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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Arme à gauche

L'histoire

Jacques Cournot, un marin expérimenté, débarque dans les Caraïbes pour acheter un bateau pour le compte d’Hendrix, un commanditaire. Il visite le Dragoon, un yacht appartenant à Mme Osborne une femme vivant aux Etats-Unis, pour lequel il formule une offre. Une nuit, le yacht et Hendrix disparaissent. D’abord soupçonné, Cournot est contacté par la propriétaire pour retrouver le Dragoon.

Analyse et critique

Avant la période emblématique du cinéma de Claude Sautet, initiée en 1970 par Les Choses de la vie qui installe le ton si particulier du cinéaste et sa famille d’acteur emblématique, il y a une autre carrière, dans les années 60, courte mais tout aussi notable. Deux films – nous oublions volontairement du décompte le plus que dispensable Bonjour Sourire, un film de commande – qui sont plus nettement à rattacher au polar, portés par l’indispensable Lino Ventura. En 1960, il y a tout d’abord Classe tous risques, sur lequel nous reviendront bientôt sur ce site, puis cinq ans plus tard L’Arme à gauche, qui creuse le sillon de la première réussite du cinéaste. Dans la veine d’une certaine tradition française, Sautet adapte pour ce film une série noire, signée Charles Williams. Il est difficile de déterminer la paternité réelle du scénario, avec de nombreux scénaristes crédités et supposés, jusqu’à Michel Audiard mentionné sur imdb, une idée peut être induite par la présence de Ventura mais hautement improbable vue la sobriété des dialogues du film, qui apparait presque comme un contre-exemple des travaux du petit cycliste à cette période. Il est en fait vraisemblable que l’essentiel du scénario soit dû à Sautet lui-même, un des plus grands spécialistes de l’exercice dans le cinéma français de la période, qui était d’ailleurs l’auteur du scénario de Peau de Banane (Marcel Ophüls, 1963), déjà une adaptation de Charles Williams.


Au cœur de L’Arme à gauche, il y a avant tout Lino Ventura. L’acteur est en train de devenir une tête d’affiche majeure du cinéma français, avec le succès des comédies tournées par Lautner, et après son explosion dans le rôle du Gorille. C’est d’ailleurs à ce personnage que l’on pense avec le film de Sautet. Cournot est un personnage qui à la force du Gorille, capable de soulever seul de lourdes caisses d’armes, de massacrer Morrison, l’antagoniste principal du film, de ses seuls poings, et même de tracter le bateau à mains nues. Sautet filme particulièrement cette dimension, Ventura est à l’image plus grand, plus large, plus fort que les autres personnages, et ce dès la première scène, à sa descente d’avion. Mais évidemment, nous ne sommes pas dans un épisode du Gorille, son personnage est plus complexe, et évolue dans un univers cinématographique plus moderne que le registre populaire et direct du film de Borderie. L’Arme à gauche est un film qui s’éloigne du terrain habituel du cinéma d’action pour prendre une dimension presque abstraite, lorsque le combat s’engage entre Morrison, seul sur une ile, et le couple formé par Cournot et Madame Osborne. Sautet crée alors un face-à-face épuré, et étrange, entre le bien et le mal, dans lequel Ventura incarne le bien. Une évidence rendue possible par la stature de l’acteur, qui confère à un personnage au passé inconnu et peu disert l’évidence de la droiture.


L’Arme à gauche est ainsi un curieux film d’action. Si le matériau initial est celui d’un polar populaire traditionnel, Sautet en fait autre chose, s’éloignant de la forme habituelle du genre. En premier lieu, la rareté et la sobriété des dialogues constituent l’une des grandes singularités de L’Arme à gauche, à une époque où le sens de la formule et l’utilisation d’un vocabulaire argotique popularisés par Audiard sont dominant. On parle peu dans le film de Sautet. Les personnages n’évoquent ni leur sentiment, ni leur passé, dans une logique qui rejoint bien plus la tradition américaine du film noir que celle du polar français. Mieux, les dialogues se font régulièrement dans une autre langue que le français, pour souligner encore plus la distance entre les personnages, leur opposition. Les mots dans L’Arme à gauche alimentent la situation et la tension mais ne constituent, en aucun cas, un divertissement en eux même. On pourrait également attendre beaucoup de mouvement, de voyages, dans un film qui nous amène dès ses premières images sur un bateau, dans le décor paradisiaque des Caraïbes. Loin s’en faut, puisque le récit nous mène vers un huis-clos sur un bateau ensablé. En réalité, Sautet construit, avec une grande habilité et une grande précision, un scénario qui construit, petit à petit, une tension qui va aboutir dans la seconde partie du film à une confrontation mémorable entre Cournot et Morrison.


Cet aboutissement, et les scènes qui s’ensuivent dans un décor inhabituel semblent être le véritable moteur du film, son intrigue étant essentiellement prétexte à atteindre cette situation. Et il est vrai que la seconde partie de L’Arme à gauche, par sa singularité et son intensité, est une belle réussite. La précision de l’écriture de Sautet a installé une atmosphère et des personnages à des séquences d’action et de tension remarquable. Ce n’est que lors de la dernière image que l’aventure telle que l’on pouvait l’attendre, avec le bateau voguant au vent. L’aventure qui intéressait Sautet, c’est celle de Cournot, personnage typique du film noir, entrainé dans des évènements indépendants de sa volonté et qui vont mettre en jeu sa vie. Ce qui fait la particularité de L’Arme à gauche, c’est la nature de la situation dans laquelle va se retrouver le héros, presque surréaliste, prisonnier d’un bateau immobile sous le feu d’un homme seul sur une ile, qui donne lieu à des séquences fascinantes servant d’écrin parfait au charisme remarquable de Ventura.


Si L’Arme à gauche est un film rythmé, original, et mis en scène avec un véritable savoir-faire, ses personnages sont moins attachants que ne l’étaient ceux de Classe tous risques, ou encore plus, que ceux des futurs films de Sautet. Une limite qui ne nuit pas à la qualité du film mais qui explique probablement son échec relatif, à l’aune des succès de Ventura sur la période, malgré un accueil critique favorable. Sautet lui-même sera mécontent du film et redeviendra, pour 5 ans, le script doctor le plus demandé de France avant d’imposer ce qui sera le style Sautet pour un cinéma dont il se sent, cela saute aux yeux, bien plus proche. Toutefois, L’Arme à gauche constitue avec Classe tous risques un diptyque de films remarquables à bien des égards, à classer dans le haut de la hiérarchie des polars français.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 28 mars 2024