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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Lune s'est levée

(Tsuki wa noborinu)

L'histoire

Monsieur Asai vit à Nara auprès de ses trois filles : l’aînée Chizuru (Hisako Yamane) qui vient de perdre son mari, la cadette Ayako (Yoko Sugi) en âge de se marier mais à priori peu pressée de quitter le domicile familial, et enfin la benjamine Setsuko (Mie Kitahara) plus moderne et exubérante qui rêve de partir habiter une ville plus vivante comme Tokyo. Setsuko s’entend parfaitement bien avec Shoji (Shoji Yasui), le frère du défunt mari de Chizuru. Ensemble ils vont jouer les entremetteurs pour Ayako qu’ils voient bien épouser Amamiya (Ko Mishima), un ami de passage qui se souvient avec émotion des rares moments passés aux côtés de la cadette durant sa jeunesse. En opérant leur 'mission', les marieurs amateurs vont encore se rapprocher…

Analyse et critique

Ce n’est pas parce qu’elle se sera tournée vers la réalisation que Kinuyo Tanaka aura mis fin à sa carrière d’actrice. La preuve, entre ses deux films derrière la caméra elle aura joué le rôle principal dans trois autres dont deux sous la direction de Kenji Mizoguchi avec notamment le grand classique qu’est L’Intendant Sansho ; autant dire qu’elle n’était pas rancunière car souvenons-nous que le grand cinéaste japonais fût l’un des rares à ne pas l’avoir soutenu dans sa démarche de passer à la mise en scène : au contraire il l’en avait même fortement dissuadé. Quoiqu’il en soit, après un premier essai dans la lignée du cinéma de Mikio Naruse avec Lettre d’amour, La Lune s’est levée ressemble au contraire énormément à celui de Yasujiro Ozu. Et pour cause, le réalisateur de Voyage à Tokyo en est le scénariste ; c’est une histoire qu’il a écrite avec Ryosuke Saito en 1947 et qu’il comptait bien mettre en scène lui-même. Mais pour diverses raisons - dont certaines liées à la guerre que se livraient les grands studios – à nombreuses reprises retardé, c’est Kinuyo Tanaka qui reprendra le projet qui aboutira à cette très jolie comédie de mœurs, dans sa première partie assez proche du badinage, le caractère primesautier de la première heure faisant ensuite place à un ton un peu plus dramatique, le déséquilibre moyennement harmonieux entre les deux étant à nouveau le point faible de ce deuxième film ; en exagérant, c'est un peu comme si nous passions de Ernst Lubitsch à Douglas Sirk en l’espace de quelques séquences.


Le récit met en scène trois sœurs qui vivent toujours sous le toit de leur veuf de père interprété par l’un des acteurs emblématiques d’Ozu, Chishu Ryu, qui ici n’a à vrai dire pas grand-chose à faire. L’ainée vient de perdre son époux et restera tout comme le père assez en retrait de toute l'effervescence amoureuse qui va se jouer durant cette histoire. C’est surtout à Setsuko, la benjamine, que s’identifie la réalisatrice, une jeune fille enjouée, dynamique, parfois un peu capricieuse et surtout très moderne, toujours vêtue de vêtements occidentaux contrairement aux autres membres de sa famille ; une sorte de cousine orientale de nombreux personnages interprétés par Audrey Hepburn. Étant persuadée que sa sœur cadette est amoureuse d’un ami de la famille de passage dans leur petite ville, elle va vouloir se mêler de leurs affaires en s’octroyant le rôle d’entremetteuse. Elle trouve de l’aide auprès de Shoji (le comédien Shoji Yasui que l’on retrouvera plus tard dans le sublime La Harpe de Birmanie de Kon Ishikawa), le frère de l’époux décédé de sa sœur avec qui elle s’entend merveilleusement bien sans encore se douter que plus que de la complicité, c’est de l’amour qui s’éveille entre eux deux. A l'aide d'une mise en œuvre très théâtrale, après avoir pleinement accompli sa mission en réussissant à faire se constituer le couple, Setsuko se rendra alors seulement compte des sentiments qui la lient à Shoji. Le badinage fait alors place à une romance plus grave d’autant que Setsuko et Shoji n’ont pas spécialement les mêmes aspirations, la jeune femme voulant habiter Tokyo alors même que son amoureux - personnage lui aussi très attachant - vient de refuser un poste dans la capitale par abnégation, afin de donner sa place à un ami dans le besoin.


Si l’on reconnait très bien la patte d’Ozu au travers le scénario, le film de Kinuyo Tanaka, aussi plaisant et subtil soit-il, ne possède cependant pas la précieuse poésie des films du maître japonais, cette petite musique unique, immédiatement reconnaissable, à la fois ‘guillerette’ et triste, mélancolique et apaisante… dépouillée, la magie d’une harmonie entre ses plans fixes et ses éléments musicaux. On sent que la réalisatrice tente à quelques reprises de s'approcher au plus près de ce style si particulier sans néanmoins vouloir à tout prix le copier, sa grammaire cinématographique étant différente, sa caméra bien plus mobile, son montage beaucoup plus découpé. D'ailleurs ses plans sont extrêmement bien composés, ses cadrages sont rigoureux, les décors de la maison familiale et des temples alentours parfaitement bien utilisés et son film est vraiment très agréable à l’œil. De plus, Tanaka dirige parfaitement bien ses acteurs et se donne même un petit rôle assez cocasse, celui de la servante à qui Setsuko va donner des cours de… comédie ! Enfin derrière ces chassés-croisés amoureux proche souvent du marivaudage, avec acuité et élégance Tanaka nous brosse un intéressant portrait sociologique du Japon du milieu des années 50, un pays en pleine mutation, et observe la place et le sort de la femme dans une société entre traditionalisme et modernisme.

Lire le dossier 6 films de Kinuyo Tanaka

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 7 novembre 2022