L'histoire
Salvatore Cangemi, alias ‘Toto’ est le patron de la prostitution à Milan. Un autre mafieux, le français Roger Daverty, veut utiliser son réseau pour écouler de la drogue. Cangemi refuse et une guerre est déclenchée entre les deux membres. Sur la suggestion de son ami et lieutenant Lino, Cangemi fait alors appel à Billy Barone, un mafieux américain qui vient d’arriver dans la ville.
Analyse et critique
En 1973, Umberto Lenzi fait sa première incursion réelle dans le registre du poliziottesco avec La Guerre des gangs qu’il ne faut pas confondre avec le film de Fulci de 1980 qui est exploité en France sous le même titre. Comme beaucoup de ses compatriotes réalisateurs de film de genre dans les années 60 et 70, il avait jusqu’ici navigué entre différents filons, du péplum au giallo, en passant par l’eurospy, sans s’imposer de manière marquante dans aucun de ces genres, même s’il représente toujours le gage d’une grande efficacité, et d’un savoir faire réel dans la mise en scène. Avec ce premier polar, on ressent une différence visible, Lenzi paraissant réellement en phase avec le sujet qu’il traite. Pas étonnant quand il se disait lui-même inspiré par le cinéma noir américain des années 40 et par le rythme de Raoul Walsh. Il considère La Guerre des gangs comme son plus pur film noir, tourné selon lui dans la lignée du cinéma de Di Leo et de Melville, qui il sera le coup d’envoi de ce qu’il décrivait lui-même comme son âge d’or, qui se poursuivra dans le genre jusqu’à la fin de la décennie. (1)
Le film plonge, comme son titre français l’indique, dans une guerre des gangs qui prend pour cadre la ville de Milan. Prostitution, trafic de drogues et, bien sûr, règlements de comptes, les ingrédients du film de gangster sont tous présents dans un récit dense en scènes de violence, reflet d’une société elle-même plongée dans les années de plombs. La Guerre des gangs fonctionne comme un zoom sur ce qui est la conclusion habituelle des films de gangsters, notamment les films américains des années trente. L’ascension du personnage est ici éclipsée, même si elle existe belle est bien, par le dialogue, dans un échange où Salvatore raconte sa jeunesse à sa nouvelle maîtresse Jasmina. Le film se concentre alors sur la grande confrontation qui va provoquer la chute du protagoniste principal, à partir du moment de bascule où il refuse de se soumettre aux exigences, d’un trafiquant de drogue arrivé en ville. Nous voyons ainsi deux choses à l’écran. La première est la description, brute et peu séduisante, des activités de Salvatore Cangemi et de la criminalité organisée à Milan. Une plongée dans les bas-fonds de la ville dont Lenzi était content, et qui prend un ton souvent presque documentaire, efficace et marquant. Lenzi se tient éloigné d’excès qui auraient pu être inhérent au genre, avec notamment peu de scènes de nudité alors que le sujet aurait pu rendre facile l’exploitation de ce type de scène. Le seul moment où Lenzi y cède est la scène où la jeune Virginia, interprétée par Carla Romanelli que nous connaissons pour son rôle dans Le Guignolo et qui est ici très juste, est présentée à Salvatore qui la met à nu sans érotisme, dans une scène qui illustre parfaitement et sans concupiscence la marchandisation des corps qui est le fond du commerce de Salvatore.
La seconde dimension du film est évidemment la violence et l’action, qui met en exergue le sens du rythme habituel de Lenzi, qui illustre parfaitement sa filiation avec Walsh. La Guerre des gangs est un film très violent et très sec, loin des séquences esthétisées du cinéma d’un Castellari ou même d’un Di Leo. Il n’y a rien de séduisant dans la forme choisie par Lenzi, qui, là aussi, opte pour une vision presque documentaire, illustrant la dureté des effets de la criminalité dans la rue italienne. Si Lenzi n’est pas le plus politisé des cinéastes œuvrant dans le poliziottesco, cet aspect crée un lien discret mais direct avec la réalité contemporaine italienne, tout comme la trajectoire de Salvatore, telle qu’il la raconte à Jasmina, celle d’un pauvre sicilien, monté à Milan et pour qui la prostitution de l’amie qui l’avait accompagné a été le dernier recours. Illustration des inégalités économiques entre le nord et le sud de l’Italie, avec la criminalité comme seule issue, qui peut faire penser au discours des films sociaux de la Warner, qui identifiaient la même solution dans le contexte de la grande dépression.
Si Lenzi explique la trajectoire de Salvatore, il ne l’excuse pas. Le protagoniste principal, comme la plupart des autres personnages du film, n’est pas sympathique. Lenzi ne sauve que les prostituées, dont Virginie, victimes collatérales du fonctionnement économique de l’Italie et de la violence qui y règne. Autour, rien à sauver. Salvatore a oublié toute valeur ou presque et se vautre dans le luxe de son appartement. La police toujours en retard, comme souvent dans le genre, ne peut agir contre les agissements criminels qui secouent la ville. A la traine du crime organisée, elle disparait rapidement du récit, avant de ressurgir par opportunisme à sa conclusion sans être plus efficace. Le personnage de Jasmine, interprété par la toujours fascinante Marisa Mell, est un écho direct aux femmes fatales vénéneuses du film noir classique, qui entrainera Salvatore vers sa chute.
Le plus sombre de tous ces personnages est Billy Barone. Attendu comme le sage, l’expert venu d’Amérique qui aidera à résoudre le conflit pour Salvatore, c’est lui qui écrasera tout le monde. Par extension, il incarne le poids des Etats-Unis dans la situation économique et social de l’Italie : celui qui, depuis la guerre, tire les marrons du feu et impose son modèle au pays. Barone compare d’ailleurs Milan à un « petit Chicago ». Barone personnifie le poids de l’Amérique, il est celui qui symboliquement en importe la violence et impose son pouvoir, transformant l’Italie et même l’Europe, puisqu’il vient dominer à la fois Salvatore Cangemi le sicilien et Roger Daverty le français. En arrière-plan d’un film avant tout dominé par son intrigue, ses scènes d’action et son rythme, Lenzi livre ainsi, en filigrane, des éléments discrets sur l’état de l’Italie, dominée à tous les niveaux par une violence absolue, y compris dans son fonctionnement économique et dans laquelle, schématiquement, la femme est exploitée par l’homme, lui-même menacé par les puissances étrangères dominées par les Etats-Unis, dans une représentation à peine voilée de la situation géopolitique réelle, où Barone serait la personnalisation, dans une intrigue criminelle, du réseau Gladio.
La Guerre des gangs offre ainsi toutes les qualités d’un poliziottesco réussi, mêlant divertissement efficace et photographie sans concession de son époque. Lenzi réussi pleinement son entrée dans le genre en créant une belle confrontation d’acteurs entre Antonio Sabato et Philippe Leroy dans un décor urbain menaçant. Le succès du film le fera poursuivre dans le registre en créant bientôt un nouveau duo d’acteurs, le plus iconique du genre, celui qui mettra au prise Tomas Milian et Maurizio Merli dans plusieurs productions marquantes.
(1) Voir l’interview d’Umberto Lenzi en bonus du Blu Ray de Le Cynique, l'infâme, le violent, édité par The Ecstasy of Films