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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Homme aux cent visages

(Il mattatore)

L'histoire

Gerardo et sa femme Annalisa mènent depuis quelque temps une existence tranquille et sans histoires, au grand dam de celui-ci. Un jour, un homme sonne à leur porte pour essayer de leur vendre un chandelier. Gerardo sent rapidement l’arnaque, et pour cause : celui-ci était jadis expert en escroqueries en tous genres, surnommé Gerardo l’artiste pour sa capacité à incarner de multiples personnages dans le but d’extorquer les gens...

Analyse et critique

L’Homme aux cent visages est la première collaboration pour un duo qui formera l'une des plus fameuses associations de la comédie italienne : Vittorio Gassman et Dino Risi. Les années 50 furent une période de formation pour Risi durant lesquelles il signa des œuvres intéressantes - Le Signe de Vénus (1953), Boulevard de l’espérance (1953), la série des Pauvres mais beaux - ainsi que des commandes moins marquantes - Pain, amour, ainsi soit-il (1953), soit le plus faible volet de la trilogie initiée par Luigi Comencini - où l’on n’entrevoyait que par intermittence la méchanceté des chefs-d’œuvre à venir. Quant à Vittorio Gassman, il mène une carrière brillante au théâtre à partir de la fin des années 40 mais hormis quelques fameuses exceptions - Riz amer (1949) de Giuseppe de Santis -, il ne se signale guère au cinéma pour lequel il entretient une faible estime par rapport à son travail sur scène. Il ira un temps se perdre à Hollywood où son physique avantageux en fait un latin lover de choix mais sans non plus trouver de rôle ou de film à sa mesure (Guerre et Paix de King Vidor notamment). Le tournant pour Risi et Gassman sera la sortie du Pigeon (1958) de Mario Monicelli qui marque l’avènement de la comédie italienne. Gassman y délaisse les emplois de bellâtres pour une figure plus vantarde, cabotine et authentique qui le révèle dans un registre comique. Dès l’année suivante, il transforme l’essai avec La Grande Guerre (1959) du même Monicelli qui le lance définitivement comme figure majeure de la comédie. Le succès du Pigeon ouvre également de nouvelles perspectives à la comédie italienne, croisant désormais ses préoccupations sociales avec un humour féroce et délesté de la bienveillance du "néoréalisme rose". Dino Risi s’engouffre dans la brèche pour signer Le Veuf (1959), son premier grand film porté par un fabuleux Alberto Sordi.

L’Homme aux cent visages constitue néanmoins un entre-deux, une œuvre agréable dans laquelle Gassman conserve sa dimension séduisante et où son côté transformiste ne tire pas vers le monstrueux et le pathétique - présents dans les multiples sketches qu’il interprétera dans Les Monstres (1963) ou encore Le Fanfaron (1962). Nous y suivons Gerardo Lantini (Vittorio Gassman), modeste employé heureux en ménage avec la belle Annalisa (Anna Maria Ferrero), mais chez qui on ressent une forme de lassitude et de frustration sous-entendue par les dialogues évoquant une ancienne vie plus exaltante. La rencontre avec un escroc à la petite semaine et la facilité de Gerardo à le démasquer lancent ainsi une narration en flash-back révélant les motifs de cette "science" de la duperie. Médiocre comédien comique, Gerardo voit son manque de subtilité et ses élans cabots se prêter bien mieux à la comédie de la vie ordinaire et donc à l’arnaque. Après une initiation malheureuse et un bref séjour en prison, le monde du théâtre et du cachet laborieux se referme pour laisser s’ouvrir celui de l’escroquerie avec son argent facile. Le film est un régal de truculence dans la progression et l’inventivité de ses stratagèmes de tromperie. Loin d’aller dans une sophistication qui éloignerait le récit du réel, le scénario reste dans la continuité du Pigeon (le talent pour le crime en plus par rapport aux pieds nickelés de Monicelli) par son côté système D (on pense à l’épisode du chewing-gum sous le comptoir du bijoutier), chaque mise en scène jouant de la débrouillardise et de la connaissances des petits travers humains par les arnaqueurs. Dans ce cadre, le plan importe moins que le registre infini de Gerardo, Vittorio Gassman se régalant à passer d’une incarnation à une autre selon la situation. Gentleman, rouleur de mécanique, amoureux éperdu, Gassman excelle en tout avec toujours ce petit degré d’exagération qui paradoxalement le rend plus crédible pour ses victimes. Ce réel toujours plus authentique par ses dérèglements et circonvolutions inattendues est un thème au cœur de l’œuvre de Dino Risi. L’imperfection humaine ordinaire pousse toujours vers un absurde dramatique - Les Monstres bien sûr - et une noirceur teintée d’humour noir et de vrai désespoir dans les chefs-d’œuvre des années 70 - Au nom du peuple italien (1971), Parfum de femme (1975), Dernier Amour (1977), tous ces films bénéficiant en outre du talent du scénariste Ruggerro Maccari.

On est cependant loin d’une telle âpreté ici où domine un allant amusé dont l’intérêt principal repose sur un réel en forme de miroir aussi fragmenté que les cent visages de son héros. Chaque dialogue, attitude ou situation constituent ainsi un chausse-trappe ingénieux dont Lantini est le maître d’œuvre. Mais à force de rouerie, c’est la banalité quotidienne que ne saura plus distinguer notre héros aveuglé par un sentiment de toute-puissance. La défaite n’a cependant pas un visage dramatique mais romantique, dans une astucieuse redite lors d’une scène de mariage plus maladroite et donc plus vraie que la supercherie qui a précédé dans le film - Risi s’amusant à réitérer les même cadrages et effets pour un résultat final tout différent. Revenu dans la torpeur de la normalité, Gerardo peut donc renaître dans une conclusion jubilatoire. Plus qu’une manière de s’enrichir, l’arnaque est surtout un moyen de fuir, d'altérer le quotidien et s’en amuser.

DANS LES SALLES

DISTRIBUTEUR : carlotta

DATE DE SORTIE : 14 juin 2017

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En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 14 juin 2017