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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Momie sanglante

(Blood from the Mummy's Tomb)

L'histoire

De nos jours à Londres, la belle Margaret Fuchs, fille d’un égyptologue, connaît un sommeil très agité. Dans un espace spatio-temporel différent, il y a de nombreux siècles dans l’Antiquité égyptienne, des prêtres ont pris place dans un tombeau et s’empressent d’éliminer la menace représentée par Tera, la reine des Ténèbres, dont ils enferment le corps dans un sarcophage après lui avoir coupé une main. Mais à leur sortie, ils sont décimés par une force surnaturelle d’une puissance dévastatrice. Retour à l’époque contemporaine où Margaret, sosie de Tera, éprouve des sensations nouvelles et inexpliquées ainsi que des modifications de sa personnalité après avoir reçu, comme cadeau de la part de son père, une bague rouge étincelante. Celle-ci a appartenu autrefois à la reine égyptienne des Ténèbres, dont le tombeau fut découvert il y a quelques décennies lors d’une exploration scientifique dirigée par le professeur Fuchs, dont tous les membres se sont emparés d’artefacts. Alors que se succèdent des meurtres accompagnés de phénomènes étranges, Margaret voit son esprit de plus en plus possédé alors que le fourbe Corbeck, lui aussi ancien membre de l’expédition, surveille les faits et gestes des Fuchs et conspire pour réveiller Tera afin de mettre sa puissance à son profit.



Analyse et critique

Pour la Hammer Films, la définition du cinéma selon François Truffaut consistant à « faire faire de jolies choses à des jolies femmes « (un concept en partie ironique mais qui serait suspect de nos jours, même si le cinéaste n’y pensait pas à mal) se matérialisait d’une manière un peu différente. De jolies femmes il en était très souvent question, mais de jolies choses beaucoup moins. Sorcières, démons, vampires, créatures plus ou moins maléfiques, ou au contraire innocentes brutalisées avec un peu d’imagination et beaucoup de cruauté, le sexe pas si faible que cela (malgré les conventions d’usage dues au patriarcat et/ou aux recréations d’une époque victorienne gothique) fut l’objet programmatique de nombreux fantasmes et un vecteur évident de sensations fortes et dérangeantes qui mêlaient bien sûr érotisme et violence (les meurtres codifiées par les genres mis en images peuvent - plus ou moins directement - évoquer un rituel amoureux passionnel voire sacrificiel). Parmi les genres fantastiques maintes fois illustrés par la Universal puis donc la Hammer, les « films de momie » représentent un cas particulier en ce sens que l’érotisme peine généralement à y trouver une place de choix, les femmes étant quasiment toujours reléguées à l’arrière-plan, derrière la lutte entre un monstre aux bandelettes surgi du passé et des scientifiques férocement châtiés pour leur zèle d’explorateurs irrespectueux.



Dans La Momie sanglante, l’approche est heureusement bien différente. Non seulement les motifs visuels et dramatiques fatigués de la momie vengeresse en quête de pouvoir sont mis de côté, au profit d’une histoire de possession, mais en plus, la figure principale de l’intrigue est une femme sculpturale à la beauté ensorcelante qui sème le chaos. Et si le choix de l’actrice anglaise Valerie Leon (qui interprète les deux rôles) peut sembler douteux au premier abord au vu de la minceur de son talent de comédienne, il se révèle au contraire totalement judicieux sur un plan purement esthétique et sexuel : sa beauté mystérieuse, ses yeux bleus lumineux, son charisme envoûtant et sa plastique avantageuse emportent le morceau. La menace permanente que soutient l’intrigue (une jeune Anglaise de l’époque contemporaine possédée par l’esprit d’une souveraine égyptienne malfaisante, assassinée puis conservée dans un sarcophage du temps de l’Antiquité) est personnifiée par une séductrice aux formes généreuses, peu à peu condamnée à être écartelée entre deux dimensions spatio-temporelles et deux personnalités. La mise en scène ne se prive d’ailleurs pas de nous la montrer régulièrement légèrement vêtue et surtout avec la poitrine bien proéminente, prête à saillir engoncée qu’elle est dans des tenues serrées et moulantes. La Hammer Films embrasse pleinement la décennie 70 et en profite ainsi pour se dévergonder, elle peut même se permettre d’exhiber un nu intégral (même si l’actrice a été doublée pour l’occasion) et surtout un plan complétement gratuit mais drôle et très évocateur sur un plan sexuel : celui qui voit Valerie Leon avaler goulûment une banane, couchée avec sa tête au pied du lit alors que son compagnon est étendu à l’arrière-plan en position inverse et donc les jambes (et l’entrejambe) en avant... Les motivations du studio paraissent plus claires que d’ordinaire sur un plan érotique (même si ses nombreux films de vampires nous avaient depuis longtemps habitués à ces sous-entendus) mais au détour d’une nouvelle décennie, les intentions se révèlent visuellement plus manifestes.


Présentée de la sorte, cet article pourrait laisser croire que La Momie sanglante s’affiche fièrement comme une production qui s’adresse prioritairement aux plus libidineux des cinéphiles, mais il n’en est rien. Fidèle à ses thèmes, la Hammer continue certes à tracer le même sillon des spectacles horrifiques pulsionnels à la charge sexuelle complètement assumée qui ont fait sa renommée, mais, devant des défis artistiques et financiers compliqués depuis la fin des années 60 et celle de son âge d’or, elle se doit d’épouser les contours de son époque et de s’adapter aux nouvelles mœurs. Ainsi le studio développe ici un personnage de femme forte, instinctivement dominateur et criminel, mais surtout réinvente donc le film de momies. La Momie sanglante ne convoque pas un récit de malédiction traditionnel matérialisée par une créature antique à la démarche chaloupée et enveloppée dans des bandages en lambeaux, mais base son propos sur un cas de possession mystique qui mène une femme indépendante et épanouie des années 70 à commettre des actes meurtriers - induits par sa nouvelle et double personnalité - tout en provoquant en elle un conflit intérieur, entre d’un côté une jouissance des pulsions libératrices et de mort et de l’autre une loyauté envers sa nature première et surtout envers son professeur de père.



Après s’être attaqué à ce sous-genre avec La Malédiction des Pharaons (Terence Fisher, 1959), Les Maléfices de la momie (Michael Carreras, 1964) et Dans les griffes de la momie (John Gilling, 1967), la Hammer Films propose de ce fait une expérience nouvelle dans le domaine. Le script est très librement inspiré du Joyau des sept étoiles de Bram Stoker, rédigé par Christopher Wicking (habitué à travailler pour Amicus, AIP et la Hammer) qui prévoyait à l’origine d’y inclure beaucoup plus de nudité (on y revient toujours…). Mais l’ouvrage écrit par l’auteur de Dracula, grand passionné d’égyptologie, sert in fine de prétexte au film pour aligner plusieurs meurtres sanglants entre des séquences dictées par la psyché tourmentée de son personnage principal. Ainsi, La Momie sanglante s’ouvre ingénieusement par un générique situé dans les étoiles (la nature cosmogonique de l’œuvre est affirmée d’entrée), suivi d’une scène avec la jeune Margaret au sommeil agité mise en parallèle avec la cérémonie funéraire en Egypte visant à enfermer la reine démoniaque (il s’agit déjà donc de la même femme à des siècles de distance) dans son sarcophage et interrompue par un déchaînement de violence surnaturelle. Le film s’inscrit dans une mécanique de rêves, de réincarnation et de mysticisme qui va définir sa nature profonde et permettre de scander son récit par des assassinats guidés par une force malfaisante et incoercible.



En fait, la malédiction propre aux contes d’horreur inspirés des mythes religieux de l’Egypte antique a bien  sévi mais plutôt malheureusement chez les créateurs du film. Les suppléments du magnifique coffret Hammer édité par Tamasa revenant en long et large sur l’historique de La Momie sanglante, on se contentera ici de rappeler succinctement les tragédies qui ont frappé cette production. Le rôle de Fuchs, le père de la belle Margaret, devait être tenu par le fidèle Peter Cushing ; mais après un unique jour de tournage, l’acteur dut quitter le film pour rejoindre son épouse à l’agonie et fut remplacé par Andrew Keir - si l’interprète du Professeur Quatermass ne démérite pas, il ne possède hélas pas la classe, la sécheresse, l’éloquence, le flegme et encore moins la dangerosité séduisante de Cushing. Plus fâcheux pour l’identité du film, le réalisateur Seth Holt mourut précipitamment lors de la cinquième semaine de tournage. Ancien monteur, ayant réalisé quelques films pour Ealing, Amicus et la Hammer (Scream of Fear en 1961 avec Susan Strasberg, The Nanny en 1965 avec Bette Davis), Holt avait ce talent pour composer des plans à « l’inquiétude étrangeté » au sein de séquences atmosphériques générant une menace diffuse et permanente. D’une santé très fragile et tristement décédé d’une crise cardiaque, il fut alors remplacé par Michael Carreras, producteur et administrateur délégué du studio, mais déjà rompu à l’exercice au sein de la Hammer. Empoignant sa casquette de réalisateur, Carreras tourna essentiellement les scènes prenant place dans l’asile et dut surtout superviser le montage du film, ce qui représenta un défi d’envergure compte tenu du fait que Seth Holt gardait secrètement pour lui toutes ses idées de découpage et de montage. C’est ce qui explique la nature parfois heurtée du découpage filmique de La Momie sanglante mais aussi son aspect expérimental et basé sur des fulgurances visuelles - alors qu’il faut bien avouer que son scénario suit une ligne directrice assez simpliste et sans surprise, exception faite du tout dernier plan à l’humour noir bienvenu (mais qu’on se gardera bien de révéler).



L’intérêt donc de cette production réside avant tout - conjointement à l’érotisme revendiqué - dans la mise en scène qui s’ingénie à installer une angoisse constante ainsi qu’une atmosphère vaporeuse (graphique comme dramatique) typique de la Hammer, qui réussit à perpétuer son esthétique gothique mais renouvelée et appliquée à une époque moderne et un décorum contemporain. La meilleure démonstration se trouve dans la scène nocturne du meurtre du pauvre Dandridge dans une rue désertée avec l’utilisation habile d’ombres étirées, de couleurs saturées, de contrastes soutenus, et bien sûr de fumée qui nimbe l’écran. Holt excelle aussi dans la répétition (parfois exagérée) des plans rapprochés sur Margaret/Tera - et ses traits de visage changeants - qui conditionne la suite des évènements. L’inscription des déambulations de la jeune femme dans une pénombre savamment composée participe aussi du sentiment d’angoisse mêlé de provocation sexuelle. Probablement moins doué que Jack Asher mais quelquefois très inspiré, le chef opérateur Arthur Grant fut un des piliers de la Hammer Films ; il était déjà le responsable de la photographie d’œuvres incontournables comme La Nuit du loup-garou (1961), Le Fantôme de l’Opéra (1962), Frankenstein créa la femme (1967), Quatermass and the Pit (1967), Les Vierges de Satan (1968), Dracula et les femmes (1968) ou Le Retour de Frankenstein (1969). Cadrages penchés, gros plans déformants, longue profondeur de champ, composition millimétrée de quelques plans à l’intérieur desquels le danger peut survenir de tout le cadre, entrées de champ de l’ombre à la lumière, usage récurrent en avant-plan d’accessoires et de décors liés à l’égyptologie, tout un système filmique (non pas surprenant mais très efficace) est mis en place pour concevoir un climat de frayeur et de prédiction qui nourrit les attentes du spectateur connaisseur du studio et de ses motifs. Mais La Momie sanglante se distingue aussi par l’usage des effets gore, une audace qui inscrit pleinement le film dans son époque, juste après Les Cicatrices de Dracula (1970) de Roy Ward Baker, dont le sadisme et la cruauté sanglante avaient alors surpris les spectateurs.


Enfin, comme il était précisé plus haut dans ce texte par apport à son contexte de production, le film se caractérise par un montage haché mais qui peut parfois séduire par ses outrances et son manque occasionnel de lisibilité (dû à l’absence de plans filmés et d’indications claires). Pour les séquences se déroulant à l’asile, Michael Carreras essaie de marcher dans les pas de Seth Holt en distillant une ambiance lourde de danger, d’excentricité, d’inhumanité et de folie rageuse. Tous ces éléments positifs essaient tant bien que mal de faire oublier la mécanique trop huilée d’un scénario sommaire, construit sur un défilé de crimes atroces, et le traitement déséquilibré des personnages et des situations (tout ce qui ne concerne pas le trio Margaret / Fuchs / Corbeck est un peu traité par-dessus la jambe), de même que le parcours du personnage nommé Tod Browning (en hommage à qui vous savez), le petit ami de Margaret, manque singulièrement de cohérence. Le rythme interne du film en pâtit et il arrive qu’on compte les minutes entre deux scènes d’action. Toutefois, la séquence finale mettant en scène la cérémonie de la renaissance de Tera avec ses affrontements espérés, ainsi que la pirouette finale - à la fois drôle et énigmatique - nous laissent sur une assez bonne impression à mesure que la plastique charmante et le magnétisme de Valerie Leon s’estompent de nos pensées après avoir joliment imprimé nos rétines - eh oui, il faut toujours revenir à nos fondamentaux.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Ronny Chester - le 21 janvier 2021