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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Étoile brisée

(Ride a Crooked Trail)

L'histoire

Une poursuite à cheval, ventre à terre. Le poursuivant, alors qu’il va appréhender le fuyard, glisse accidentellement et s’écrase au fond d’un ravin. Le bandit Joe Maybe (Audie Murphy) récupère alors la monture et les affaires du pauvre bougre décédé qui n’était autre que le Marshall Jim Noonan, connu pour son étoile à laquelle il manque une pointe (d’où le titre français). En arrivant à Webb City, le juge Kyle (Walter Matthau), qui a appris par télégraphe l’attaque d'une banque commise par un certain Maybe dans une ville voisine, lui demande son identité. Alors que le cambrioleur est sur le point de s’enfuir, croyant être reconnu, le juge aperçoit l’étoile brisée dans la sacoche de l'étranger et le prend alors pour le célèbre homme de loi. Une aubaine pour Maybe qui se prend au jeu et se fait alors passer pour Noonan, d’autant que cela ne le dérange pas de rester sur place ; en effet, il a dans l’idée de s’en prendre dès que possible à l’établissement bancaire du lieu. Mais il n’est pas le seul sur le coup puisque Tessa (Gia Scala) arrive en reconnaissance pour la bande de son amant, l’inquiétant Sam Teeler (Henry Silva). Afin que son identité reste secrète puisque Tessa le connait très bien (elle fût son ancienne maîtresse), Maybe la fait immédiatement passer pour son épouse. Un orphelin recueilli par le juge, à la demande de ce dernier qui pense qu’un enfant a besoin de parents, s’installe chez le couple. Tessa et Joe se prennent immédiatement d’affection pour le jeune Jimmy (Eddie Little), plus mature que tous les adultes qui l’entourent. Sacré dilemme pour notre sympathique bandit : se ranger ou poursuivre cette mascarade pour cambrioler la banque ?

Analyse et critique

Au sein de la courte filmographie de Jesse Hibbs (seulement douze films), L’Etoile brisée arrive en toute fin, le cinéaste mettant à cette occasion, avec son acteur de prédilection en tête d'affiche, un terme à sa carrière cinématographique. C'était ce cinéaste qui, deux ans plus tôt, avait réalisé Walk the Proud Land (L’Homme de San Carlos) avec déjà Audie Murphy (qui tournera six fois avec le réalisateur), généralement plutôt bien accueilli à l’époque du fait qu’il s’agissait d'un western pro-Indien assez inhabituel par sa quasi-absence d'action et la non-violence de son héros principal. Sans atteindre des sommets, il s'agissait d'une honorable réussite. L’année précédente, Jesse Hibbs avait mis en scène le comédien alors qu’il interprétait son propre rôle dans un film basé sur sa vie de soldat et de héros de la Seconde Guerre mondiale, L'Enfer des hommes (To Hell and Back). Avant de passer derrière la caméra, Jesse Hibbs fut footballeur avant de devenir assistant réalisateur auprès, entre autres, de John Ford et Anthony Mann. Dans le domaine du western, il avait débuté par le très plaisant Chevauchée avec le diable (Ride Clear at Diablo) qui voyait la rencontre jubilatoire entre Audie Murphy et Dan Duryea. Puis ce fut, avec John Payne, Seul contre tous (Rails into Laramie), avant qu'il ne tourne Les Forbans (The Spoilers), une cinquième adaptation du célèbre roman de Rex Beach avec le duo Rory Calhoun / Jeff Chandler, une version assez terne surtout si on la compare avec celle de Ray Enright qui mettait en scène un duo de stars bien plus prestigieuses, John Wayne et Randolph Scott. Si la critique a toujours fait la fine bouche vis-à-vis du réalisateur, son petit corpus westernien nous a pourtant octroyé, à défaut de grands films, quelques oeuvres pour la plupart très divertissantes ; c'était le cas pour L'Homme de San Carlos, ça l'est à nouveau, sur un ton plus léger, pour L'Etoile brisée.

L’Etoile brisée, s’il comporte de nombreux éléments humoristiques, ne peut pas être considéré ni comme une parodie ni même comme une comédie, comme l’étaient par exemple d’autres films Universal tels Frenchie (La Femme hors-la-loi) de Louis King ou La Belle aventurière (The Gal Who Took the West) de Frederick de Cordova. Si le ton d’ensemble est bon enfant, l’intrigue signée Borden Chase s’avère assez sérieuse sans cependant aucune gravité. Les principaux éléments faisant penser à une comédie sont les relations qu’entretiennent Audie Murphy et la magnifique Gia Scala avec leurs dialogues piquants et pleins de sous-entendus, ainsi que les quiproquos qui découlent de la mascarade mise en place par obligation par ce couple se faisant alors passer pour d'honnêtes gens alors que par derrière ils trament un hold-up. Mais que ceux qui n’apprécient pas particulièrement le mélange comédie et western se rassurent, il n'y a rien de lourd ici et pas même de gags. Ce sont avant tout les situations qui prêtent à sourire, comme par exemple aussi la maturité du jeune garçon qui rend certaines séquences assez cocasses. Quoi qu’il en soit, avec ce western au ton plutôt léger, les spectateurs de l’époque ont dû se sentir revenir quelques années en arrière tellement le film détone au milieu des autres sorties de 1958 en ce qui concerne le genre : une bouffée de fraîcheur bienvenue alors que la période avait tendance à se prendre un peu trop au sérieux - sans que ce ne soit nécessairement un jugement de valeur, le plus beau western de cette année étant d’ailleurs on ne peut plus grave, le très beau Gunman’s Walk (Le Salaire de la violence) de Phil Karlson.

Après un générique bercé par un thème musical doux et lyrique, le dernier film de Jesse Hibbs démarre sur les chapeaux de roue, le cinéaste filmant avec rythme et efficacité une poursuite à cheval entre deux hommes dont on ne connait évidemment encore pas les identités. La séquence se termine assez abruptement dans tous les sens du terme puisque stoppée net par la chute accidentelle du poursuivant en bas d’une vertigineuse falaise. Le survivant (Audie Murphy, dont on devine d'emblée qu’il n’est pas du bon côté de la loi) arrive dans une petite ville fluviale représentée par une très jolie toile peinte - dommage, et pour cause, que le cinéaste n’ait pas pu exploiter un tel charmant décor ; en effet, nous ne verrons quasiment jamais le fleuve malgré le fait que par exemple l’habitation du juge se situe à bord d'un bateau. On croise sans plus tarder le personnage pittoresque et haut en couleur du juge interprété par un Walter Matthau qui semble s’être bien amusé à incarner ce bras de la justice alcoolique, braillard et sectaire mais néanmoins profondément humain. Dans le genre, nous avions déjà remarqué ses talents de comédien dans L’Homme du Kentucky (The Kentuckian) de Burt Lancaster et le chef-d’œuvre d’André de Toth, La Rivière de nos amours (The Indian Fighter) ; il confirme ici ses débuts remarqués, volant à plusieurs reprises la vedette à ses collègues de travail. Il faut dire que ,hormis Audie Murphy et Gia Scala (merci au passage à la costumière et au maquilleur de l’avoir ici aussi bien mise en valeur), le reste du casting est vraiment sous-exploité à l’image d’Henry Silva, moins inoubliable qu'habituellement, de la charmante Joanna Moore (la mère de Tatum O’Neal), ou alors carrément sacrifié comme l’excellent Leo Gordon, "utilisé" ici guère plus longuement qu’un simple figurant (c’était malheureusement déjà le cas dans L’Homme qui en savait trop d’Alfred Hitchcock, version 1956).

En revanche, pour son seul rôle au cinéma, le jeune Eddie Little est plutôt attachant, amusant dans ses relations avec les adultes ainsi qu’avec ses camarades de jeu qu’il prend un peu de haut à cause de sa plus grande maturité d’esprit, ayant été élevé dans le giron de tout un groupe de Saloon Gals. Un personnage assez important car à la fois témoin muet de la tromperie mise en place par ses "parents adoptifs", et très souvent l’instigateur de l’avancée de l’intrigue. Malgré son chien et le côté Lassie qui pointe le bout de son nez, presque aucune mièvrerie n'est à craindre. Borden Chase signe d’ailleurs ici un scénario bien ficelé et assez amusant même si nous sommes évidemment très loin de ses grandes réussite écrites pour entre autres Anthony Mann (Winchester 73, Les Affameurs - Bend of the River, Je suis un aventurier - The Far Country...) ; bien meilleur et plus rigoureux en tout cas, pour en rester dans le même style et chez le même réalisateur, que le travail d’Oscar Brodney pour le remake de The Spoilers de Ray Enright, Les Forbans, qui devenait vite assez pénible par le fait d'échouer, malgré ses efforts, à nous arracher un sourire. Dans Ride a Crooked Trail, les quiproquos sont parfaitement agencés et les dialogues souvent réjouissants. Dommage que toute la fin soit à ce point bâclée, que la rivalité entre Audie Murphy et Henry Silva se termine aussi fadement, que la confrontation tant attendue manque à ce point de surprise, d’originalité et de vigueur. Mais avant cela, nous aurons passé un très bon moment au sein de cette petite ville au bord du fleuve, aux côtés d’enfants plus précoces et réfléchis que les adultes à qui ils donnent parfois l’exemple, à voir vitupérer ce juge sévère qui possède néanmoins un coeur d'or enfoui sous une couche d'intransigeance.

Pour rapidement résumer, il s'agit d'une petite comédie westernienne sans prétention mais extrêmement agréable et sympathique dont les principaux éléments sont une bonne petite histoire scénarisée par Borden Chase, un sens du spectaculaire certain chez Jesse Hibbs lors des quelques scènes mouvementées, la beauté de son actrice principale et enfin un Walter Matthau pittoresque et flamboyant à souhait. Encore un bon western dans la filmographie d’Audie Murphy qui au final en compte un certain nombre, plus de la moitié en tout cas.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 22 novembre 2014