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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Maladie de Hambourg

(Die Hamburger Krankheit)

L'histoire

En RFA, dans un futur proche, une mystérieuse maladie se déclare à Hambourg et se répand bientôt à travers toute l'Allemagne...

Analyse et critique

« Nous sommes très forts pour l’organisation, mais si les Allemands ont un tel amour de l’ordre, c’est peut-être parce qu’à l’intérieur ils sont extrêmement chaotiques » déclare le cinéaste Peter Fleischmann dans un entretien qui sera publié demain sur DVDClassik. Tel est le peuple allemand, en effet, et telle est sa tragédie. Un tel amour de l’ordre et de la discipline ne pouvait mener qu’à la plus grande folie : l’assassinat d’êtres humains sur un mode industriel. Fleischmann fait partie d’une génération d’artistes, celle du Nouveau Cinéma allemand des années 1960-1980, qui a tout fait pour ouvrir les yeux à son peuple. Qu’ils soient signés Volker Schlöndorff, Werner Herzog, Hans-Jürgen Syberberg, Rainer Werner Fassbinder ou Margarethe von Trotta, les films de cette génération d’après-guerre sont souvent des paraboles sur l’intolérance, sur la bêtise collective, sur la folie, bref sur le fascisme de leurs pères.


Dans La Maladie de Hambourg, Peter Fleischmann imagine en 1979 qu’un organisme microscopique, un virus inconnu, tétanise, désorganise et ridiculise la société la plus rationnelle. De la pure science-fiction fantaisiste, comme on peut en juger aujourd’hui. Le film devient ainsi le portrait complet de la société allemande de la fin du 20e siècle, tous âges et toutes catégories sociales confondus. Au moment où un jeune scientifique, ancré fermement dans sa rationalité (Helmut Griem), vient présenter à Hambourg ses théories sur l’immortalité devant un parterre de doctes vieillards (probablement des ex-nazis pour certains), un virus commence à faire des ravages, amenant les victimes à se replier doucement sur elles-mêmes, comme les fleurs au crépuscule, et à mourir tétanisées, comme hébétées, en position fœtale. Le jeune scientifique se lance alors dans un périple à travers l’Allemagne pour enquêter sur ce virus inconnu, en compagnie de citoyens hétéroclites qui se sont évadés de leur centre de quarantaine : Ulrike (Carline Seiser), une belle et lunaire jeune femme qui passe son temps à se promener pieds nus, véritable Eve du futur, Fritz (Tilo Prückner), un vendeur de saucisses doublé d’une brute épaisse, Ottokar (Fernando Arrabal), un nain handicapé, provocateur et anarchiste. Ils seront rejoints plus tard par Alexander (Rainer Langhans), un jeune marginal tout aussi lunaire et taiseux qu’Ulrike, doux jusque dans la mort. Comme le groupe voyage d’abord dans le food-truck miteux de Fritz, puis dans un camping-car « emprunté », vous aurez compris que Fleischmann et son scénariste Roland Topor s’amusent à détourner les sacro-saints attributs des vacanciers allemands !


Pour être tout à fait complets, Fleischmann et Topor n’oublient pas au passage d’égratigner l’incompétence des autorités, qui oscillent sans arrêt entre appel au patriotisme (chants nationalistes dans la rue), usage de la force (emprisonnement des malades, envoi des chars d’assaut et des hélicoptères pour mater les « rebelles ») ou carrément le mensonge éhonté (dire à la population que l’épidémie est finie pour tenter de juguler l’anarchie). On le voit, avec ce film-catastrophe, ce film de fin du monde, Fleischmann ne veut pas nous faire peur comme dans un thriller à suspense, ni même nous faire rire comme dans une parodie, il veut nous consterner, nous mettre mal à l’aise. A ses débuts, Fleischmann avait consacré un documentaire à son compatriote Fritz Lang. On peut voir La Maladie de Hambourg comme une variation intéressante sur M le maudit : ou comment un tueur inconnu sert de catalyseur à toute la bêtise d’un peuple, isolant les intelligents (le jeune scientifique qui, comme l’inspecteur de M le maudit, tente de garder la tête froide et cherche à comprendre) et exacerbant les crétins, faisant ressurgir l’obscurantisme, la justice expéditive et le fascisme, comme un abcès trop longtemps contenu. On peut également penser à Nosferatu de Murnau, avec l’arrivée de « l’Etranger » dans une ville portuaire et froide, et les bonnes âmes qui se calfeutrent, faisant l’autruche devant la Mort inévitable. Enfin, Le Masque de la mort rouge d’Edgar Poe vient à l’esprit lors de la fête décadente où les bourgeois confinés décident une bonne fois pour toutes, pour paraphraser un certain film de Kubrick, d’arrêter de s’en faire et d’aimer le virus !


Pour mettre en évidence la folie latente du peuple allemand, Fleischmann choisit de filmer son odyssée dérisoire caméra à l’épaule, dans un réalisme sans fard propre à sa génération de cinéastes. Comme Herzog avec Aguirre ou la colère de Dieu, le talent de Fleischmann est ici de donner l’impression, non pas de mettre en scène une action, mais de réellement la capter, d’être au cœur des événements de manière hasardeuse, inconfortable : le comportement irrationnel, caricatural, des citoyens apparaît ainsi comme totalement crédible, presque documentaire. Il y a donc un contraste intéressant entre ce style documentaire et le contenu totalement fou, presque fellinien, des images, avec ces gens étranges, hyperactifs, sans émotion, sans empathie, qui se parlent mais ne s’écoutent pas, comme s’ils étaient sur une longueur d’ondes différente. Et ce faisant, en poussant l’observation réaliste à fond, Fleischmann finit logiquement par traverser le miroir et par réaliser des scènes totalement surréalistes, en accord avec ses amis Topor et Arrabal qui sont les héritiers de ce mouvement artistique : il suffit à Fleischmann de filmer une autoroute vide ou un bac isolé sur un fleuve brumeux au petit matin pour nous faire éprouver la sensation étrange d’être dans les limbes ; il lui suffit de filmer de vieux randonneurs bavarois dans leur chemin de montagne, ignorant égoïstement le chaos ambiant, pour transformer cette montagne en paradis ouateux et suspect. Reconnaissons que ce miroir violemment tendu n’est pas toujours agréable à regarder. C’est précisément le but. Démarche suicidaire d’un film jusqu’au-boutiste. Un film d’Allemagne.


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La fiche IMDb du film

Par Claude Monnier - le 26 mai 2020