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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Maison du docteur Edwardes

(Spellbound)

L'histoire

Constance Petersen (Ingrid Bergman) est médecin dans un hôpital psychiatrique dont le directeur (Leo G. Caroll) vient d’être mis à la retraite. Toute l’équipe attend l’arrivée de son successeur : le docteur Edwardes (Gregory Peck). Ce dernier arrive enfin, dés le premier regard Constance tombe amoureuse de lui. Mais rapidement elle réalise que cet homme a usurpé l’identité d’Edwardes...

Analyse et critique

Après le succès d’Autant en emporte le vent, le producteur David O’Selznick, qui est à l’origine de la venue d'Alfred Hitchcock à Hollywood, veut renouveler le succès critique et public de leur première collaboration, Rebecca. Il a alors l’idée folle de produire le premier film sur la psychanalyse. Freud est mort depuis quatre ans, la science qu’il a fondée commence à passionner les foules, et Selznick à l’intention d’éduquer les spectateurs. Il affirme même que cette éducation est très importante pour la santé mentale du public !

Après avoir lu le roman The House of Doctor Edwardes, il en achète les droits et propose le sujet à Hitchcock qui est séduit par ce récit qui se déroule dans un monde de fous. Sir Alfred commence à travailler sur le scénario avec Angus MacPhail, qui a participé à ses premiers films. Insatisfait du résultat qu’il juge trop désordonné, il se tourne vers le scénariste en vogue à l’époque (1945), Ben Hecht. Ce dernier, très porté sur la psychanalyse (il fréquente de nombreux spécialistes), rédige avec Hitchcock un scénario que certains qualifieront de simpliste. On reproche souvent à ce film son manque d’envergure par rapport au sujet abordé, mais ces critiques oublient que le grand Hitch est avant tout un cinéaste de l’efficacité. Ses films sont destinés à un grand public qu’il prend plaisir à manipuler du premier au dernier plan. De ce point de vue, Spellbound est une réussite incontestable. Le mystère qui entoure le personnage joué par Gregory Peck suspend le spectateur à chacune de ses attitudes qu’il essaie d’interpréter pour deviner l’issue du récit : qui est réellement ce jeune et séduisant docteur, est-il un meurtrier, est-il innocent, si oui quel est son alibi ? Finalement l’intrigue révèlera son dénouement grâce à l’analyse d’un rêve et aux souvenirs que la belle Constance (Ingrid Bergman) arrivera à réveiller chez son patient et amoureux. Ce finale, assez classique dans sa construction (toutes les questions que le spectateur se pose trouvent une réponse dans un dernier acte riche en obstacles dramatiques), confère dans sa forme et dans les thèmes abordés une grande originalité au film.

En effet, au delà de cette construction efficace, Alfred Hitchcock imprègne son film d’une ambiance freudienne non dénuée de qualité et d’intérêt. D’une part, il fait référence au psychanalyste allemand en faisant intervenir un vieux docteur qui fut le maître de Constance. Avec ses cheveux blancs, sa barbiche, ses lunettes et son air savant, il est plus qu’une image de Freud, c’est sa caricature. D’autre part, il sème à travers ses plans des symboles freudiens : la piscine que dessine Constance à l’aide d’une fourchette sur la nappe a évidemment la forme d’un vagin, le rasoir que brandit Gregory Peck à hauteur de hanche n’est autre que l’image de son sexe dressé et enfin, il y a ce regard que jette Constance vers son pénis lorsqu’il lui demande pourquoi elle est venue le rejoindre dans cet hôtel où il se cache ; elle invoque une réponse, mais ses yeux ont mis à jour ses fantasmes.

Enfin, comment parler de la psychanalyse dans Spellbound sans évoquer la séquence du rêve dessinée par Salvador Dali ? Lorsque Hitchcock pense à cette scène, il veut rompre avec le traitement classique des rêves sur grand écran. Il refuse ces images floues ou entourées de brumes ; il recherche un rêve précis, aigu, vivant. Son choix se tourne naturellement vers Dali, qui répond parfaitement à ces critères de forme et qui prétend en plus être le porte-drapeau du surréalisme, celui qui déclare avoir créer "l’iconographie du monde intérieur - le monde du merveilleux - de [son] père Freud." (1) Le travail qu’il réalise pour Spellbound, sans atteindre le résultat souhaité par Sir Alfred qui voulait tourner en extérieur, est d’une beauté et d’une originalité confondantes. Les tableaux s’enchaînent merveilleusement et apportent au spectateur les clés du mystère Edwardes.

Sans égaler les fulgurances de Psychose ou de Vertigo, Spellbound restera à jamais une œuvre à part. L’œuvre d’un génie de l’image en mouvement qui rencontre celui de l’image figée. L’œuvre d’un maître en l’art de manipuler les fantasmes qui se frotte à celle de l’homme qui leur donna un sens. A ces rencontres de talents vient se greffer la présence de la sublime Ingrid Bergman, qui inonde l’image de sa sensualité et réveille en chacun de nous ses fantasmes les plus profonds...

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La fiche IMDb du film

Par François-Olivier Lefèvre - le 25 octobre 2002