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Critique de film
Le film

La Cité des tueurs

(City of Bad Men)

L'histoire

Mars 1897. Brett Stanton (Dale Robertson) et son gang - qui inclue son frère Gar (Lloyd Bridges) - reviennent du Mexique où ils pensaient amasser une belle cagnotte ; ayant combattu "du mauvais côté", ils rentrent bredouilles au pays. Mais Brett n'est pas à court d'idées et il propose à ses hommes d'aller attaquer la banque de la paisible Carson City, sa ville natale dans le Nevada. Quelle n'est pas leur surprise lors de leur arrivée dans "leur petite ville endormie" de découvrir celle-ci en liesse, avec des milliers de personnes qui la parcourent dans tous les sens ! Toute cette foule se prépare à assister à un événement sportif de première importance, un match de boxe opposant deux champions du monde en titre, Jim Corbett et Bob Fitzsimmons. Les autorités de la ville s'inquiètent de voir, outre le retour de la bande de Stanton six ans après son départ, l'arrivée de deux autres redoutables gangs de hors-la-loi dont celui dirigé par Johnny Ringo (Richard Boone). Les managers des boxeurs étant inquiets de la présence de tant de bandits, et pour éviter que le match tant attendu soit annulé à cause de la violence qui pourrait être occasionnée par le sang chaud de ces outlaws, le shérif décide de faire des trois chefs-de gang ses adjoints le temps que l’événement ait lieu afin qu'ils puissent eux-mêmes tempérer leurs hommes, qui tous espèrent assister au spectacle. Si Brett accepte, c'est pour la bonne et simple raison qu'il a tout intérêt à ce que le match ait lieu ; en effet, abandonnant l'idée de l'attaque de la banque, il a imaginé de s'emparer de l'argent de la recette du combat, ce qui représentera une fort coquette somme. Il se pose néanmoins des problèmes de conscience depuis qu'il a retrouvé la femme qu'il aime, la jolie Linda Culligan (Jeanne Crain), qui travaille désormais pour l'organisateur de cet événement sportif...

Analyse et critique

Harmon Jones, avant de se lancer dans la réalisation en 1951, fut un monteur plutôt bien coté qui a surtout travaillé pour Henry Hathaway (La Maison de la 42ème rue13 rue Madeleine), William Wellman (La Ville abandonnée), Joseph Mankiewicz (La Maison des étrangers) et surtout Elia Kazan (Boomerang, L'Héritage de la chair, Panique dans la rue). Sa filmographie en tant que cinéaste ne sera constituée que de 14 longs métrages dont le plus "connu" (pour cause de diffusion télévisée principalement) est peut-être La Princesse du Nil, fantaisie orientale avec Debra Paget et Jeffrey Hunter. L'année précédente, en 1953, il réalisa deux westerns : celui qui nous concerne ici et peu de semaines avant, déjà avec Dale Robertson, The Silver Whip. Rien de bien fameux a priori, ce que vient confirmer ce City of Bad Men loin d'être désagréable grâce surtout à des situations originales et inédites, mais très quelconque au niveau de la mise en scène et de sa galerie de personnages. Il s'agit d'une série B produite par Leonard Goldstein qui avait à cette occasion quitté la Universal, pour laquelle il avait abondamment travaillé durant la période faste du studio dans le domaine du western (1948-1952) avec à la clé quelques réussites telles que Bandits de grands chemins (Black Bart), La Fille des prairies (Calamity Jane and Sam Bass) ou Tomahawk, tous trois signés George Sherman, ou bien encore le sympathique Duel sans merci (Duel at Silver Creek) de Don Siegel... La Cité des tueurs est un western dont l'intrigue se déroule alors qu'un match de boxe important va avoir lieu, celui opposant James Corbett (le fameux Gentleman Jim interprété par Errol Flynn dans le chef-d’œuvre de Raoul Walsh) et Bob Fitzsimmons. Un postulat de départ déjà bien intriguant.

Même si cela a déjà été fait à maintes reprises par le passé quand il s'agissait de tracer des portraits romantiques des grands bandits de l'Ouest, c'est une bonne idée de départ que de faire des hors-la-loi les personnages principaux de l'histoire et surtout de les faire arriver au sein d'une ville habituellement paisible, aujourd'hui grouillante et débordante de monde. Ses habitants sont excités par un combat de boxe, qui a d'ailleurs vraiment eu lieu dans la réalité à cette date et en ce lieu et qui vit la victoire de Bob Fitzsimmons. La description d'une Carson City populeuse via le regard des bandits traversant lentement sur leurs montures sa rue principale, étonnés de tout ce qu'ils voient à chaque pas et de chaque côté, est excellemment bien vue. Ils découvrent tour à tour et les yeux écarquillés l'avancée de la civilisation au travers des saltimbanques, des danseuses orientales, d'une femme qui vante les mérites d'une baignoire, des prostituées réunies sur un balcon, d'une roulette (Chuck-a-Luck) sortie sur le trottoir ou encore d'une des premières automobiles... Les chevaux ont du mal à se frayer un chemin au milieu de cette foule bigarrée et compacte. Notre gang de six outlaws (dont deux frères et deux bandits mexicains recherchés dans leur pays) pénètre alors dans un saloon bondé, sont témoins et victimes des dommages collatéraux causés par la prospérité - comme l'inflation, le prix du whisky se voyant doublé du jour au lendemain. Pas facile non plus de trouver des chambres d'hôtels libres, les six hommes se voient donc obligés de partager la même pièce alors que d'autres bandes vont même les déloger, s'arrogeant ce droit en prétextant le manque de place. Cette description de la ville débordée et en liesse, de ce microcosme grouillant, est vraiment passionnante (et constitue l'élément le plus captivant du film) d'autant que la tension est à son comble, les incontrôlables accès de violence pouvant éclater à tout instant, occasionnés par le fait de se faire côtoyer des bad men de plusieurs équipes ennemies qui se détestent cordialement les uns les autres (« Well, if the killing starts, you can forget about your fistfight. This town will empty like a cyclone hit it. ») On trouve d'autres situations originales et mêmes inédites dans le western comme celle des trois chefs de gang se voyant épinglés une étoile de shérif sur leur torse le temps de l’événement sportif afin qu'ils aient à l’œil leurs propres hommes (« I got a feeling that the real fight is going to be outside of the ring. »).

L'intrigue de City of Bad Men est également basée sur la préparation d'un coup qui aurait très bien pu provenir d'un film noir. Quant au match de boxe, il s'agit également d'une première au sein d'un western ; malheureusement les amateurs de ce sport devront se faire à l'idée qu'ils n'auront rien à se mettre sous la dent à ce niveau, le combat étant filmé sans aucune conviction ni vigueur et l'ensemble des plans le concernant ne doit pas excéder 30 secondes. La mise en scène est d'ailleurs l'élément le plus faible de ce western, qui se suit pourtant avec un certain plaisir. Harmon Jones tente bien deux ou trois choses (comme ce montage parallèle entre deux parties de cartes, ou encore la mise en place de quelques trouvailles visuelles et sonores lors de l'affrontement final entre Dale Robertson et Richard Boone) mais dans l'ensemble se révèle piètre réalisateur, son western étant assez platement filmé. Ce qui est vraiment dommage car par ailleurs le scénario est plutôt bien écrit et les personnages assez intéressants, notamment les deux protagonistes féminins qui malheureusement n'ont que peu de temps de présence à l'écran. Frustrant aussi d'avoir sous-employé Jeanne Crain qui s'avère une fois de plus impeccable, aussi convaincante que mignonne ; les scènes qu'elle partage avec Dale Robertson sont vraiment très réussies dramatiquement parlant. Le personnage de sa "belle-sœur" joué par Carole Mathews n'est pas en reste : une femme d'âge mûr qui n'a pas froid aux yeux et tente de faire tomber dans ses filets l'ex-amoureux de la fiancée de son frère. Quant au reste du casting constitué d'une multitude de trognes connues (même si leurs noms le sont moins), il ne fait pas d'étincelles mais se révèle tout à fait acceptable à l'exemple de Dale Robertson, très peu charismatique mais néanmoins tout à fait convenable. Les amateurs de Richard Boone seront un peu déçus de le voir si peu mais cela peut très bien s'expliquer puisqu'il venait de débuter sa  carrière.

Enfin, si vous pensez connaître la musique endiablée que vous entendrez au générique, il s'agit tout simplement de celle du générique de La Cible humaine (The Gunfighter) avec Gregory Peck, réorchestrée un minimum. Autre élément commun au deux films : le bandit Johnny Ringo. Harmon Jones et ses scénaristes (le même duo qui a signé le plaisant script de The Nevadan de Gordon Douglas) ont-ils voulu rendre hommage au superbe western de Henry King ? Ce n'est pas impossible puisque de la même façon les paysages rocheux de la seule séquence qui se passe à l'extérieur de la ville (la première, celle de l'arrivée des bandits) rappellent un peu ceux de l'unique scène du film de Henry King qui se déroule aussi hors du périmètre urbain. Quoi qu'il en soit, les deux films ne concourent pas dans la même catégorie ; et même si City of Bad Men est plaisamment troussé, il ne pourra plaire qu'à un nombre restreint de spectateurs, et ce même pas à tous les westerners aguerris mais à la frange plus sensible aux dialogues (intelligemment écrits la plupart du temps) qu'à l'action - parfois un peu confuse et sans efficacité. Mais répétons-le, on a ici un western qui met en scène des situations constamment intéressantes et qui en profite pour nous questionner brièvement sur l'avancée de la civilisation à l'orée du XXème siècle.

William Brady, le manager de l'un des boxeurs, ne comprenant pas l'inquiétude des notables de la ville : « But this isn't the Wild West anymore. Jesse James is dead. You haven't got the Pony Express, you got railroads now. You even got an automobile in town. You're talking in the past. Civilization is here. »
Sheriff Gifford lui rétorquant à propos des "bad men" : « So are they ! And they are not interested in civilization ! »

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 18 avril 2013