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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Bête de guerre

(The Beast of War)

L'histoire

Afghanistan, 1981. Après avoir détruit un village, l'équipage d'un char soviétique se perd dans le désert. Les moudjahidines se lancent à sa poursuite, avec à leur tête le jeune Khan Taj (Steven Bauer), ivre de vengeance. La situation devient vite intenable pour le soldat Konstantin (Jason Patric), qui supporte de moins en moins la tyrannie du commandant Daskal (George Dzundza).

Analyse et critique


D'une certaine manière, Kevin Reynolds est une victime de La Bête de guerre : s'il n'avait pas, avec ce film, mis la barre aussi haut, s'il n'avait pas réussi l'exploit de se hisser d'emblée à la hauteur d'Oliver Stone et de Platoon, nous n'aurions pas attendu ses films suivants avec espoir et nous n'aurions pas été systématiquement déçus ! Mais il semble que Reynolds ait épuisé quasiment toutes ses cartouches avec La Bête de guerre, un peu à la manière de ces cinéastes d'Océanie (Russell Mulcahy, Geoff Murphy, Lee Tamahori) qui ont commencé très fort... mais n’ont pas tenu la distance, malgré quelques productions hollywoodiennes de bon standing. Toutefois, ne soyons pas trop injustes avec Reynolds : non seulement il a continué à nous offrir dans les années quatre-vingt-dix de grands spectacles, mais il a su maintenir une certaine cohérence derrière la disparité des genres abordés : attirance pour les mondes dépeuplés et sauvages, récits initiatiques parfois empreints de mysticisme, perte de l’innocence, personnages messianiques (pensons à Rapa Nui, à Waterworld ou, plus récemment, à La Résurrection du Christ, film assez sous-estimé). Dans tous les cas, Reynolds est un cinéaste hanté par la guerre, la violence, la barbarie, et, à en juger par la réussite de sa série télé Hatfields and McCoys, c'est à l'évidence un réalisateur de western dans l'âme, qui n'est pas né à la bonne époque hollywoodienne !



Profitant du succès de Platoon et de Full Metal Jacket en 1987, et ayant prouvé son savoir-faire avec son premier film, Fandango (1984), Reynolds parvient à obtenir le feu vert de la Columbia pour réaliser La Bête de guerre, le studio étant alors dirigé par l’audacieux David Puttnam. Il s'agit de l'adaptation par l'auteur lui-même, William Mastrosimone, d'une pièce de théâtre intitulée Nanawatai : un mot afghan qui signifie le devoir de respect envers l’ennemi. Qu’on se rassure, cette origine théâtrale ne transparaît absolument pas dans le résultat final et La Bête de guerre est tout sauf un film verbeux et sentencieux.

Le film établit un parallèle puissant avec la guerre du Vietnam, montrant une escouade perdue dans le désert en lieu et place de la jungle. Et comme les Russes sont joués par des Américains, en anglais et sans roulement de « r » (heureusement !), on n'a vraiment aucun mal à faire la comparaison : ici comme là, nous voyons des Blancs suréquipés qui « pètent les plombs » devant un ennemi insaisissable, un « indigène » qui connaît bien mieux le terrain. Ici comme là, l'impérialisme est mis à mal et l’on parle de « sale guerre ».


Evidemment, ce parallèle délibéré entre l'impérialisme russe et l'impérialisme américain donne à La Bête de guerre une portée encore plus universelle, faisant du film une métaphore sur la guerre en général, tout en conservant son intéressant particularisme historique (un épisode précis dans une guerre précise), exactement comme Attack ! de Robert Aldrich. N'oublions pas que le titre original du film est La Bête, c'est-à-dire la barbarie qui est en nous tous. La meute de chiens charognards, qui revient à intervalle régulier, en est le parfait symbole.

De plus, la musique mystique de Mark Isham et la présence obsédante du désert nous renvoient à toutes les guerres qui ont eu lieu au Moyen-Orient depuis le Moyen Age, et, ici encore, c'est bien l'éternel conflit entre l'Occident et l'Orient qui se joue à nouveau... et se jouera encore : le malheur du Moyen Orient, c'est d'être depuis toujours la jonction géographique, le carrefour commercial obligé entre l'Occident et l'Orient. Chaque empire (arabe, ottoman, anglais, russe, américain) a voulu posséder ce carrefour essentiel. Mais il ne tient qu'aux hommes de comprendre que ce carrefour maudit pourrait devenir autre chose. Reynolds et Mastrosimone insistent sur le rapprochement, l'amitié même, entre Konstantin et Khan Taj. C'est le but du film. Evidemment, étant réalistes, ils insistent aussi sur la première victime du commandant Daskal : le traducteur Samad (Erick Avari), dont le travail était justement le rapprochement, par le langage, entre l'homme blanc et l'Afghan. Dans une belle séquence, peu de temps avant de mourir, Samad apprend à Konstantin le mot Nanawatai.



On retrouve ici les obsessions bibliques de Kevin Reynolds : d'une part, dans les scènes de bivouacs entre Afghans, le plus vieux ne manque pas de faire allusion à la parabole de David et Goliath en évoquant cet ennemi de fer a priori invincible. A ce titre, Reynolds ne cesse de filmer le char soviétique sous tous les angles, le rendant à la fois effrayant et stupide dans son décalage avec la Nature : sa masse imposante, filmée souvent en gros plans obscènes, voire phalliques (le canon constamment en érection), est clairement opposée aux petites silhouettes des Afghans dans le lointain. D'autre part, l’image récurrente des femmes afghanes en colère se déplaçant en groupe, comme les Furies, et jaillissant de nulle part, souvent en hauteur, semble symboliser l’idée ancestrale de justice venant du ciel. Enfin, à l'image de l'officier romain joué par Ralph Fiennes dans La Résurrection du Christ, Konstantin connaît une vraie révélation après avoir été « crucifié » par les siens : devant cette injustice et cette folie, il rejette son premier monde surarmé pour rejoindre le dénuement de « l’ennemi ». A la fin, sa mission accomplie, on le voit disparaître dans les airs, attaché à un hélicoptère soviétique, tenant son fusil sur sa poitrine, à l'horizontale, formant sans le vouloir une sorte de croix. L’image pourrait être lourde mais, étrangement, par sa durée lancinante, elle devient au contraire très belle : c'est un crucifix dérisoire qui oscille et disparaît dans le lointain.


Toutefois, si cette dimension religieuse vous rebute, rappelons que La Bête de guerre est au premier degré un film d'action époustouflant, un film de poursuite digne de Duel, avec qui il partage un découpage vif, haché, fébrile. Une claque visuelle permanente sur fond de désert, de roches et de métal hurlant. Le métal d'un mastodonte à abattre.

Cela dit, Duel était également une variation biblique sur David et Goliath. Comme quoi, on n’en sort pas...

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La fiche IMDb du film

Par Claude Monnier - le 21 février 2022