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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Route semée d'étoiles

(Going My Way)

L'histoire

Le père O'Malley (Bing Crosby), un jeune ecclésiastique, est chargé par son évêque de seconder un vieux prêtre dans un quartier pauvre de New York, le père Fitzgibbon (Barry Fitzgerald), en place dans cette paroisse de Saint-Dominique depuis une quarantaine d’années. Grâce à des méthodes modernes comme le recours au sport et au chant, et à un esprit très ouvert, il parvient non seulement à réveiller l'intérêt des fidèles mais aussi à éviter aux jeunes de tomber dans la délinquance. Sceptique quant aux actions de O’Malley qui le heurtent un peu, le vieux curé se questionne quant à son utilité et sur leurs divergences de point de vue au point de demander à l’évêque d’envoyer O’Malley dans une autre paroisse. Mais le jeune prêtre, qui a pour le vieil homme une sincère amitié, tente de l'associer à la tâche qu'il a entreprise pour redresser son église que de vils promoteurs ont pour intention de détruire...

Analyse et critique


En 1944, nommé sept fois aux Oscars, ce sommet inégalé du film noir qu’est Assurance sur la mort (Double Indemnity) de Billy Wilder se verra passer devant à chaque fois par une comédie au très faible budget signée Leo McCarey, le film qui nous concerne ici : La Route semée d’étoiles (Going My Way). Avec le recul, l’injustice est flagrante mais l'essentiel demeure que le troisième film de Wilder, celui qui le consacre définitivement et le fait entrer dans la cour des grands, soit aujourd’hui reconnu à juste titre comme l’un des chefs-d’œuvre du genre. Ce n’est pas pour autant que le film de McCarey doive être déprécié en guise de punition revancharde : il ne le mériterait pas plus que cette "sur-adoration- à mon humble avis un peu excessive mais que Jacques Lourcelles, avec sa passion communicative et contagieuse, pourrait nous faire reconsidérer comme légitime lors d’un futur visionnage : "Selon le postulat qui est à la base de l’œuvre, chaque être vivant conduit seul sa destinée mais, par sa présence attentive à autrui, se transforme lui-même en transformant les autres […] Humour et émotion, à force de se côtoyer, n’existent plus séparément en tant que tels. Ils sont transformés en quelque chose d’autre : une sorte de béatitude, de contentement profond de l’âme qui passe des personnages aux spectateurs comme un courant magique […] C’est ici le triomphe d’un cinéma de fascination absolue, fondé non pas sur le malheur et la souffrance des êtres comme c’est habituellement le cas, mais sur une alchimie de bons sentiments que McCarey semble être le seul de tous les réalisateurs à avoir su mener à son terme."


Appliquant en tous points cette conclusion à An Affair to Remember (Elle et lui seconde version), il m’est d’autant plus aisé de comprendre le délire de Lourcelles à propos de Going My Way, apologie au charme irrésistible de la gentillesse, de l’espoir et de l’entraide. Car avec néanmoins quelques bémols, j’aurais pu aussi dire de ce film comme je l’écrivais de Elle et lui : "Que c’est agréable de sentir son cœur chavirer, que c’est bon de pouvoir être cueilli de la sorte sans forcément s’y attendre ! Enchanteur et d’une tendresse infinie..." Leo McCarey a beau avoir été un catholique fervent, ce sont sa douceur et sa générosité qui ressortent bien plus que sa possible "bigoterie" ; d’ailleurs, Dieu est totalement absent du vocabulaire du jeune prêtre inoubliablement interprété par un Bing Crosby au sommet de son art, parfaitement à son aise dans ce rôle, tout en underplaying et faisant passer ses émotions presque uniquement par la puissance du regard. Si en France plus grand monde ne connait le père O’Malley (que l’on retrouvera dans un autre film de McCarey de la même année, Les Cloches de Sainte Marie, dans lequel le prêtre croisera la route d’une nonne interprétée par Ingrid Bergman), aux États-Unis c’est un personnage mythique au même titre qu'un Robin Hood, qui sera même campé par Gene Kelly dans une série télévisée lui étant consacrée. O'Malley, un jeune prêtre assez gauche et malchanceux (tout le début du film joue sur ce registre tendrement humoristique), qui sème le bien partout où il passe grâce à sa bienveillance, son ouverture d’esprit et son empathie. Dans Going My Way, il vient soutenir un vieil ecclésiastique qui a fort à faire face à un promoteur immobilier sans scrupules, méchant et fier de l’être (une idée assez cocasse elle aussi) qui tient absolument à ce que son crédit lui soit intégralement remboursé au plus vite.


O'Malley va essayer de trouver l'argent pour le rembourser et en profite pour apporter du neuf ainsi qu'une nouvelle vigueur à la paroisse, les habitants du quartier finissant tous par succomber à son charme. Il empêchera tous les garnements du coin de sombrer dans la délinquance en les faisant créer et participer à une chorale, aidera une fille de mauvaise vie à retrouver un peu de dignité, et fera tout pour accomplir in fine le rêve le plus fou du vieux prêtre bougon (superbe Barry Fitzgerald), lui faire revoir sa vieille mère (personnage dont ont dû s’inspirer les créateurs de Coco de Pixar/Disney tellement la grand-mère lui est ressemblante). Vêtu parfois d’une tenue de sport, la tête coiffée d’un canotier à la Maurice Chevalier, ce curé de choc, réformateur et progressiste n’a de cesse de faire passer ses messages et de véhiculer ses idées par l’intermédiaire de la musique, la voix douce et chaude de Bing Crosby oblige. Tellement éloigné des canons d’un homme d’Eglise, semblant avoir même vécu une histoire d’amour avec une chanteuse d’opéra, on lui demandera tout au long du film les motifs pour lesquels il est entré en religion sans jamais en connaitre la réponse car à chaque fois qu’on lui posera la question, elle sera éludée par l’intervention d’éléments impromptus qui empêcheront le principal intéressé de pouvoir nous éclairer à ce sujet. Une idée de running gag assez géniale de Leo McCarey, qui fait ici preuve d’un parfait sens du timing comique au sein pourtant d'un film au récit rythmé paisiblement et dépourvu de tout climax dramatique.


A ce classique de McCarey qui - à l’instar du superbe Stars in my Crown de Jacques Tourneur - par sa sincère richesse morale et sa totale absence de cynisme, parvient à éviter les écueils de la mièvrerie, du puritanisme et d'un sentimentalisme écœurant, on pourra néanmoins reprocher des personnages féminins moyennement bien interprétées par Jean Heather et Risë Stevens (dont la voix de soprano pourra également faire grincer des dents), des digressions et intrigues secondaires pas toujours captivantes comme celle concernant le couple Jean Heather/James Brown, ainsi que des chansons assez inégales, seule l’oscarisée Swingin' on a Star ayant mérité de passer à la postérité. Mais pour la description chaleureuse de cette petite communauté et pour les nombreuses séquences magiques réunissant Bing Crosby, le nonchalant jeune prêtre avant-gardiste et compatissant, et Barry Fitzgerald, le vieux curé conservateur plein de préjugés mais pas mauvais bougre pour autant, leur confrontation, leurs relations et leur rapprochement représentant ce qu’il y a de meilleur au sein du récit, ce beau film de Leo McCarey mérite la (re)découverte. Une bouffée d’oxygène, une parenthèse d’apaisement et d’humanité ainsi qu’un gage d’espoir pour le public américain de 1944 alors que le second conflit mondial n’en avait pas encore fini ; d’où probablement son incroyable et phénoménal succès. Un hit d'autant plus satisfaisant que personne ne misait un sou sur ce projet et que l'on proposa même 75 000 dollars à son auteur pour l'abandonner !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 22 mai 2023