Critique de film
Le film
Affiche du film

La Résidence

(La Residencia)

L'histoire

Le Sud de la France, un pensionnat de filles comme il en existait autrefois tant. Nouvelle dans l'établissement, la timide Teresa réagit mal à l'atmosphère mortifère qui y règne et à la discipline de fer qu'applique sa directrice, la rigide Mme Fourneau dont toute l'affection va à son fils en dépit d'une fâcheuse tendance au voyeurisme. Tandis que les châtiments corporels redoublent d'intensité, une pensionnaire disparait, puis une deuxième... Des fugues ? Possible, mais c'est bientôt la thèse du tueur qui domine.

Analyse et critique

La Résidence est une œuvre marquant un tournant puisque préfigurant toute la vague du cinéma fantastique qui inondera les écrans espagnols durant toute la première moitié des années soixante-dix. C’est la première réalisation de la trop courte mais essentielle filmographie de l'Uruguayen Narciso Ibáñez Serrador, dont le second et dernier essai sera aussi le plus connu avec  Les Révoltés de l'an 2000 (¿Quién puede matar a un niño? - 1976). Cette rareté du réalisateur vient de la multitude des activités de ce trublion du paysage médiatique espagnol, à la manière d’un Takeshi Kitano au Japon. En effet, accaparé par la production et la présentation d’Un, dos, tres ... responda otra vez, un jeu télévisé culte en Espagne diffusé de 1972 à 2004, il n’eut plus le loisir de renouer avec le cinéma par la suite. C’est cependant en artiste à l’expérience déjà très solide qu’il va s’attaquer à La Résidence. Narciso Ibáñez Serrador est un enfant de la balle, très tôt au contact du mode du spectacle par l’entremise de son père, l’acteur Narciso Ibáñez Menta. 

Après des débuts précoces sur les planches de théâtre où il sera acteur puis metteur en scène, Narciso Ibáñez Serrador se réoriente vers l’écriture mais va se heurter à la censure franquiste refusant les pièces qu’il propose. Il rejoint son père en Argentine où il va entamer une carrière à la télévision. Il va notamment y faire ses débuts de réalisateur sur Mañana puede se verdad, une anthologie de récit fantastique dont il reprendra le principe et le titre à son retour en Espagne en 1963, puis sous une forme restée bien plus célèbre avec Historias para no dormir. Plus orientée horreur, cette série est un formidable laboratoire pour Ibáñez Serrador, dont la diffusion va bercer l’imagination de toute une génération de futurs réalisateurs hispanique. Le script de La Résidence est justement pensé au départ pour un épisode de la série, mais Narciso Ibáñez Serrador y décèle le potentiel d’un long-métrage et va entièrement reprendre et enrichir le premier jet de Juan Tebar dans ce sens.

L’appétence d’Ibáñez Serrador pour l’imaginaire fantastique anglo-saxon et la volonté d’éloigner le spectre de la censure va installer le récit hors d’Espagne, mais aussi influencer la production. Le projet est d’emblée pensé pour une exploitation internationale avec un tournage en langue anglaise et un casting cosmopolite à la tête duquel on trouve la star allemande Lilli Palmer. Bénéficiant de moyens confortables (le film fut en son temps le plus gros budget alloué à une production espagnole), La Résidence est, entre autres qualités, un régal formel. Le pensionnat est une merveille de décor gothique par son ampleur, son architecture et son mobilier renvoyant à un passé mystérieux auquel se conjugue l’éducation rigoriste inculquée aux jeunes filles. Le contraste fonctionne par la rigueur de ces lieux prolongé par la sévérité de la directrice Madame Fourneau (Lilli Palmer), en opposition au tempérament frivole des pensionnaires. Celles-ci sont des « filles perdues » placées là pour être remise sur le droit chemin, et l’essentiel de la tension dégagée par le récit sera érotique. Il y a d’abord la libido en ébullition de ces jeunes femmes tout sauf innocentes, mais aussi une sensualité et un désir plus coupable rattachés à Madame Fourneau. Les relents masochistes, lesbiens et pédophiles irriguent la tendresse dont la directrice fait montre envers une élève rebelle après un sévère châtiment corporel, sans parler de l’affection maladive et incestueuse exprimée auprès de son fils Louis (John Moulder-Brown) aux penchants voyeurs.

La mise en scène d’Ibáñez Serrador fait passer par l’image tout le souffre du propos. Un montage alterné entre la prière du coucher et les coups de fouets assénés en punition crée une sorte de vertige entre innocence de façade et excitation coupable, et plus tard le même procédé fait au contraire se rejoindre le stupre que l’on ne peut montrer (une élève couchant avec un homme de passage) et l’émoi des jeunes filles sachant ce qu’il se passe tout en poursuivant leurs travaux de coutures. La symbolique est frontale, mais déploie un vertige entre la métaphore de l’image (cette aiguille perçant un doigt jusqu’à le faire saigner) et l’explicite de la bande-son inondée par les gémissements langoureux de l’adolescente. L’innocence est synonyme de faiblesse qui vous expose telle la nouvelle venue Thérèse (Cristina Galbó), harcelée, humiliée et sans doute désirée par la tyrannique Irène (Mary Maude). 

Plus l’isolement est grand, plus l’expression provocante de ces sentiments irrépressibles est violente. Les caves, pièces isolées, granges et greniers sont les lieux de tous les excès dans ce cadre sévère, et Narciso Ibáñez Serrador fige les caresses, les baisers et les meurtres dans un même motif formel avec ces zooms et arrêts sur image s’attardant sur un coup de poignard, une étreinte mère/fils trop tendre, une gorge tranchée. Eros et Thanatos s’entremêlent ainsi de bout en bout jusqu’à un saisissant rebondissement final qui laisse bouche bée, tant par son effet de surprise que par son expression macabre et psychanalytique. La Résidence est un classique gothique méconnu dont l'influence se ressent dans des oeuvres qui feront date dans le fantastique, en premier lieu le Suspiria de Dario Argento.

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 7 mai 2025