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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Chevauchée du retour

(The Ride Back)

L'histoire

Chris Hamish (William Conrad), le shérif de Scottsville au Texas, part pour arrêter Roberto Kallen (Anthony Quinn) qui, un mois auparavant, avait fui sa ville au galop après avoir tué deux hommes. L’homme de loi a dans l’intention de capturer le meurtrier qui a trouvé refuge dans un petit village du Mexique, et de le ramener en ville pour qu’il ait un procès équitable. Il le retrouve assez facilement grâce au Père Ignacio, dont la jeune cousine Elena (Lita Milan) s’est amourachée du hors-la-loi. Ce dernier assure à sa fiancée qu’il sera vite de retour, pensant aisément faire faux bond au shérif à la première occasion. Les voilà sur le chemin du retour, poursuivis par Elena qui ne veut pas lâcher son amant d’une semelle. Sur les ordres de Roberto qui refuse de l’entrainer dans un dangereux voyage, elle sera bloquée à la frontière par le "douanier". Nos deux hommes finissent donc par entrer seuls sur le territoire américain, où ils sont vite harcelés par quatre Apaches alcooliques et faméliques qui viennent de massacrer une famille de pionniers aux alentours. Seule une jeune fille (Helen Hope Monroe) a échappé à la tuerie ; Chris et Roberto décident de la prendre avec eux jusqu’à la fin de leur chevauchée au cours de laquelle ils continueront à être constamment pris pour cible par les Indiens. Malgré aussi les diverses tentatives d’évasion de Roberto qui a avoué à son compagnon d’infortune avoir commis les crimes dont on l’accuse en état de légitime défense, Chris met un point d’honneur à mener sa mission à bien ne serait-ce que, pour une fois, réussir quelque chose dans sa vie...

Analyse et critique

Des shérifs véreux, couards ou simplement peu héroïques, il y en a eu déjà beaucoup dans le genre, mais il s’agissait majoritairement, voire exclusivement, de seconds rôles. Lorsqu’un homme de loi était le personnage principal d’un western, avant le milieu des années 50, il fut la plupart du temps probe et droit, courageux et mentalement fort. Puis Randolph Scott, qui pourtant fit partie à maintes reprises de ces marshalls solides et coriaces, ne supporta plus sa ville "grondante" dans A Lawless Street (Ville sans loi) de Joseph H. Lewis et alla se terrer dans ses propres cellules pour y être à l’abri, ou bien Robert Ryan ne voulut pas avouer le début de sa cécité de peur d’être mis au placard dans le très bien nommé Le Shérif (The Proud Ones) de Robert D. Webb. Il y eut probablement quelques autres exemples mais c'est maintenant au tour de William Conrad dans cette Chevauchée du retour (une fois n’est pas coutume,voilà une belle traduction littérale du titre original) de nous dessiner un portrait de shérif déprimé et mettant en doute toutes ses capacités professionnelles voire même personnelles. L’époque n’est décidément plus au manichéisme d’autant que dans ce même film signé Allen H. Miner, qui raconte l'histoire d'un shérif ramenant un meurtrier du Mexique aux États-Unis afin qu'il y soit jugé équitablement, le hors-la-loi n’est peut-être pas vraiment coupable des accusations qui pèsent sur lui (ou alors il a des arguments en sa faveur) et qu’il se révèle très bienveillant tout en cherchant très logiquement à échapper au procès qui pourrait lui être fatal. On ne se plaindra évidemment pas de cette évolution qui rend les personnages moins héroïques mais de ce fait également plus humains.

L’acteur William Conrad faisait la voix du Marshall Matt Dillon dans le feuilleton radiophonique Gunsmoke au début des années 50. Lorsque l’histoire fut déclinée en une série télévisée, considéré comme trop petit et pas assez svelte le comédien n’obtint pas le rôle qu’il convoitait, remplacé par l’imposant James Arness. Frustré, mais se souvenant d'un épisodes écrit par Antony Ellis qui l’avait marqué et qui narrait les aventures d’un shérif adjoint forcé de rapatrier un meurtrier présumé du Mexique vers les États-Unis, il décide d’en produire une version cinématographique qu’il interprètera, fortement convaincu de la puissance dramatique de l’histoire. Il fait part de son projet à Robert Aldrich qui le trouve très intéressant mais pas au point de le réaliser lui-même ; néanmoins il décide de le coproduire et d’en confier la mise en scène à un ami n’ayant jusqu’à présent à son actif de réalisateur que des documentaires et quelques épisodes de séries pour la télévision après avoir été photographe durant la Seconde Guerre mondiale. Miner sera néanmoins assisté, sans qu’il ne soit mentionné au générique, par un fidèle collaborateur d’Aldrich, Oscar Rudolph, père du réalisateur Alan Rudolph. Avec des moyens très restreints mais avec l’aide d’autres familiers de Robert Aldrich (Frank De Vol à la musique, Joseph F. Biroc à la photographie), Allen H. Miner nous livre un western très attachant, non dénué de fautes de goût mais au ton unique. Ce cinéaste méconnu ne réalisera durant toute sa carrière que cinq films (dont trois westerns) et travaillera surtout activement pour la télévision, signant de multiples épisodes pour des séries diverses (La Quatrième Dimension, Bat Masterson, Les Incorruptibles, Perry Mason...).

Voici une petite ville de l’Ouest tout ce qu’il y a de plus banale dans laquelle la caméra de Miner arpente les rues à la poursuite d’un enfant jouant avec un pistolet en bois. Par touches très réalistes, l’on découvre dans le même temps les habitants vaquer à leurs occupations, le tout au sein de plans et de cadrages pas forcément classiques. La séquence se termine par des coups de feu, un homme sortant précipitamment d’un salon de coiffure pour enfourcher un cheval, s’enfuyant à toute vitesse alors que l’on crie de partout "au meurtrier", tandis que la caméra s’élève pour cadrer toute la petite ville en effervescence au travers d'un beau plan d’ensemble en plongée. Puis le générique de se dérouler sur des images d’un shérif (dont on ne voit jamais le visage) se préparant à sortir après avoir établi un itinéraire de voyage alors que la voix du comédien Eddie Albert (autre membre de la famille aldrichienne, surtout célèbre pour avoir joué plus tard dans la série humoristique Les Arpents verts) chante la très jolie ballade qui rythmera le film. Un ton et un style immédiatement originaux pour ce western produit par le grand Robert Aldrich. L'histoire est d’une simplicité enfantine mais pleine de petits détails réalistes ou poétiques et riche en surprises, notamment concernant le caractère et l'évolution des deux personnages principaux. Le shérif (superbe William Conrad tout en retenue, qui n’avait pas eu peur de se montrer mal rasé, mal vêtu et perpétuellement en sueur) est un homme qui n’a pas confiance en lui, qui dit avoir tout raté dans sa vie et qui n'aurait même pas réussi à se faire aimer y compris par sa femme : « I've never been a success at anything I tried to do. Anything I ever tried to do ever, failed. I've been a failure and that's all, a plain old failure. But I'm not going to be this time. I'm going to make this one. I'm going to do this right ! » Un homme seul et dépressif qu'on voit pleurer à plusieurs reprises mais qui tente de retrouver l’estime de soi et de se revaloriser en faisant tout pour mener à bien une mission qu’on lui a confiée. Un personnage vraiment attachant et peu courant dans le western, un antihéros poignant qui finira par éprouver pour son prisonnier, non pas de la haine mais de l'admiration et du respect.

Le meurtrier, c’est Anthony Quinn qui venait juste de remporter l'Oscar pour Lust for Life (La Vie passionnée de Van Gogh) de Vincente Minnelli, ce que l'affiche s'empresse de rappeler. Ici, il est une nouvelle fois admirable, tout à la fois charismatique et sobre dans la peau d’un hors-la-loi lui aussi très attachant, l'un parmi tant d’autres de ses plus beaux rôles. Quinn est un peu l’antithèse de son "geôlier" puisque c’est un homme souriant, séduisant, sûr de lui (voire même un peu arrogant), aimé par tous ceux qui l’entourent et surtout adoré par une femme qui est prête à le suivre au bout du monde malgré les dangers. Le shérif ne peut que constater avec dépit la différence de tempérament qui existe entre eux deux, et sa tristesse sera encore accentuée quand il verra que la jeune fille rescapée du massacre ira plus facilement chercher protection auprès de son prisonnier plutôt qu'auprès de sa personne alors qu'il est censé être, de par son métier, un garant de la sécurité. A force de discussions amenant à la compréhension réciproque, malgré leurs immenses dissemblances, ils finiront par éprouver l'un pour l'autre une grande estime mutuelle. Dommage que les très rares autres seconds rôles (féminins principalement) ne soient pas aussi bien écrits et surtout qu'ils s'avèrent aussi moyennement dirigés : que ce soient Lita Milan ou la très jeune Helen Hope Monroe, elles arrivent à être agaçantes ou ternes par manque de talent dramatique. En revanche, le garde frontière mexicain est assez cocasse sans jamais être caricatural ; à noter que les auteurs n’ont pas souhaité traduire ni sous-titrer les dialogues en espagnol pour que le spectateur se trouve dans la même position d’incompréhension que le personnage du shérif qui ne connait pas du tout la langue du pays dans lequel il se rend. Un élément qui renforce le réalisme de l’ensemble tout comme le fait de ne jamais filmer les Indiens de près, plaçant une nouvelle fois le spectateur dans la même position que les protagonistes qui ne parviennent jamais vraiment à connaître le menaçant ennemi.

Ce western avant tout basé sur la psychologie de ses deux personnages principaux plus que sur l’action (les amateurs de films mouvementés risquent de rester sur leur faim), Allen H. Miner le filme avec beaucoup de modernité et d'originalité tout en restant assez modeste, créant ainsi par son formalisme maitrisé une atmosphère singulière loin d’être désagréable. A l’aide de cadrages, images et plans insolites très souvent justifiés, d’un noir et blanc somptueux, entièrement tourné dans de superbes décors naturels de Californie et du Mexique sous de magnifiques cieux nuageux, le film baigne dans une douceur assez rare pour le genre. La manière qu’à le cinéaste de filmer avec tendresse les petites gens (le Mexicain et son bébé) nous rappelle a posteriori les futurs films de Sam Peckinpah. Si The Ride Back possède quelques éclairs de violence, on ne peut pas dire qu'il soit un film violent, bien au contraire ; délicat et sensible, il nous brosse le portrait riche en nuances de deux personnages antagonistes et nous fait participer à leur amitié naissante qui prendra tout son sens lors de la très belle dernière séquence. Le tout soutenu par un score lui aussi peu banal signé par Frank de Vol : loin des envolées lyriques ou des canons hollywoodiens habituels, une guitare sèche, quelques bois et peu ou pas de cordes pour une musique insolite mais jamais gênante. Un ton inhabituel, une belle force émotionnelle pour un ensemble vraiment attachant à défaut d’être inoubliable par la faute d’un budget trop rachitique, de quelques ratés ou fautes de goûts et de seconds rôles très moyens. Une jolie surprise que ce film qui mérite de sortir de l'oubli dans lequel il était tombé !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 2 novembre 2013