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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Lune était bleue

(The Moon Is Blue)

L'histoire

Don Gresham, architecte new-yorkais, croise une jolie fille dans les couloirs de l’Empire State Building. Il tente de la séduire et la poursuit jusqu’au toit du bâtiment où il l’invite à dîner. Prénommée Patty, la jeune femme accepte la proposition et accompagne Don jusqu’à son domicile. C’est sur ce lieu que les choses se compliquent pour le séducteur : son ex-petite amie débarque, accompagnée de son père qui s’avère être le meilleur ami de Don mais aussi un coureur de jupons sensible aux charmes de Patty…

Analyse et critique

The Moon is blue est une des œuvres les plus étonnantes d’Otto Preminger : acclamé par le public lors de sa sortie en 1953, le film est aujourd’hui boudé par les cinéphiles et souvent considéré comme une pièce mineure de l’immense filmographie du maître autrichien. L’édition du DVD en zone 2 chez Artedis nous permet de replonger au cœur de cette adaptation théâtrale. Une adaptation dont l’intérêt réside essentiellement dans son rôle avec l’histoire de la censure aux USA.

Au milieu des années 30, Otto Preminger vient à peine de débarquer à Hollywood qu’il est victime de son premier scandale : après avoir contesté Darryl F. Zanuck, le nabab de la Fox, au sujet d’un scénario qu’il jugeait mauvais, il est renvoyé manu militari du studio. Dépité, il quitte la "Cité des anges" et s’installe comme metteur en scène sur les planches de Broadway. Son talent ne tarde pas à éclater et il enchaîne les succès parmi lesquels The Moon is blue, une comédie mettant en scène deux séducteurs impénitent et une "vierge professionnelle" ! Ecrite par le dramaturge F.Hugh Herbert, cette pièce représentée plus de 900 fois permet à Preminger de se faire une renommée nationale avant son grand retour à Hollywood où il réalise de remarquables polars (Laura, Fallen Angel, Mark Dixon, Un si doux visage) qui lui permettent d’imposer un style unique et devenu classique.

A partir de 1953, Preminger s’éloigne du film noir et recherche des scénarios avec une thématique plus originale. Il décide notamment de produire des œuvres susceptibles de "secouer" le public et les mœurs américaines. Pendant cette période, il met en chantier des films aussi variés et originaux que Carmen Jones (1954), The man with the golden arm (1955), Saint Joan (1957) ou plus tard The Cardinal (1963). Le premier projet à s’inscrire dans cette logique créatrice est l’adaptation de La lune était bleue qu’il réalise en 1953. Son originalité tient dans ses dialogues qui se présentent comme une provocation au tristement fameux "Code Hays". Créé en 1922 par William Hays, le code se présente comme une bible du bon censeur commandée par la ligue de décence catholique et destinée à protéger la nation des affres du cinéma. Le code qui distribue les visas indispensables à la distribution des films sur le territoire américain impose un grand nombre de règles parmi lesquelles l’interdiction de voir deux comédiens s’embrasser s’ils ne sont pas mariés ou prononcer des mots tels que "vierge", "enceinte", "narcotique"… Preminger, réputé pour sa volonté de fer, refuse de se soustraire à ce règlement et décide de reprendre les dialogues de la pièce sans la moindre coupe. Le film est alors présenté aux membres de la ligue de décence qui s’offusquent lorsque la petite Patty O’Neill avoue sa "virginité" ou dit rêver d’être la "maîtresse" d’un homme bien installé !! La réaction des censeurs est immédiate : le film n’aura pas son visa. Preminger, juriste de formation, intente immédiatement un procès à la ligue arguant que son film n’est pas de ‘mauvais goût’. Il obtint finalement gain de cause même s’il fallut quelques années avant que la projection de The moon is blue fut autorisée dans certains états comme le Maryland et à Boston où il fut longtemps interdit car qualifié de "sexuellement explicite" !

La victoire de Preminger fut double : non seulement il est autorisé à distribuer son film aux USA, mais l’affaire fit un tel tollé que le film remporta un immense succès public. La critique fut également excellente et The moon is blue décrocha le Golden Globe du meilleur acteur de comédie pour David Niven ainsi que plusieurs nominations aux Oscars dont celles du montage et de la meilleure actrice pour Maggie McNamara.

Mais aujourd’hui que reste t’il de La lune était bleue ? Le rôle que le film a joué dans l’histoire de la liberté d’expression aux USA ? Quelques bons chiffres dans les archives des Artistes Associés ? Mais encore ?

Le film fait partie de ces adaptations théâtrales où la caméra n’est que le vecteur de la pièce. A l’instar d’œuvres récentes comme Glengarry Glen Ross (James Foley, 1992) , La lune était bleue laisse une impression de théâtre filmé qui réjouira les fanatiques des planches tout en laissant un léger goût de trop peu aux cinéphiles endurcis ! Le choix des lieux (le bureau, le toit puis l’appartement de Don) est en tous points fidèle à celui de la pièce. En dehors d’un ou deux figurants (1) on remarque également que le nombre de personnages, comme au théâtre, est très limité. Enfin, du point de vue de la mise en image, Preminger choisit de rester simple : contrairement à Hitchcock qui tenta une merveilleuse expérience cinématographique avec La Corde (filmé en un "faux" plan séquence), Preminger s’abstient du moindre effet visuel. Les fameux mouvements de caméra à la grue qu’il inventa pour traquer ses personnages au milieu de la ville et qui marquent son style sont absents : il cadre ses héros avec une caméra fixe et donne du rythme au métrage grâce à un montage rapide où les plans courts se succèdent à la cadence des répliques.

Mis à part ce montage précis, la force de The Moon is blue réside essentiellement dans l’interprétation des comédiens. En les observant on perçoit un vrai plaisir de jouer : à ce titre c’est David Niven qui semble le plus à son aise. Loin de ses compositions guerrières et élégantes qui jalonnent sa carrière, il incarne ici un personnage coureur de jupons et alcoolique. Dés qu’il apparaît à l’écran le film prend une tournure comique et distrayante qui, par instants, donne lieu à des échanges verbaux jouissifs comparables aux meilleures Screwball Comedy. A ses côtés, le couple William Holden, Maggie McNamara fait feu de tout bois en occupant l’espace du cadre par des mouvements incessants et en faisant preuve d’un rythme d’élocution absolument remarquable.

Au terme de ce film, la majorité des spectateurs ressort le sourire aux lèvres tandis que la plupart des adorateurs de Preminger quittent la salle avec un arrière goût de déception … Néanmoins, le film reste une curiosité qu’il convient de découvrir non seulement pour son importance au regard de l’histoire de la censure mais également pour la superbe performance de ses trois comédiens !

(1) Pour l’anecdote : un couple apparaît à la fin du film (Hardy Kruger et Johanna Matz), il s’agit des deux comédiens principaux de la version allemande du film (Die Jungfrau auf dem Dach) que Preminger tourne dans la foulée et avec la même équipe technique !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par François-Olivier Lefèvre - le 17 août 2004