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Critique de film
Le film

La Blonde et moi

(The Girl Can't Help It)

L'histoire

Tom Miller est un imprésario fini, obnubilé par les visions d’une célèbre chanteuse qui l’a abandonné, seule gloire à mettre au compte d’une carrière qui se termine le nez dans les bouteilles. Murdock, un malfrat sorti de prison, fait appel à lui pour qu’il fasse de sa protégée, la pulpeuse Jerri Jordan, la nouvelle star du Rock’n' Roll. Mais si le physique de miss Jordan peut faire exploser les charts, sa voix de crécelle est par contre un sérieux handicap… à moins que ce ne soit une bénédiction pour elle, qui rêve de devenir une mère au foyer modèle, et pour Miller qui s’en amourache...

Analyse et critique

La Blonde et moi est le film qui révèle Jayne Mansfield, que Tashlin redirigera l’année suivante dans La Blonde explosive. Si Raoul Walsh ou Stanley Donen ont essayé d’en faire un nouveau sex-symbol à défaut d’une véritable actrice, seul Tashlin semble avoir compris comment utiliser cette « créature », ou plutôt comment jouer de ses formes. Le réalisateur appuie le côté surréel de ses mensurations et n’essaie pas de jouer sur un quelconque érotisme. Il fait de Mansfield une Marylin au carré, une pure vision de cartoon, évacuant tout l’émoi qu’elle pourrait procurer au profit d’une pure abstraction. A voir Jerri Jordan se mouvoir, on a la constante impression d’assister à un trucage qui, à l’instar de la Jessica Rabbit de Zemeckis, ferait évoluer un personnage en deux dimensions dans notre univers. Sur son chemin, le réel se plie, se distord, les lunettes se brisent, les bouteilles de lait explosent et les hommes se transforment en loups de Tex Avery.

Après Sept ans de réflexion, on retrouve Tom Ewell dans un rôle similaire, celui d’un homme du commun qui tombe sous le charme d’une plantureuse créature, Jayne Mansfield succédant ici à Marylin Monroe. En répondant au film de Billy Wilder, La Blonde et moi marque le début de la seconde comédie américaine, dont nous parle Marc Cerisuelo dans les documentaires proposés en bonus. Blake Edwards, Richard Quine, vont ainsi succéder aux comédies de Capra et Lubitsch en réalisant des films satiriques, prenant pour cible les médias, où un homme ordinaire, célibataire endurci, un peu raté, stressé, voit sa vie mise sans dessus dessous par l’arrivée d’une « blonde atomique ». Ce chamboulement s’exerce sur la matière même des films qui voient leur artificialité clairement revendiquée. Ce comique visuel proche de l’absurde, issu du cartoon, est la marque de fabrique de Frank Tashlin. Pour décrire les mécaniques qui se dérèglent, s’emballent, il fait appel à l’imagerie populaire de la bande dessinée et du dessin animé où il a fait ses premières armes. D’abord dessinateur de BD, puis cartooniste chez Van Beuren (1933-1934), Ub Iwerks (1937) et enfin Warner, il signe de nombreux dessins animés, dont Porky Pig dont il est l’un des créateurs. Tashlin est salué par les spécialistes comme un auteur qui révolutionna le cartoon, à l’instar d’un Tex Avery ou d’un Chuck Jones, par son utilisation de procédés purement cinématographiques. En passant derrière la caméra après la guerre, il fait en quelque sorte le chemin inverse en insufflant aux films de prises de vue réelles l’esprit déjanté des dessins animés.

La Blonde et moi est une comédie assez classique dans le fond, une satire gentillette et inoffensive du showbiz et de la culture populaire des 50’s. Tashlin s’amuse avec la fabrication des stars, les petites combines pour faire remarquer son poulain, la possibilité de faire un tube sans une once de talent… mais la critique est loin d’être acerbe. Le film se rapproche plus des comédies à la Cukor (le film est tiré d’un roman de Garson Kanin, l’auteur de Madame porte la culotte et Mademoiselle gagne-tout) que des fables mordantes de Billy Wilder. C’est sur la forme qu’il marque une rupture avec la comédie de l’âge d’or, mariant l’esthétique des sitcoms et du cartoon, sur fond de Rock’n Roll et de ses tubes populaires. I love your eyes, I love your lips, they taste even better than potato chips chante Eddie Cochran. Des paroles et des musiques auxquelles le spectateur est encore peu habitué, La Blonde et moi étant l’un des premiers films produit par une Major comportant du Rock’n' Roll. Gene Vincent, Fats Domino, The Platters, Little Richard, The Treniers se partagent l’affiche en autant de saynètes où ils égrainent leurs tubes respectifs, dynamisant, à défaut de dynamiter, le film. Julie London, évoque quant à elle un versant mélancolique et quelque peu sirupeux, avec un Cry Me a River qui hante les virées éthyliques de Tom Ewell. Ces intrusions sont cependant artificiellement plaquées et ne transmettent en aucun cas la fureur et la subversion de cette musique. On ne peut vraiment parler de film Rock’n' Roll, et La Blonde et moi ne demeure au final qu’un documentaire un peu suranné sur cette époque.

Satire assez anodine, Rock’n' Roll de circonstance, le film peine à véritablement trouver sa voie. Restent des dialogues souvent brillants et des gags franchement réussis. Tashlin fut gagman pour Hal Roach et Bob Hope, ce qui n’est pas très glorieux il est vrai, et a surtout tourné à six reprises avec Jerry Lewis (Artistes et modèles en 1955, Jerry chez les cinoques en 1964). S’il est difficile d’appréhender clairement l’apport de chacun des deux artistes dans le tandem, on retrouve dans La Blonde et moi une tendance à flirter avec le mauvais goût et la transgression bien présents dans les œuvres du duo. Par un humour un peu misogyne, un peu grivois, Tashlin s’amuse avec la censure et fait tourner ses gags autour de l’anatomie généreuse de Mansfield. Les bouteilles de lait très évocatrices qui explosent au passage de Mansfield sont tout de même bien osées pour l’époque ! L’intérêt du film est bien cette volonté de plier le cinéma des Majors à l’univers très sexuel des cartoons et bien sûr à celui de Tex Avery. Si le réalisateur annonce la couleur avec ses deux protagonistes nommés Tom & Jerri, ces passages sont au final assez peu nombreux, loin du cartoon live souvent vanté. Retenons celui où Jerri porte contre sa poitrine deux bouteilles de lait et parle de son envie d’élever des enfants ou encore lorsqu’elle déclare « Nobody thinks I'm equipped for motherhood » et que Tashlin s’amuse à la filmer à hauteur de poitrine, sans cadrer son visage.

L’ouverture est une petite réussite qui porte en elle le programme du film. Tom Ewell se trouve dans un cadre 1.66 en noir et blanc. Promettant au spectateur du grand spectacle, il pousse les côtés du cadre pour atteindre le format du Cinémascope, puis fait appel au "Gorgeous, Lifelike Color by De Luxe " qui illumine soudainement l’écran de ses couleurs flamboyantes. Il vante ensuite les mérites d’un film où « Culture, refinement, and polite grace of present day music » seront de mise alors que la bande sonore est soudainement saturée par un tube de Rock’n' Roll qui jaillit d’un juke-box. La musique envahit la mécanique et emporte ce grand spectacle classique et de bon goût, dont Tom Ewell exalte les vertus, dans le tourbillon qui s’abat alors sur la culture populaire américaine. Même si le rendez-vous est quelque peu raté, La Blonde et moi demeure une sympathique comédie, témoin des changements radicaux qui vont ébranler les fondations du cinéma hollywoodien qui, en plus de perdre sa mainmise sur le divertissement au profit d’autres médias comme la télévision et la variété, va être considérablement influencé par ceux-ci.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 17 janvier 2006