Otez les termes "ranch" et "saloon" du résumé du film ci-dessus et dites-moi si vous n’auriez pas pensé avoir affaire à un mélodrame ! Si durant les années 50, les drames familiaux se sont incrustés dans les westerns (de prestige le plus souvent), en 1951, on ne peut pas dire que la psychologie et ce genre de sujets y étaient à la mode, l’action primant alors sur le reste. Il y eut bien quelques précédents avec l’étonnant
Duel au soleil qui assumait entièrement son côté mélodramatique appuyé, mais aussi
La Vallée de la peur (
Pursued - 1947) de Raoul Walsh ou
Ciel rouge (1948) de Robert Wise, mais ce furent des exceptions et, par ailleurs, des semi-ratages de leurs cinéastes respectifs, la lourdeur des scénarios venant plomber ces westerns néanmoins tout à fait honnêtes.
La Vallée de la vengeance, aujourd’hui salement vilipendé, fut donc l’un des premiers westerns dits "adultes" car souhaitant faire acquérir au genre, par ce regain d’ambition, une légitimité après laquelle il courait jusqu’à présent. La décennie sera d’ailleurs marquée par son apogée, tous les grands réalisateurs y oeuvrant s’étant engouffrés dans la brèche pour offrir au public des westerns d’une intelligence et d’une force émotionnelle rares. Ce furent, entre autres, Anthony Mann, Raoul Walsh, Delmer Daves, John Sturges, John Ford, qui donnèrent au western ses lettres de noblesse : grâce à eux, les critiques et journalistes de tout bord reconnurent que le western pouvait être plus qu’un simple divertissement du samedi soir exclusivement réservé à un public avide de sensations fortes, et qu’il pouvait désormais donner à réfléchir et à émouvoir n'importe quel spectateur. Ce n’est pas pour autant qu’il faille, au contraire, rabaisser les ‘séries B’ qui insufflèrent, elles aussi, du sang frais et de la vigueur au milieu de ces psychodrames et mélodrames de l’Ouest : les deux pouvaient cohabiter côte à côte pour le plus grand plaisir des aficionados, et c’est cette cohabitation qui fit la richesse du western dans les années 50.

Aux commandes de ce
Vengeance Valley, nous trouvons Richard Thorpe. Homme à tout faire de la prestigieuse MGM, le cinéaste est assez peu apprécié en France et son nom ne dit certainement pas grand chose au commun des mortels. Il est pourtant extrêmement connu du téléspectateur français. En effet, par le fait d’un seul homme, il se pourrait fort bien qu’il ait le privilège de cumuler le plus grand nombre de diffusions de ses films à la télévision publique française et ce, sur l’unique France 3. Vous aurez donc compris que cet homme est bien évidemment Patrick Brion, le rare journaliste français à porter le réalisateur au pinacle : nous leur sommes gré, nous, trentenaires ou quarantenaires, de nous avoir fait passer des après-midi ou soirées inoubliables, enfants ou adolescents que nous étions. Cinéaste prolifique ayant tourné plus de 150 films entre 1924 et 1967, nous retiendrons surtout de lui des titres qui en ont fait rêver plus d’un :
Tarzan s’évade (1936) ou le très sombre
La Force des ténèbres (1937) pour commencer. Mais ce sont surtout ses œuvres des années 50 qui demeurent les plus célèbres. S’il s’est illustré dans à peu près tous les genres (comédie musicale avec
Trois petits mots,
Le Rock du bagne ; film noir avec
La Main noire,
La Maison des 7 faucons…), c’est dans le film d’aventure qu’il se fit surtout remarquer :
Ivanhoé (1952) ;
Le Prisonnier de Zenda (1952) ;
Les Chevaliers de la Table Ronde (1953) ;
Quentin Durward (1955)… Aucun de ces titres ne mérite de passer à la postérité et pourtant ils ont pour particularité d’être faits avec un très grand professionnalisme. Des westerns, il commença à en tourner à la pelle dès 1926, oeuvrant surtout dans le serial et les films de série sans importance.
La Vallée de la vengeance est son avant-dernier, le suivant étant tout simplement son ultime réalisation en 1967, le très beau
Le Pistoléro de la rivière rouge (
The Last Challenge).
La Vallée de la vengeance est donc, pour l’époque, un curieux western très concis (à peine 80’) mêlant au cadre classique du Far West une intrigue mélodramatique. Dans un très beau et très simple prologue bucolique et apaisé, la voix off d’un jeune cow-boy candide et naïf nous décrit ses états d’âme alors qu’il effectue le rassemblement d’un troupeau au milieu de grandioses paysages. Puis… «
les ennuis ont commencé le soir de leur arrivée ». Et le voilà à présent narrant les drames touchant plusieurs familles entremêlées : cet homme sans cesse préoccupé par le demi-frère qu’il protège, couvrant toutes ses frasques pour ne pas peiner son père adoptif et sa belle-sœur qu’il aime plus que tout au monde ; ces hommes désireux de venger l’honneur de leur sœur mise enceinte et abandonnée par la suite ; cette jeune épouse refusant que son mari ne la touche une fois connue son infidélité passée mais acceptant de rester au ranch, elle aussi pour ne pas sanctionner le beau-père qui l’a acceptée avec chaleur sous son toit ; ce "bad guy" qui fait quelques efforts pour s’amender mais dont le caractère et le tempérament le poussent irrémédiablement du mauvais côté de la barrière… Les ressorts dramatiques, qui se révélèrent très adultes pour un western, nous les devons surtout à l'influence du scénariste Irving Ravetch, un spécialiste du mélodrame qui co-signera, entre autres, le script du superbe
Celui par qui le scandale arrive de Vincente Minnelli et qui deviendra aussi le scénariste attitré de Martin Ritt pour qui il écrira
The Long, Hot Summer,
The Sound and the Fury,
Hud ou
Hombre. L’histoire dont s’est inspiré Ravetch est signée Luke Short, auteur de romans ayant donné lieu à d’autres westerns assez singuliers tels
Ciel rouge de Robert Wise,
La Cité de la peur de Sidney Lanfield (espèce de Marlowe au Far West) ou
Ambush de Sam Wood.

Pour que cette variation sur Caïn et Abel puisse être réussie et intrigante, il fallait que les acteurs soient convaincants et n’en fassent pas des tonnes pour ne pas alourdir ce script déjà au départ bien chargé dramatiquement parlant. Pari gagné puisque Richard Thorpe se révèle un excellent directeur d’acteurs. Du premier au dernier rôle, tout le monde est excellent et se fond dans son personnage le plus sérieusement du monde. Burt Lancaster tout d’abord, qui s’était fait une réputation par l’intermédiaire du film noir (
Les Tueurs,
Criss Cross…) et pour qui il s’agissait de son premier western. De nombreux chefs-d’œuvre du genre suivront avec l’acteur pour vedette (
Bronco Apache,
Vera Cruz…). Pour l’anecdote, il refusa d’être doublé et exécuta lui-même toutes les cascades et combats à mains nues. Owen Daybright lui offre l’opportunité de déployer toutes ses capacités d’acteur dramatique et de démontrer son charisme. En outre,
Vengeance Valley fut malheureusement l’un des derniers rôles du jeune Robert Walker, mort d’une crise cardiaque en 1952 à l’âge de 37 ans. Il était inoubliable de sobriété aux côtés de Judy Garland dans le magnifique
L’Horloge de Vincente Minnelli et fut ensuite surtout célèbre pour son rôle de Bruno Anthony dans
L’Inconnu du Nord Express d'Alfred Hitchcock. Dans la peau de Lee, il est brillant et attire malgré tout la sympathie, son personnage n’ayant pas été écrit tout d’un bloc ; il aurait très bien pu rivaliser avec Arthur Kennedy dans ce genre de rôle de "méchant" qui ne l’est pas vraiment et sur lequel nous arrivons parfois à nous apitoyer. N’oublions pas la ravissante et talentueuse Joanne Dru, l’une des actrices que les amateurs de western affectionnent le plus, ayant tourné en quelques années dans trois des plus beaux fleurons du genre, à savoir
La Rivière rouge,
La Charge héroïque et Le
Convoi des braves. Dans le film de Thorpe, elle est une nouvelle fois impeccable. Le reste de la distribution est irréprochable mais retenons tout de même le nom de John Ireland, excellent second couteau, qui sera une nouvelle fois confronté à Burt Lancaster dans le superbe
Règlement de comptes à OK Corral (1956).
Aucun trait de génie dans ce western mais une solidité à toute épreuve, et ce, à tous les niveaux. Que les amateurs d’action se rassurent : si elle est confinée à quelques séquences, ces dernières sont loin d’être mauvaises. Il faut dire que
La Vallée de la vengeance est également connu comme étant l’un des premiers westerns réalistes pour la violence des deux combats à poings nus ; une violence sèche et brutale. Le dernier quart d’heure est même assez mouvementé, voyant se dérouler le rassemblement du bétail, le guet-apens puis la poursuite des deux frères dans de très beaux décors naturels au Colorado et dans les Montagnes Rocheuses. Le tout admirablement photographié par le chef-opérateur George Folsey qui nous enchanta par son travail sur
Le Chant du Missouri,
Harvey Girls,
Les Sept femmes de Barberousse ou encore
Planète interdite, et enveloppé d’une très belle partition, ample et discrète, jamais pompière ni grandiloquente, d’un compositeur qui mérite d’être redécouvert : Rudolph G. Kopp. Bref, un western efficace et émouvant de très honnête facture ficelé par un réalisateur qui connaît très bien son métier.