Critique de film
Le film
Affiche du film

La Police a les mains liées

(La Polizia ha le mani legate)

L'histoire

En pleine conférence internationale, une bombe explose dans le hall d’un hôtel milanais. Le commissaire Balsamo identifie par hasard l’un des terroristes et est à deux doigts de l’interpeler. Mais il échoue, et sera assassiné. Son collègue, le commissaire Matteo Rolandi, reprend l’enquête avec le procureur Armando Di Federico. Deux hommes au caractère différents mais unis par leur intégrité face à un monde corrompu. Ils vont rencontrer de nombreuses embûches dans leur quête de vérité.

Analyse et critique

Pour l’amateur de cinéma de genre italien, le nom de Luciano Ercoli évoque certainement avant tout un producteur, notamment celui des deux premiers westerns mettant en scène le personnage de Ringo, tournés par Duccio Tessari. L’homme a pourtant une courte carrière de réalisateur, tournant huit films en huit ans dans les années 70, souvent pour mettre en scène sa compagne Niées Navarro. Parmi ces films, un unique polar, tourné en pleine vague du poliziottesco et sorti en 1974, La Police a les mains liées. D’abord exploité en France sous des titres racoleurs comme Boites à fillettes ou Les Dossiers rouges de la mondaine, surfant sur quelques succès d’exploitation de l’époque. On lui préfèrera évidemment son titre définitive, traduction directe de l’original qui incarne totalement un genre qui utilise si régulièrement cette réplique dans ses dialogues et cette problématique au cœur de son discours. Pourtant si Ercoli place son film au cœur du débat politique et sociétale du genre, il s’en éloigne quelque peu en mettant en valeur un scénario plus riche et profond que la moyenne, qui s’oriente presque plus vers le cinéma paranoïaque que vers l’action pure.


Ercoli ouvre La Police a les mains liées sur une scène d’attentat, dans le hall d’un hôtel milanais où se tient un colloque international, qui fait forcément écho à l’attentat de la Piazza Fontana, également à Milan, le drame vu comme le point de départ des années de plomb, et qui reste en 1974 profondément ancré dans l’esprit des spectateurs italiens. Cet événement est la source d’une enquête menée conjointement par le procureur Armando Di Federico, qui dirige l’investigation, et par le commissaire Luigi Balsamo de la brigade des stupéfiants, marqué par la mort d’un commissaire ami précédemment sur l’affaire. Les deux hommes, avec leurs méthodes et leurs postures distinctes, sont les deux seules personnes intègres du monde dépeint par Ercoli. Ils sont certes confrontés à une forte violence urbaine, incarnée par ces 3 jeunes étudiants dont nous savons, très tôt, qu’ils sont les auteurs de l’attentat, mais le chaos n’est pas aussi débridé que dans d’autres films du genre. Chez Ercoli, nous ne sommes pas dans un monde où n’importe qui peux vous tuer au coin d’une rue. La violence est contrôlée, dirigée, et les auteurs de l’attentat ne sont que le bras armé d’une organisation omnipotente, infiltrée dans toutes les sphères de l’état, qui orchestre la violence pour manipuler l’opinion italienne.


Si cette idée d’un pouvoir occulte et violent irrigue le genre du thriller dans tous les pays du globe durant les années 70, du thriller paranoïaque de Pakula à Hollywood à Un Papillon sur l’épaule en France, son exploitation en Italie oriente presque systématiquement les pensées vers la même réalité : le réseau Gladio. Derrière ce nom, signifiant glaive dans la langue de Machiavel, désigne le réseau italien des Stay-behind, ces cellules implantées en Europe et coordonnées par l’OTAN afin de lutter contre le communisme et d’anticiper une éventuelle invasion des troupes du pacte de Varsovie. Si elle n’a jamais été démontrée, la théorie selon laquelle Gladio aurait été un acteur majeur de la stratégie de la tension, cette vague d’attentat qui frappa l’Italie durant la décennie 70, est très présente dans l’imaginaire actuel comme à l’époque, et est la toile de fond de nombreux films. Ercoli en fait son sujet principal avec La Police a les mains liées, en exposant le poids d’une organisation secrète sur le fonctionnement même de l’état. Nous le voyons par plusieurs discussions de couloirs et comportements étrange, qui se concrétiseront dans le final du film, remarquable. Le film fait ainsi écho à Cadavres Exquis, que Francesco Rosi tournera deux ans plus tard, et qui aborde le même sujet. Rosi se rapproche du genre en partant du film dossier, son style de prédilection, Ercoli le mouvement inverse, mais à la conclusion les deux films livrent deux visions passionnantes du sujet.


Ercoli ne cache d’ailleurs pas la cible de son propos en prenant soin, fait très rare dans un genre qui prend souvent ses sources dans la réalité contemporaine, d’annoncer que les personnages et les faits sont fictifs. Une précaution qui signifie souvent le contraire, et qui confirme l’intention de son auteur. L’omniprésence de ce sujet fait de La Police a les mains liées un film qui brille par son atmosphère oppressante, et le monde qu’il dépeint dans lequel toute quête de vérité est vaine. Au cœur de ce monde, deux personnages intègres, les seuls auxquels nous pouvons nous raccrocher, mais totalement impuissants face à leur environnement, comme l’illustre le livre que lit régulièrement le commissaire Balsamo, Moby Dick. Leur impuissance est concrète dans la forme qu’Ercoli choisit de donner à son film avec, toute proportion gardée, moins d’action que dans les productions habituelles du genre. Ici, pas de poursuites, pas de fusillades, pas de violence délirante. Comme si tout avait été écrasé par la première explosion, terrible et meurtrière, rendant le juge et le flic incapable de réagir face à ce niveau de brutalité.


La Police a les mains liées n’est toutefois pas un film austère. La qualité de son écriture nous offre un suspense bien mené, rythmé par des scènes marquantes, et remarquablement liées par la très belle musique de Stelvio Cipriani, qui nous offre une ses meilleures compositions. Porté par les excellentes performances des deux interprètes principaux, Claudio Cassinelli et Arthur Kennedy, voici une belle réussite d’équilibre entre le fond et la forme, incarnant un des traits distinctifs du cinéma italien, celui d’instruire dans la simplicité et le divertissement. Pour sa seule incursion dans le polar, Luciano Ercoli réussit un coup de maître.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 15 août 2024