L'histoire
Alors que la troupe de cavaliers harassés qu’il commande rejoint son fort d’attache, le lieutenant Billings (Robert Stack) reçoit l’ordre de porter dans les plus brefs délais au commissaire aux Affaires Indiennes, Kirby, un traité de paix avec les Indiens qu’il devra à son tour remettre au chef Grey Cloud sans quoi les attaques risquent de recommencer. Ce n’est pas sans rechigner que les hommes repartent d’autant qu’en arrivant au comptoir où ils devaient retrouver Kirby, ils apprennent que ce dernier n’a pas été revu depuis bien longtemps. Voilà donc la patrouille repartie à sa rencontre au milieu de paysages hostiles et désertiques, Billings décidé à porter le traité lui-même si jamais ils ne le croisent pas en route. Le détachement est accompagné dans sa mission par Taslik (Keith Larsen), le fils du chef indien qui a accepté de les guider jusqu’au campement de son père. Mais les spectateurs que nous sommes savons déjà, dès la séquence pré-générique du film, que Kirby a été scalpé par Taslik. Ce dernier semble vouloir conduire les Tuniques bleues dans un piège, ce qui paraît se confirmer par la présence cachée de sa sœur (Joan Taylor) aux alentours, sa complice des exactions commises au tout début de cette histoire...
Analyse et critique
Un western militaire survival comme on en a connu quelques-uns à cette époque, tous en quelque sorte calqués sur le modèle du film de John Ford du début des années 30, La Patrouille perdue (The Lost Patrol), dans lequel on suivait un groupe qui se fait décimer au fur et à mesure de son avancée au sein d’une contrée rude et hostile, les dures conditions mettant à mal les nerfs et la santé physique et mentale des membres du détachement. Un sous-genre peu gratifiant par le fait de devoir maintenir une tension tout du long malgré la lenteur de la progression, la monotonie des arides paysages traversés ainsi qu'une sorte de systématisme vite ennuyeux consistant à faire disparaître un à un les membres du groupe de manière différente. D'ailleurs, le film de John Ford tombait aussi à mon humble avis dans ces travers sans parvenir à captiver le spectateur jusqu’au bout. La réussite du film de Lesley Selander est d’autant plus remarquable qu’il parvient au contraire, 85 minutes durant, à nous tenir en haleine malgré son budget très restreint et une mise en scène manquant quelque peu d’ampleur (il faut dire que le film a été tourné en seulement dix jours).
Malgré les apparences, on ne trouve aucun spoiler dans le pitch qui précède cette critique car la séquence pré-générique qui nous plonge directement au cœur de l’action (au propre comme au figuré) place les spectateurs en avance sur les membres de la patrouille commandée par Robert "Elliot Ness" Stack, en nous montrant d’emblée l’homme qu’ils recherchent se faire tuer par l’Indien qui va se proposer d’aider les soldats à les conduire jusqu’à lui. Il nous est donc clairement indiqué dès le départ que notre groupe de soldats fonce sans ambages dans la gueule du loup puisque convoyés par leur pire ennemi sans qu’ils le sachent, un guerrier indien nihiliste qui ne croit plus ni à la parole des Blancs ni à aucun traité de paix. Un film qui débutait par une séquence pré-générique, ce n’était déjà pas banal pour l’époque ; et lorsque celle-ci entre directement dans le vif du sujet, sans paroles mais uniquement avec une action d’une rare brutalité, en ce début des années 50 ce fut sûrement encore plus surprenant qu'aujourd’hui. Une scène que n’aurait certainement pas reniée un Samuel Fuller ou un Robert Aldrich.
Le film démarre donc en trombe par cette séquence mouvementée toute en tension, le sauvage conflit qui oppose en plein désert deux Indiens (dont une femme) et deux hommes blancs qui se terminera par la mort des Blancs, l’Indien venant prendre le scalp d’un des deux cadavres alors qu’apparaît à l’écran en grosses lettres rouges sanglantes War Paint, le titre du film original que nous préférerons une fois encore au titre français peu en accord avec le récit. A une question d’un des soldats à l’Indien lui demandant si ce ne seraient pas des peintures de guerre qu’il arbore sur son visage, celui-ci lui rétorque que oui mais lui fait remarquer qu’eux aussi portent des tenues de guerre (l’uniforme des soldats de l’Union). Un postulat de départ donc très simple qui voit d’un côté des soldats envoyés porter un traité de paix à un chef indien, de l’autre les enfants de ce dernier qui ne se sentent pas dupes, qui ne veulent pas une fois encore se faire humilier par les hommes blancs et leurs mensonges et qui vont tout mettre en œuvre afin que le traité n’arrive pas au campement ; pour ce faire, devant éliminer tous les membres de la troupe. Ils seront bien évidemment grandement aidés par la nature hostile qu’ils doivent affronter et traverser. Le manque d’eau, la fatigue et la chaleur suffocante vont causer bien plus de dégâts que ne l’aurait fait une simple tuerie, les soldats allant parfois même se transformer en monstres pour pouvoir survivre, pour cause de souffrances, de trop grandes privations ou encore et toujours pour l’attrait de l’or.
Ce dernier cas de figure fera bien rire avec force sarcasmes le personnage de l’Indienne interprétée par la très belle Joan Taylor, le protagoniste le mieux écrit et le plus intrigant de cette histoire, le seul personnage féminin de ce récit, détonant dans le genre par sa fougue, son intelligence, sa lucidité et sa sauvagerie. Comme dans Fort Yuma peu après, il s'agit d'une Indienne absolument pas soumise ou naïve mais fière et déterminée, qui ne croit plus en la parole des Blancs, ne supporte pas leur pitié ni leur paternalisme, une femme forte et butée qui n’hésitera pas à employer tous les moyens pour empêcher la troupe d’arriver à bon port, ne faisant pas plus confiance à ce traité de paix qu’à la dizaine de textes précédemment livrés. Les autres personnages possèdent, pour certains, eux aussi leurs zones d’ombre, y compris le lieutenant Billings pourtant fidèle à ses hautes valeurs morales mais dont certains ont dû pâtir faute à sa trop grande rigidité à et sa détermination butée, à l'exemple de ses hommes parfois malmenés ainsi que de son épouse qui semble l’avoir quitté pour avoir été un peu trop délaissée au profit de l’armée et ses devoirs. Dommage que pour incarner cet officier, Robert Stack ne soit pas un comédien plus talentueux même s’il assure assez bien le job dans ce western. En revanche, l’interprétation de Ketih Larsen dans le rôle de l’Indien Taslik se révèle très convaincante même si certains se plaindront que le comédien ne fasse pas plus indien que vous et moi.
Dans ce War Paint, on trouve, comme dans de nombreux des westerns de Selander, pas mal de petits d’éléments inhabituels (outre l’introduction et le personnage de l’Indienne, celui du cartographe rarement vu dans un film du genre) : un tournage presque entièrement en extérieurs (sauf pour les scènes nocturnes), quelques pistes de réflexions intéressantes sur le conflit indien, les points de vue de chaque camp et une violence assez inaccoutumée pour l’époque, celle-ci ayant d’ailleurs souvent fait réagir la censure. Bien évidemment, aujourd’hui tout cela paraîtra anodin mais les films de Selander étaient vraiment plus crus que la moyenne des westerns durant ces années-là, témoins aussi des personnages principaux souvent assez durs et malsains (celui joué ici par Peter Graves). War Paint reste donc encore un western assez curieux malgré le fil directeur de l'intrigue d’une grande simplicité, le voyage à haut risque d’une colonne de la cavalerie américaine pour porter un traité de paix aux Indiens à travers des territoires hostiles et désertiques, ceux en réalité de la célèbre Death Valley et ses paysages impressionnants de sauvage et aride nudité très bien utilisés par le chef opérateur Gordon Avil. Comme l’était Fort Osage l’année précédente, War Paint est une des premières séries B pro-indienne, aucunement paternaliste ni manichéenne, avec ici encore un postulat de départ assez intéressant et - ce qui était assez culotté en l'occurrence pour ce film-ci - sans aucune romance malgré une femme magnifique parmi les personnages principaux. Encore un budget dérisoire et un nombre de personnages plus que restreint, des contraintes qu’arrivent à contourner de la plus belle des manières Lesley Selander et ses deux scénaristes, Richard Allan Simmons (Le Roi et quatre reines de Raoul Walsh) et Martin Berkeley (collaborateur régulier de Jack Arnold).
Avec en à peine une trentaine d’années une centaine de westerns à son actif, dont beaucoup de "bandes" tournées à toute vitesse avec les héros de serials qu’étaient Hopalong Cassidy, Lone Ranger ou Kit Carson, le prolifique Lesley Selander en a certes réalisé quelques-uns de très mauvais mais il signa également d’autres petites pépites méconnues telles l'étonnant Shotgun, l'amusant Panhandle, le plaisant Tall Man Riding, l’efficace The Raiders ou encore le très sombre et passionnant Fort Osage, très belle réussite du western en faveur des natives regorgeant de détails insolites et bénéficiant d'un solide scénario. Plus je découvre de nouveaux films de Selander, plus je me dis avec une curiosité non dissimulée que sa filmographie doit encore contenir quelques titres assez jubilatoires, et que l’on a un peu trop vite eu tendance à classer ce cinéaste parmi les tâcherons du genre. La preuve, dans leur livre sur la série B, Pascal Merigeau et Stéphane Bourgoin écrivaient à propos du réalisateur : "On se demande pourquoi diable Selander aurait soudain réalisé un bon film. […] Selander, soyons justes, tourna tout de même autre chose que des westerns, mais avec un égal malheur..." La sortie du rare et méconnu - tout du moins en nos contrées - War Paint (La Loi du scalp) vient une fois encore démentir ce raccourci qui n’a vraiment pas lieu d’être lorsque l’on se met à défricher un peu plus consciemment la filmographie du bonhomme. Car s’il ne s’agit certes pas d’un chef-d’œuvre méconnu du western, loin s’en faut, nous nous trouvons néanmoins devant une série B intelligente, efficace, nerveuse et de très honnête facture dont la découverte devrait en ravir plus d’un. Donc messieurs les éditeurs, n’hésitez pas à creuser ce sillon et par exemple Fort Osage serait le bienvenu, lui aussi, sur nos galettes numériques préférées. Merci par avance !