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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Princesse errante

(Ruten no ôhi)

L'histoire

Tokyo, 1937. Ryuko (Machiko Kyo) est une jeune fille de l’aristocratie japonaise qui se rêve en artiste peintre. Elle vit avec insouciance auprès de ses parents et de sa grand-mère dans une luxueuse demeure familiale. Lorsque le général Asabuki se fait l'ambassadeur de l'Armée pour proposer un mariage entre Ryuko et Futetsu, le frère cadet de l'empereur de la Mandchourie, la famille est dans un premier temps réticente. Mais la raison politique, le prestige et une première rencontre au cours de laquelle Futetsu fait bonne impression finissent de convaincre. Le mariage est célébré le 3 avril 1937 et Ryuko quitte le Japon avec son époux. Ils vivent heureux et ont un enfant mais leur bonheur est interrompu lors de l’invasion soviétique de la Mandchourie en 1945…

Analyse et critique


En 1958, alors qu’elle venait de triompher devant la caméra de Keisuke Kinoshita dans La Ballade de Narayama, Tanaka déclare à un journal japonais à propos de son travail de cinéaste : “Je traverse en ce moment une période d’hésitation et je n’arrive pas à me décider. Je me dis que je vais y arriver mais je reste sans rien faire quand même. Je pense que je vais vraiment arrêter le métier de réalisatrice. Avant d’arriver derrière la caméra, j’éprouve la même fatigue que si je venais de jouer un rôle.” Mais très peu de temps après la publication de La Tragédie de la cour de Mandchourie, les mémoires de Hiro Saga, épouse du frère de Puyi, dernier empereur de Chine, devenu empereur du Mandchoukouo en 1934 (celui-là même dont la biographie a été narrée par Bernardo Bertolucci dans Le Dernier Empereur), un projet d’adaptation cinématographique est pressenti. Il aboutit entre les mains de Kinuyo Tanaka qui, après 5 ans d’absence derrière la caméra, va multiplier à cette occasion les premières fois puisqu’elle tourne alors pour un grand studio (la Daei) avec un très gros budget à la clé, en couleurs et en format scope. Cette coûteuse production avec pour vedette la star maison, Machiko Kyo, bénéficiera d’une direction artistique somptueuse, le film étant un véritable régal pour les yeux, que ce soit au niveau des décors, des costumes et de la photographie qui nous offre pas mal de plans inoubliables.


La Princesse errante est une fresque historique qui s’articule autour d’un personnage féminin et qui rend ainsi l’entreprise assez singulière pour l’époque même si ce ne fut pas la première. Les noces entre Ryuko et Pujie avaient pour principal enjeu de renforcer la position du Japon en Chine alors qu’il occupait la Mandchourie. Une union qui aurait pu se dérouler très sereinement et durant de longues années d’autant que les deux époux s’entendirent à merveille malgré le mariage arrangé. Sauf que l’Armée Rouge soviétique venue libérer cette province chinoise de l’emprise japonaise mit fin à cette belle idylle, la femme devant prendre la fuite en compagnie de sa fille et de l’impératrice. Un périple dangereux et fastidieux qui se terminera néanmoins par son retour au Japon après des années d’exil. On comprend aisément ce qui a pu attirer Kinuyo Tanaka dans cette destinée tragique et tumultueuse d’une femme hors du commun. Elle sera aidée dans sa tâche par une autre femme, la scénariste Natto Wada, épouse de Ken Ichikawa qui écrira pour lui ses plus beaux films dont le magnifique La Harpe de Birmanie.


Admiré par beaucoup, il n’est pourtant pas interdit de penser que La Princesse errante marque les limites de la réalisatrice. En même temps, combien de cinéastes hollywoodiens parmi les plus prestigieux se sont eux aussi cassés les dents sur de telles superproductions, incapables de donner du souffle épique à leur fresque historique, figés notamment par l’utilisation du cinémascope. C’est malheureusement ce qui arrive aussi à Kinuyo Tanaka qui à mon humble avis nous offre un film à la direction artistique certes irréprochable, raffinée et délicate, mais qui n'arrive jamais vraiment à décoller et qui ressemble bien plus à un beau livre d’images sans vie ni âme et aux personnages désincarnés qu'à une ample fresque passionnée. Il aurait aussi peut-être fallu un minimum de didactisme (au sens noble du terme) afin de pouvoir appréhender et comprendre tous les enjeux historiques de ce récit assez peu clair de ce point de vue, tout du moins pour un spectateur occidental. Cependant rien de honteux non plus et il est fort probable que beaucoup parviendront à se laisser happer par cette soigneuse épopée tragique d’une belle dignité mettant une fois encore en avant la difficulté de la condition féminine au Japon, le tout porté par une musique lyrique de Chuji Kinoshita.


Lire le dossier 6 films de Kinuyo Tanaka

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 7 novembre 2022