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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Chambre interdite

(The Forbidden Room)

Analyse et critique

La Chambre interdite est construit comme une poupée russe. Une histoire qui ouvre sur une nouvelle histoire, qui ouvre etc... les récits (dix-sept au total) ne cessent de s'imbriquer, la narration faisant parfois des retours en arrière, remontant le fil des intrigues entremêlées. On prend un immense plaisir à se perdre dans ce labyrinthe d'histoires dont on lâche très vite le fil d'Ariane pour se laisser simplement porter par le plaisir de la découverte. Car ici rien n'est prévisible, rien n'annonce ce qui va arriver. On a le sentiment d'être à la source des histoires, qu'elles jaillissent sans avoir encore de forme définitive, juste des ébauches, des films enfants qui doivent encore grandir et qui dansent ensemble dans une grande farandole folle et insouciante. Guy Maddin part en fait d'idées de films et de personnages qui ont germé dans les esprits de Hitchcock, Von Stroheim, Lubitsch, Murnau, Ford, Borzage ou Ozu. Des films qui ont pu aussi un jour exister mais qui sont aujourd'hui perdus. Et Maddin de rêver ces histoires à partir d'un bout de scénario retrouvé, d'un morceau de dialogue, d'une critique, d'une image de plateau ou d'un simple photogramme.


C'est au départ une sorte d'installation, le tournage de ce qui va donner The Forbidden Room s'effectuant en direct pendant six semaines au Centre George Pompidou puis au Centre Phi de Montréal. Maddin, dans un décor de cabinet d'occultiste, convoquait grâce à un medium l'esprit de ces films perdus en présence de ses acteurs (Mathieu Amalric, Ariane Labed, Charlotte Rampling, Geraldine Chaplin, André Wilms, Maria de Medeiros, Jacques Nolot, Slimane Dazi, Jean-François Stévenin, Clara Furey, Louis Negin, Adèle Haenel, Amira Casar, Udo Kier... n'en jetez plus !) qui se laissaient alors posséder par eux et pouvaient ainsi les rejouer. Ce tournage en direct - intitulé Séance - a conduit à la réalisation d'une série de cent courts métrages et c'est d'une sélection d'une partie de ce corpus qu'est né ce film (ainsi qu'un site internet interactif) co-réalisé avec Evan Johnson, un ancien étudiant de Maddin devenu un proche ami. D'où cette forme que prend le film d'une suite ininterrompue de saynètes reposant sur une vague et délirante épine dorsale écrite par le poète John Ashbery (How To Take a Bath) qui parodie les spots éducatifs américains des années 50.

On passe ainsi d'un genre à un autre au détour d'un plan : film de sous-marin et d'exploration exotique, musical et thriller, conte de fée et serial. Des images familières apparaissent ici et là dans ce maelstrom, réminiscences de films vus ou plan signatures d'un cinéaste connu, bouées auxquelles on raccroche dans cette tempête visuelle. Avec Ulysse, souviens-toi, Maddin a commencé à tourner en numérique. S'il dit trouver dans ce nouveau format la même légèreté qu'avec le super 8 qu'il a si souvent utilisé, on l'imagine mal à l'aise avec cette technologie impalpable, lui qui aime la matière, la texture même du film. Avec La Chambre interdite, il trouve une nouvelle manière d'utiliser le numérique, triturant chaque image pour retrouver la sensation de la pellicule abîmée, passée, tachée, griffée, craquée ou instable. Et il malaxe si bien tous ces "défauts" que la pellicule semble vivre, respirer, bouger comme un champignon se développant en accéléré, donnant la sensation de quelque chose d'organique et d'ectoplasmique qui incarne ainsi à l'écran l'idée même du fantôme.


Bien sûr, on n'est pas obligé de prendre au sérieux ces séances de spiritisme, les transes et possessions de comédiens, les histoires non filmées ou perdues des maîtres du cinéma (on peut supposer que la plupart sont de pures inventions de Maddin) mais la loufoquerie assumée de l'entreprise participe pleinement de la folie de ce film qui laisse augurer d'un nouveau départ dans la carrière du cinéaste. Après les très introspectifs Winnipeg mon amour et Ulysse, souviens toiLa Chambre interdite, film ludique, joyeux et fou, ouvre une nouvelle porte dans le monde cinéma de Guy Maddin. Et on a hâte de découvrir ce qui se cache encore derrière...

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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 17 juin 2016