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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Antre de la folie

(Behind Locked Doors)

Analyse et critique

Avant de séduire les cinéphiles les plus exigeants à partir des années 50, le célèbre réalisateur des sublimes westerns avec Randolph Scott signa onze longs métrages sous le nom d’Oscar Boetticher entre 1944 et 1949. Bien plus tard, il dénigra cette série de films de jeunesse dont fait partie Behind Locked Doors ; il ne leur trouvait que très peu d’intérêts autre qu’alimentaire, les balayant d'un revers de la main allant même jusqu’à dire qu’il les détestait. Il disait d’eux à Bertrand Tavernier : « Moins j’en parlerai, mieux ça vaudra. Heureusement que vous ne les avez pas vus… sinon vous ne m’auriez jamais envoyé de lettre. » Il est clair que nous sommes à des années-lumière de ses chefs-d’œuvre westerniens de la décennie suivante [qui s’étalent de Sept hommes à abattre (Seven Men from Now) à Comanche Station] mais pour le peu que nous en connaissons à travers ce seul polar, son début de carrière ne semblait pas devoir être appréhendé avec mépris ni crainte ; en effet, absolument aucune honte à avoir de s’être surpris à apprécier cet honnête film de série vite et bien troussé, même si franchement pas très crédible tout, en étant dans le même temps assez prévisible quant à ses retournements de situations.

Une journaliste séduisante en mal de scoop (Lucille Bremer) vient trouver un jeune détective privé inexpérimenté (Richard Carlson) ; elle souhaite qu’il s’infiltre dans une clinique psychiatrique privée qu’elle soupçonne abriter un magistrat véreux, dont la tête est mise à prix et qui s’est volatilisé dans la nature. Pas insensible au charme de la jeune reporter, il accepte de se faire passer pour son époux maniaco-dépressif et ainsi de se faire interner. Dans la place, il découvre une réalité peu reluisante : un intendant sadique, un catcheur fou à qui l'on jette les malades "à mater", un directeur en cheville avec des hommes peu recommandables, des patients molestés avec bestialité… « Tu es venu pour te faire soigner. Tu as plus de chance de te faire tuer... » Si le point de départ rappellera à certain celui du célèbre et puissant Shock Corridor de Samuel Fuller, le thriller de Boetticher ne lui ressemble en rien, l’intrigue étant ici purement divertissante là où celle de Fuller montrait une volonté de fable critique à vocation sociale et politique. Il serait donc vain de chercher à les comparer ! Behind Locked Doors n’est rien d’autre qu’un petit film de série fauché un peu plus malin et plaisant que la moyenne de par son idée de départ, la qualité de l’interprétation d’ensemble, la photographie contrasté de Guy Roe (chef opérateur très apprécié de Richard Fleischer et d’Anthony Mann) et par une volonté de sécheresse et de sobriété dans la mise en scène qui annonce les futurs chefs-d’œuvre du cinéaste. Déjà ici, point de graisse, pas un plan de trop ; l'on file à l’essentiel en à peine 61 minutes !

Le premier quart d’heure se révèle même formidable avec les premiers plans de filature nocturne, la présentation du détective roublard cherchant à flatter l’employé ayant peint sa "raison sociale" sur la porte de son bureau afin de ne pas le dédommager, et enfin la rencontre entre Lucille Bremer (la Yolanda de Minnelli) et Richard Carlson qui semble être un hommage au Faucon Maltais de John Huston qui aurait été dialogué comme une "Screwball Comedy". Les relations qui se tissent entre les deux personnages sont d’ailleurs peut-être l’élément le plus intéressant du film ; les dialogues fusent, les sous-entendus sont de la partie et la complicité entre les deux comédiens emporte l’adhésion. La partie purement suspense et policière qui s’ensuit perd un peu de ce charme, car elle se révèle finalement bien plus banale que ce à quoi l'on pouvait s’attendre après un tel démarrage. Cependant, il serait faux de dire qu’on s’y ennuie tellement Boetticher tient son intrigue bien serrée et conduit l’ensemble de main de (encore petit) maître, ne lésinant pas sur la brutalité de quelques scènes de violence pour relancer la machine qui n’a ainsi pas le temps de se reposer. Aux côtés de Lucille Bremer, on trouve donc Richard Carlson dont le nom ne dit peut-être pas grand-chose mais dont le visage vous sera très probablement familier, l’acteur ayant joué dans des centaines de films dont, parmi les plus connus, Le Météore de la nuit (It Came from Outer Space) ou L’Etrange créature du lac noir de Jack Arnold, All I Desire de Douglas Sirk… Il se sort très bien et avec beaucoup d’humour de son rôle de détective novice. On rencontre aussi un Douglas Fowley inquiétant et enfin l’un des comédiens fétiches d’Ed Wood, le catcheur Tor Johnson lui aussi plutôt angoissant, d’autant que Boetticher le filme dans sa cellule sous des angles assez inhabituels afin de renforcer une atmosphère assez étouffante créée par l’utilisation judicieuse par Guy Roe des ombres et des clairs obscurs. Un suspense loin d’être inoubliable mais qui vous fera facilement passer un agréable moment, et qui possède en germe les qualités les plus fameuses de la mise en scène de Budd Boetticher : sobriété, efficacité, tonicité.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 2 décembre 2009