L'histoire
Stéphane (Jean-Pierre Bacri) - Fane pour les intimes - habite dans une cité sordide du Sud-Ouest de la France et travaille en tant que manutentionnaire dans un supermarché. A la mort de sa mère, il décide de changer de vie : il vient s’installer dans la maison familiale pour y écrire des romans policiers. Il arrive dans son petit village natal avec la pulpeuse Lilas (Pauline Lafont), la concubine de son ex-voisin, victime de violence conjugale. Il vivra également avec son frère Mo (Jacques Villeret), devenu handicapé mental suite à un accident dans sa jeunesse et qui a comme plus grande peur de retourner en hôpital psychiatrique maintenant que sa mère est décédée. Leur quotidien va se révéler très compliqué d’autant que les frères Voke leurs mettent des bâtons dans les roues, espérant racheter la maison afin d’agrandir leur garage. La jalousie, la bigoterie et la haine des habitants du village vont être exacerbées par le comportement infantile de Mo et la sensualité de Lilas...
Analyse et critique
Gérard Krawczyk est aujourd’hui surtout connu pour être le réalisateur de certaines productions Luc Besson telles la franchise des Taxi, Wasabi ou encore des remakes peu glorieux de Fanfan la tulipe ou de L’Auberge rouge. Il faut dire que dans sa jeunesse, il ne se destinait pas du tout au cinéma mais qu’il y est arrivé un peu par hasard, par sa découverte d’une passion pour la photographie. Quoi qu’il en soit, après des courts métrages très remarqués, il signa Je hais les acteurs, une comédie en noir et blanc avec toute une ribambelle de comédiens renommés, puis en 1987 L'Été en pente douce, son deuxième long métrage. Et c’est surtout celui-ci qui marqua les esprits, la critique, mais encore plus le public qui lui réserva un accueil plutôt favorable. Pour l’anecdote, il est intéressant de savoir qu’au départ le rôle de Fane devait être tenu par un grand ami de Krawczyk, pas moins que Coluche. Ce dernier fut obligé de décliner l’offre car il devait à cette même époque tourner dans un film où il aurait eu pour partenaire Alain Delon qui devait jouer son frère ; ce qui ne se refuse pas mais qui nous fait doublement regretter que cette confrontation n'ait jamais eu lieu ! Krawczyk accepta de démarrer le tournage plus tard afin de garder son casting initial sauf qu’un malheureux accident mit fin aux jours du plus célèbre et adulé de nos comiques ; au tout début du film, un hommage lui est rendu par sa photo collée sur le casier de Fane.
Cette tragédie aura néanmoins permis à Jean-Pierre Bacri de trouver avec L'Été en pente douce l’un de ses premiers véritables rôles marquants de bourru irascible au grand cœur après avoir été déjà aperçu chez Alexandre Arcady, Luc Besson, Jacques Fansten ou Jean-Charles Tacchella. Pour ne reprendre que ces deux derniers exemples, il s’avérait déjà excellent dans les sympathiques films choraux qu’étaient Etats d’âme ou Escalier C. Dans le film de Krawczyk adapté d’un âpre roman de Pierre Pelot, Bacri interprète Fane, une sorte de marginal qui du jour au lendemain décide de quitter sa banlieue sordide et son travail inintéressant pour aller s’installer dans sa maison d’enfance, où il pourra se consacrer à l’écriture de romans policiers (alors qu’il est quasiment analphabète !) Sa mère vient de mourir et laisse démuni son autre fils, Mo, un handicapé mental qui a peur, maintenant qu’il se retrouve seul, qu’on le renvoie en hôpital psychiatrique. Le retour de Fane le rassure, d’autant plus que ce dernier ne refuse pas de le prendre en charge en le gardant à ses côtés. Jacques Villeret, malgré un rôle assez difficile, évite tous les écueils et trouve le ton juste pour rendre touchant et jamais pénible son personnage de demeuré. Fane est donc revenu dans son village familial du Sud-Ouest de la France avec l’affriolante Lilas, une jeune femme qu’il a "échangée" à son voisin violent contre un civet de lapin ! Le fort potentiel de sensualité que dégage Lilas va faire tourner les têtes, attiser les jalousies, les rancœurs et les ragots. Son irruption dans la moiteur de cet été caniculaire va faire ressortir les vices et les haines de tout un chacun d’autant plus qu’avec son caractère bien trempée, elle décide de ne pas se laisser faire, échaudée qu’elle a été avec ses précédents amants qui ne la considéraient que comme un objet sexuel. Le personnage attachant de Lilas, fan de Marilyn Monroe, marquera la fin de carrière d’une actrice qui promettait beaucoup mais qui mourut à seulement 25 ans lors d’une randonnée, la fille de Bernadette, Pauline Lafont qui crève ici l’écran et se montre assez inoubliable.
Fane, Mo et Lilas formeront un trio qui rappelle un peu celui des Misfits / Désaxés de John Huston d’autant que la référence à Marilyn revient à plusieurs reprises tout au long du récit. Trois personnes ne souhaitant qu’une seule chose, vivre tranquillement ; mais ils se trouveront malgré eux confrontés à la cruelle réalité, à la méchanceté ordinaire. Car outre la jalousie des gens du village ne supportant pas que d'autres soient plus heureux qu'eux, leur maison est convoitée par leurs voisins, les frères Voke. Ces derniers aimeraient ainsi agrandir leur garage dont les deux bâtiments l’encadrent. Ils feront tout pour les en chasser. L’un est interprété par le toujours excellent Jean Bouise en mécano désabusé, l’autre par un Guy Marchand parfaitement à son aise dans ce genre de personnage de latin lover maladroit, frustré, arrogant, suintant et vulgaire. Comme dans le cinéma populaire français des années 30 ou 40 avec qui il compte de nombreux points communs, L'Été en pente douce est un véritable film d’acteurs dans lequel on trouve encore bien d’autres savoureux seconds rôles, dont Claude Chabrol en curé que la gentillesse n’étouffe pas, Jacques Mathou en beauf libidineux au rire niais, ou encore Dominique Besnehard en notaire avide... Les dialogues étant assez savoureux, ils semblent s’être tous bien régalés à camper ces "ploucs" assez caricaturaux, images d’une France profonde assez rance, d’un milieu rural hostile et mesquin, d’une certaine beaufitude collective.
Le réalisateur, très attiré par les romans américains à la fois assez noirs mais pétris d’humanité du début du 20ème siècle se déroulant dans le Sud des États-Unis, ceux d'Erskine Caldwell, William Faulkner ou John Steinbeck, a trouvé avec raison beaucoup de ressemblances entre ce Sud des USA et ces contrées reculées du Sud-Ouest de la France (en l’occurrence Martes-Tolosane en Haute Garonne, sous une chaleur écrasante qui sied parfaitement à l’ensemble), un même style de communautés composées de pauvres types un peu paumés qui se bercent d'illusions ou rongés par l’ennui et l’avarice. D’ailleurs, Fane et Momo feront penser beaucoup aux frères du célèbre roman de Steinbeck, Des souris et des hommes, George et Lennie, et Lilas à toutes ces nombreuses femmes-enfants qui peuplent leurs romans. Sous un soleil implacable, échauffant autant les esprits que les sens et les convoitises, évolue tout un monde de villageois jaloux de ce véritable "ménage à trois" (dans tous les sens du terme) qui ne souhaite qu’une seule chose, qu’on ne critique pas leur liberté de comportement et qu'on les laisse en paix. A cause de son érotisme un peu cru et de son esthétique aux couleurs chaudes et saturées, on a beaucoup dit à l’époque que le film de Krawczyk surfait sur la vague de 37°2 le matin de Jean-Jacques Beineix alors qu’en fait, Krawczyk en avait eu l’idée bien avant l’adaptation du livre de Philippe Djian dont d’ailleurs lui aussi avait voulu acquérir les droits pour le filmer.
Certes pas un chef-d’œuvre du cinéma français, loin s'en faut, L'Été en pente douce reste néanmoins une inopinée mais belle réussite à la mise en scène assez virtuose et qui possède un certain cachet esthétique, mais qui n’aura malheureusement pas eu de suite ni pour Krawczyk ni pour son co-scénariste et comédien Jean-Paul Lilienfeld (savoureux dans le rôle de l'amant de Lilas au début du film). Un drame provincial au ton assez unique, un film inclassable et populaire aux contours temporels floutés (la Citroën "Ami 8'" de Fane nous évoque les annéess 60/70), une fable tour à tour sombre et lumineuse remplie dans sa forme de références au western italien (les très gros plans en scope sur les yeux des personnages, l’orchestration de la musique de Roland Vincent avec un harmonica dominant l’ensemble des autres instruments...), sur un fond de film noir et de comédie de mœurs italienne, entre hyperréalisme, onirisme, érotisme et poésie... Un petit monde qui pourrait rappeler le cinéma d’un Duvivier mais dont il ne partage pourtant pas toute la noirceur, témoin ce final solaire annoncé peu avant par Lilas qui dit à Fane : « Les gens aiment que les histoires se terminent bien. » Un film d’atmosphère poisseux et étouffant mais non dénué humour, qui se termine en forme d’ode à la liberté : il met en avant le renoncement matériel permettant l’épanouissement ; le film devrait parler encore aujourd'hui car avec cette conclusion on ne pouvait guère être plus en phase avec notre époque.