valerii signe avec son second film une grande réussite. Grâce à un duo d’acteur Van Cleef/Gemma très complémentaire, mais aussi avec un vrai sens visuel qui permet d’offrir des images marquantes au sujet d’une réflexion tout à fait passionnante. Avec Le Dernier jour de la colère, il fait le lien entre son mentor Sergio Leone, dont il s’inspire indéniablement du style, et la richesse thématique de celui d’un autre maitre du western italien, Sergio Sollima. Le meilleur de ce que peut offrir le genre.

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Par Philippe Paul - le 11 juillet 2024