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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Petite voleuse

L'histoire

1950 dans une petite bourgade du centre de la France. Janine Castang (Charlotte Gainsbourg) est une adolescente qui n’a jamais connu son père et qui a été abandonnée par sa mère après la Seconde Guerre mondiale (on soupçonne que cette dernière a eu une relation avec un officier allemand et qu’elle a dû fuir en Italie à la Libération). Élevée par son oncle (Raoul Billerey) et sa tante (Chantal Banlier) dans un milieu plus que modeste, Janine étouffe aussi bien chez elle qu’à l’école et rêve de luxe, de plaisir, d’amour et de liberté, tout ce qu’elle retrouve sur les écrans de cinéma qu’elle fréquente assidument. Dans la réalité, avec en plus l’envie de devenir rapidement femme, elle vole tout ce qu’elle peut (bijoux, lingerie, cigarettes...), accumulant son butin derrière son lit. Jusqu’au jour où elle finit dans les locaux de la gendarmerie. Pour gagner sa vie, elle accepte un emploi de bonne chez de riches bourgeois. Dans le même temps, elle tombe amoureuse de Michel (Didier Bezace), un homme marié qui tente de l’aider en décidant de parfaire sa culture générale et de lui inculquer une honorable ligne de conduite tout en vivant avec elle une relation adultérine. Puis c’est la rencontre avec Raoul (Simon de La Brosse) qui ne va pas l’attirer sur la bonne pente...

Analyse et critique


Comme le tournage de L’Effrontée trois ans plus tôt s’était déroulé dans la plus harmonieuse des ententes, le film ayant bénéficié de plus d’un immense succès critique et public, quoi de plus logique pour le suivant que de penser à reformer quasiment la même équipe si ce n’est qu’elle sera enrichie par de nombreux techniciens, le budget de La Petite voleuse étant beaucoup plus conséquent, film d’époque oblige. C’est François Truffaut qui aurait dû tourner l’adaptation de son propre scénario, qu’il écrivit en collaboration avec Claude De Givray et qui était une sorte de 400 coups au féminin. Directeur de production de Truffaut entre 1968 (Baisers volés) et 1975 (L’Histoire d’Adèle H.), immense admirateur du grand cinéaste de la Nouvelle Vague, de son style, de sa fantaisie et de son univers, il semblait logique que ce soit Claude Miller qui se mette à l’ouvrage. L’ambiance sur les plateaux fut toute aussi apaisée et sereine que pour L’Effrontée et Charlotte Gainsbourg pouvait à cette occasion prouver que son inoubliable prestation dans le film précédent n’était pas le fait du hasard, renouvelant l’exploit dans la peau de Janine Castang, admirable de bout en bout.


Le personnage principal suit à peu près le même parcours que celui du jeune Doinel dans Les 400 coups ; il est issu d’un milieu modeste, pas grandement estimé ni aimé par la femme qui l’élève, il adore le cinéma au point de s’y rendre dès que possible, et après quelques larcins sans grandes conséquences va être envoyé dans une maison de redressement avant de s’en échapper pour arriver au bord de la mer. Mais alors qu’Antoine Doinel était un tout jeune garçon, la Janine de Miller est une adolescente d’une quinzaine d’années qui ne rêve que de s’émanciper sans plus tarder, de devenir une femme à l’image de celles qu’elle voit régulièrement sur les écrans de sa salle de cinéma de quartier. Pour ce faire, n’ayant pas les moyens de se payer quoi que ce soit, elle va se mettre à voler, aussi bien des vêtements que des bibelots, des objets de luxe et même des cigarettes, toute la panoplie de la femme qu’elle souhaite devenir au plus vite avec dans l’idée et l’espoir d’obtenir ainsi sa liberté et de pouvoir séduire. Dès qu’elle quitte ses cours au lycée, elle file aux toilettes pour changer immédiatement son austère tenue d’école pour des vêtements beaucoup plus féminins (bas, robes et talons hauts). Elle ne vit que dans ses rêves de luxe et d’émancipation et aimerait, tant qu’à devenir une femme, se faire dépuceler au plus vite même si c’est par le premier venu, « se fichant pas mal qu’on la respecte » (c'est elle-même qui le dit en ces termes), ne cherchant qu’à connaitre enfin le plaisir. Comme on peut le constater au vu de cette description, Janine est loin d'être une "petite fille modèle" mais au contraire un personnage ambigu, complexe et plein de contradictions, pas du tout manichéen. C’est d’ailleurs la grande qualité de ce scénario que de rendre aussi attachante cette jeune anti-héroïne sans jamais être moralisateur ni chercher à la juger, sans jamais non plus mettre en avant un quelconque discours sur les dérives de cette société d’après-guerre qui aurait probablement été un peu lourd et surtout déjà vu.


Les auteurs s’érigent ainsi en observateurs objectifs, en témoins des frasques de cette jeune femme fantasque, jamais en juges ni en avocats. Ils ne l’acculent pas plus qu'ils ne lui trouvent des excuses, d’autant plus que ses motivations restent expressément assez floues ; en effet, connait-elle elle-même le pourquoi de ses actions ? Se pose-t-elle vraiment des questions à ce sujet ? Est-elle devenue kleptomane du fait d’avoir été abandonnée par ses parents, pour se libérer du carcan étouffant de sa famille adoptive, pour s’échapper de sa province étriquée, pour ne pas vivre aussi modestement que la plupart de ses camarades, pour entrer en révolte contre la société et le monde qui l’entoure ? Aucunes véritables explications psychologiques sur ses buts et ses intentions ne nous seront données, et c’est tant mieux ! Le film, comme l’était déjà L’Effrontée, est avant tout un beau portrait de femme voulant rapidement voler de ses propres ailes, profiter des plaisirs de la vie, s’émanciper le plus vite possible au sein d’une époque encore un peu puritaine ; une fille à la fois naïve et précoce, maladroite et audacieuse, tendre et frondeuse, fragile et décidée, rêvant à la fois de liberté et de stabilité. Entre mensonges et larcins, elle croque la vie à pleines dents sans se soucier des conséquences et des dangers que peuvent lui valoir ses actes par toujours légaux ni moraux. Avec une fraîcheur, une candeur, un charme et un naturel exceptionnels, Charlotte Gainsbourg porte le film sur ses épaules et permet d’en faire oublier les défauts.


Des défauts que l’on ne voit pas d’emblée, portés que nous sommes par le charisme et le charme de l’actrice. La première partie est en effet formidable et fait effectivement grandement penser à Truffaut par le ton, la fantaisie, l’utilisation de la musique et des actualités, les effets de montage, les idées purement visuelles pour se passer d'explications dialoguées, le rythme insufflé, l’attention portée aux objets, aux affiches et devantures de cinéma... Et puis l’actrice trouve en Didier Bezace un partenaire idéal, leur histoire s’avérant très crédible, le personnage de Michel étant très touchant par ses tendres attentions et sa volonté sincère de sortir Janine de sa condition en la faisant se cultiver. La reconstitution de ces années d'après-guerre n’est au départ pas trop ostentatoire mais l’on se prend à remarquer un grand nombre d’expressions de l’époque qui, dans la bouche des comédiens d’aujourd’hui, débouchent sur le contraire de l’effet recherché, à savoir un sentiment assez prononcé de factice. A ce propos, Claude Miller et ses scénaristes auraient oublié la leçon de Truffaut qui, pour rendre Le Dernier métro le plus "vrai" possible, a fait jouer ses comédiens comme si le film se déroulait en 1980, les dialogues étant eux aussi contemporains du tournage. Alors que cette accumulation d’expressions aujourd’hui "cocasses", cette volonté de faire "film d’époque" - que l’on ne ressentait pas forcément à ce point au début tellement notre attention était retenue ailleurs et notamment sur le jeu de l'actrice - ajoutées au cabotinage éhonté d'un Simon de la Brosse arrivé à mi-parcours, vont au contraire nous faire perdre pied ; comme un bouton au milieu de la figure, on en arrive ensuite à ne plus voir que cela au cours du reste du film qui nous semble alors lentement se déliter. Les séquences peu captivantes sur la plage et assez déprimantes - et pas forcément intéressantes - pour celles qui se déroulent dans le centre de redressement ne permettront pas de nous raccrocher, le plan de la fourchette enfoncée dans le dos de la main - s’il a pu faire rire les acteurs sur le tournage - se révèle même ici totalement incongru. Heureusement, la très jolie dernière séquence rattrapera le coup, nous fera oublier la grisaille de ce qui a précédé et permettra de finir le film en beauté : un épilogue ouvert et plein d’espoir.


La Petite voleuse n'apparaît pas aussi satisfaisant que L’Effrontée et beaucoup plus inégal, faute surtout à une volonté trop grande de vouloir faire "film d’époque" qui rend l'oeuvre un peu caricaturale et factice ainsi qu'à une seconde partie bien moins entrainante et intéressante, trop empruntée. Ceci dit, cette chronique d’apprentissage d’une adolescente qui rêve de devenir femme reste alerte, dynamique et presque constamment plaisante, Claude Miller étant loin d’être un incompétent derrière une caméra, Alain Jomy nous délivre une très jolie musique avec le hautbois en avant et le couple Gainsbourg / Bezace fonctionne à merveille. Un film très soigné - trop peut-être - mais l’imagerie datée et ses poncifs prend parfois le pas sur la véracité de l’ensemble. Peu importe, ce que l’on retiendra surtout de cette Petite voleuse est la fascination que nous aura procurée sa jeune actrice au talent indéniable, au charme inoubliable.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 8 novembre 2016