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Critique de film
Le film

L'Arbre aux sabots

(L'Albero degli zoccoli)

Analyse et critique

Quelques jours avant que le Festival Cannes ne déroule le tapis rouge pour son soixantième anniversaire, quelques critiques et journalistes étaient réunis par F3 pour disserter festival et Palmes d’Or. Entre deux horripilants poncifs de l’inénarrable Monique Pantel, Michel Ciment (Positif) et Emmanuel Burdeau (Les cahiers du cinéma) surent tout de même élever le niveau, et placer quelques avis constructifs, notamment à propos des palmes controversées des années 70 et 80. L’homme de fer, Chronique des années de braise, La classe ouvrière va au paradis, Yol… Autant de films dont on se demande, 30 ans plus tard, si l’honneur qu’il leur fût rendu lors des diverses remises de prix, ne devait finalement pas plus à leur discours politique qu’à leurs propres qualités cinématographiques. Débat toujours d’actualité aujourd’hui, à l’heure où nombre de cinéphiles se posent de légitimes questions sur les motivations profondes des récentes Palmes accordées à Michael Moore (Farenheit 9/11) ou Ken Loach (Le vent se lève)… Et alors que sort en DVD L’arbre aux sabots, Palme d’Or 78, la question se pose à nouveau. Que vaut, aujourd’hui, le film d’Ermanno Olmi, hors contexte cannois ? Sans forcément s’apparenter stricto-senso aux palmes les plus politiques de l’époque, L’arbre aux sabots traîne tout de même à son corps défendant, l’image de ces pensums seventies, ces films aux discours si inattaquables qu’on en oublierait presque de parler cinéma.

Paradoxalement, Ermanno Olmi a longtemps souffert (et souffre encore) de ce cliché alors que sa fresque paysanne évite soigneusement tout discours didactique ou politique. A l’époque, il fût d’ailleurs reproché au cinéaste cette neutralité de point de vue, de nombreux critiques estimant que la mise en scène naturaliste et trop peu engagée de l’Arbre aux sabots n’était finalement qu’acceptation et assouvissement aux traditionnels rapports de classe dominants (le propriétaire terrien) / dominés (les paysans). Héritier tardif du néo-réalisme italien, Olmi s’est souvent penché sur les petites gens, les classes populaires italiennes, sans pour autant marteler un discours violemment engagé. La mise en scène est impartiale, se contentant d’enregistrer le réel pour le servir au spectateur. Libre ensuite à lui de s’en faire sa propre histoire, et d’en tirer éventuellement une opinion politique. Assez proche dans ses thématiques du 1900 de Bernardo Bertolucci, l’Arbre aux sabots n’en a ainsi pas la rage revendicative : malgré une approche réaliste de l’époque, le discours reste mesuré, pondéré, alors qu’à l’écran s’enchaînent les injustices... En cela, le film d’Olmi est à rapprocher du cinéma d’un Bille Auguste, autre palmé un rien fade dont les fresques sociales surent convaincre les jurés cannois.

Le rapprochement n’est d’ailleurs pas innocent, et pas forcément flatteur. Qui aujourd’hui se souvient de Bille Auguste ? Qui aujourd’hui donnerait encore, par deux fois, le précieux trophée au pâle héritier d’Ingmar Bergman ? C’est un peu la question que l’on se pose devant L’arbre aux sabots. Baigné par la musique de Jean-Sébastien Bach, magnifiquement cadré, photographié avec un soin maniaque, le film enchaîne des plans dignes des maîtres flamands, quelque part entre Johannes Vermeer et Pieter Bruegel. Formellement, le film est indéniablement impressionnant et d’une tenue remarquable. Mais cela fait-il un (bon) film pour autant ? D’un académisme bon teint, entretenu par une lenteur contemplative rapidement excédante, le film est pris au piège de son esthétique. Et malgré quelques beaux passages (dont une magnifique scène sur une barge, et une évocation franchement réussie de l’enfance), L’arbre aux sabots ne convainc pas, quelque part entre ennui et conformisme alors que tous les ingrédients étaient réunis pour un drame poignant.

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La fiche IMDb du film

Par Xavier Jamet - le 17 avril 2007