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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Ange des maudits

(Rancho Notorious)

L'histoire

Wyoming, 1870. Vern Haskell (Arthur Kennedy), un jeune rancher, offre une broche à sa douce fiancée avant de la laisser seule pendant qu’il s’en va rassembler ses bêtes. Quelques heures après, on lui apprend qu’elle vient d’être violée et assassinée par deux bandits qui tentaient de dévaliser sa boutique. L’univers idyllique qui était celui de Vern vient de s’écrouler et il n’a plus qu’une idée en tête, la vengeance, même s’il faudra traverser les États-Unis pour l'accomplir. Il retrouve vite l’un des deux meurtriers, abattu à son tour par son complice ; avant de mourir, le moribond a le temps de lui souffler à l’oreille : « Chuck-a-Luck. » A partir de ce maigre indice et parce qu'il a gagné la confiance du tireur d'élite Frenchy Fairmont (Mel Ferrer) dont il est convaincu qu'il le mènera à destination, Vern finit effectivement par arriver jusqu’à un ranch portant le nom de Chuck-a-Luck, dirigé par une ex saloon-gal nommée Altar Keane (Marlène Dietrich) qui accueille et héberge dans son antre tous les hors-la-loi recherchés par la justice dont Frenchy, son amant. Depuis qu’il a découvert sur la robe de l’aventurière la broche de sa fiancée défunte, Vern fait semblant de succomber à ses charmes (avant de tomber véritablement amoureux), espérant ainsi obtenir le nom de l’assassin qu’il recherche. Les bandits, persuadés qu’Altar les a trahis suite à un hold-up qui tourne mal, Frenchy jaloux de Vern qu’il trouve trop pressant auprès de sa bien-aimée... tout cela risque de mal finir au ranch Chuck-a-Luck. Et en effet, le fatalisme "langien" aidant...

Analyse et critique

Troisième et dernier western de Fritz Lang, Rancho Notorious (une fois n’est pas coutume, joli titre français que L’Ange des maudits) est de loin son plus célèbre et également son plus célébré, l'un des petits chouchous de la critique française dans le domaine du western. Auparavant, il y avait donc eu, tous deux réalisés à l’orée des années 40, Le Retour de Frank James (The Return of Frank James), suite tout à fait honorable du très bon Jesse James de Henry King, puis Les Pionniers de la Western Union (Western Union), bien trop convenu et sans réelles surprises. Le cursus westernien de Fritz Lang, sans être honteux, aura démontré que cet immense cinéaste n’était pas vraiment à son aise dans le genre. L’histoire au XIXème siècle de son pays d’adoption, les grands espaces américains, les éléments constitutifs du western ne l’auront dans l’ensemble guère inspiré ; même si ses trois films sont loin d’être déshonorants, ils ne peuvent selon moi prétendre rivaliser avec les nombreux chefs-d’œuvre du genre alors que c’était le cas lorsqu’il tâtait du drame ou du film noir à l’intérieur desquels, durant sa période américaine, il semblait bien plus dans son élément.

Fritz Lang a toujours dit avoir écrit ce troisième western pour Marlene Dietrich, qu’il avait rencontrée à Paris alors qu’il y tournait Liliom. Son souhait était de lui attribuer le rôle d’une entraîneuse sur le retour mais toujours désirable. Lors d’un entretien accordé à Jean Domarchi et Jacques Rivette pour Les Cahiers du Cinéma, il leur racontait la vision qu’il avait de son idée de départ : « D'abord montrer ce qu'il advient d'une femme qui fut une reine de tripot et d'un homme qui fut un célèbre bandit mais parce qu'il est trop âgé et qu'il ne tire plus aussi vite au revolver qu'autrefois, a cessé d'être le héros. Arrive un jeune homme qui, lui, tire plus vite que l'homme âgé. C'est l'éternel préambule. Ensuite un élément technique m'intéressait beaucoup : introduire un chant comme élément dramatique. Avec six ou huit lignes de cette chanson, j'arrivais plus vite à la conclusion. » Et en effet, très belle idée que d’utiliser, tel un chœur antique pour une tragédie grecque, une chanson revenant comme un leitmotiv pour décrire ou résumer l’action de cette histoire tragique. Cette rengaine, Legend of Chuck-a-Luck, très chaudement interprétée par la voix grave de William Lee, si elle n’est pas aussi entêtante que le seront les chansons de Dimitri Tiomkin ou Victor Young, n’en demeure pas moins assez troublante. Bref, quoi qu'aient été les idées de départ de Fritz Lang, Howard Hughes ne lui attribua qu'un budget très restreint par rapport à ses intentions, d'où l'aspect carton-pâte de quelques séquences de studio qui font aujourd'hui un peu pâle figure.

La politique des auteurs, même si elle n’est aucunement à dénigrer, n’aura pas toujours été dithyrambique à bon escient, tout le monde sachant pertinemment que rares sont les filmographies totalement satisfaisantes, même chez les plus grands cinéastes. D’ailleurs Les Cahiers du Cinéma avaient fait la fine bouche devant ce film, pas nécessairement sans raison car il se trouve être fâcheux et vain de vouloir porter au pinacle chaque film d’un réalisateur qui nous est cher. Rancho Notorious, troisième et dernier western de Fritz Lang, traîne derrière lui une réputation très flatteuse qui ne pourra aujourd’hui que lui porter préjudice. Car, entendons-nous bien, s’il s’agit effectivement d’un film très correct, ce n’est pas lui faire un cadeau que de le comparer aux sommets du genre : on ne peut pas dire que Lang ait spécialement brillé dans le western, même si Le Retour de Frank James comportait entre autres de splendides séquences d’action. Certains risquent de déchanter suite à tant de louanges car au final, L’Ange des maudits ne surpasse guère de beaucoup de nombreux films de série B de la même époque. Les personnages ne sont pas si complexes et ambigus qu’on a voulu nous le faire croire, et l’intrigue se révèle somme toute assez banale en regard de ce qui se faisait déjà depuis quelques années. Alors quand j'entends un peu partout parler d'originalité, je cherche en vain où celle-ci pourrait se situer. Et si la sécheresse de la mise en scène "langienne" convient parfaitement au Film noir, elle dessert un peu ce western (que l’on compare souvent à Johnny Guitar sans que jamais il ne lui arrive à la cheville, les décors stylisés du premier ne pouvant rivaliser avec ceux étonnants et réellement baroques du second).

D'ailleurs, avoir taxé ce film de baroque ne peut aussi que lui faire du mal, tellement la mise en scène manque de puissance dramatique au vu de cette histoire de "haine, de violence et de vengeance" qui aurait mérité plus de fougue et de passion. Mais trêve de mauvais esprit car ceux qui le vénèrent le font, sans aucun doute aussi, avec une totale sincérité. Pour ma part, outre de belles idées de scénario comme celle de ce havre de paix pour les outlaws ou ce finale sec et désenchanté, une Marlene Dietrich inoubliable (lorsqu’elle se fait enjôleuse, moins convaincante quand elle doit passer à un registre plus dramatique) nous gratifiant de superbes chansons (Gypsy Davey mais surtout Get Away, Young Man), de magnifiques fulgurances de violence (la bagarre chez le barbier quasiment tournée caméra à l’épaule, ce qui accentue sa sauvagerie), une tension psychologique parfois assez prenante, d’excellents flash-back accentuant le côté nostalgique du film, la narration effectuée à l’aide de cette très belle ballade chantée par William Lee et pas mal de très beaux plans - notamment le dernier sur Marlene que l’on couche sur son lit rose ou encore la première apparition de Mel Ferrer devant la roulette verticale (dont le nom anglais est le Chuck-a-Luck justement), je n’ai pas ressenti cette émotion (et surtout pas dans le finale au cours duquel le sort des protagonistes aurait dû nous toucher alors qu'il nous laisse assez indifférents) ni trouvé ce génie qu’on a mis en avant ici et là, les traits d’humour et certaines idées de mise en scène s’avérant même parfois assez pesants.

Les thèmes habituels de Fritz Lang s’y retrouvent (la vengeance, l'étranger confronté à un univers corrompu au sein duquel il va se laisser happer, le fatalisme, les sociétés secrètes...), mais l’alchimie de ses plus grands films ne brille qu’à de trop rares instants. Il faut dire aussi que pour entourer Marlene Dietrich - dans le même style de rôle, elle fut encore plus marquante dans Femme ou démon (Destry Rides Again) de George Marshall -, Arthur Kennedy en fait parfois un peu trop (son interprétation manque de subtilité, il n'est pas aussi bien dirigé que par Anthony Mann, très loin s’en faut, rappelez vous Les Affameurs !) et qu’au contraire Mel Ferrer s’avère plutôt terne (on a d'ailleurs assez de mal à imaginer comment Altar Keane a pu s'amouracher du falot Frenchy). Tout cela est peut-être dû aux conditions de tournage devenues insupportables à cause de la mauvaise entente qui régnait entre le réalisateur et sa star féminine qu'il trouvait trop exigeante et capricieuse. Marlène dira toujours d'ailleurs qu'il s'agissait de son plus mauvais film (mais probablement, manquant d'objectivité, à cause de ses mauvais souvenirs du tournage). La postproduction ne se passa guère mieux puisque le producteur évinça à peu près un quart d'heure du film, celui qui selon Lang créait l'atmosphère. Quoi qu'il en soit de la genèse du film, tous ces éléments provoquant la déception sont avant tout dus aux trop nombreux éloges attribués à ce western néanmoins bien réalisé, vivement mené et qui se regarde de bout en bout avec beaucoup de plaisir et sans aucun ennui. Seulement, Fritz Lang a manqué d'inspiration durant disons une bonne moitié de son film (la seconde surtout) et c'est bien dommage.

Rancho Notorious est un western qui a longtemps fait partie de mes préférés mais que j'apprécie de moins en moins au fur et à mesure des visions. Peut-être un jour retrouverai-je la poésie, l'ambiance crépusculaire, le romantisme et l'espèce d'onirisme que j'y voyais au départ ; poésie qui m'étreint bizarrement toujours lorsque l'on découvre cette toile peinte représentant le Chuck-a-Luck tant attendu. En attendant, pour me sentir un tout petit peu moins seul, j'ai quand même été un peu soulagé de trouver ce texte : « Nous avons du mal à comprendre le délire systématique de certains sur ce film qui contient de réelles beautés, surtout durant le premier tiers, plus à l'état de fulgurances que pleinement abouties », dixit Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon dans l’édition réactualisée de 50 ans de cinéma américain.

Dans les salles

Film réédité par Swashbuckler Films

Date de réédition : 9 mars 2011

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Par Erick Maurel - le 24 novembre 2012