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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Amour d'une femme

L'histoire

Marie, un jeune médecin, remplace sur l’île d’Ouessant, le vieux praticien qui prend sa retraite. Malgré les préjugés des insulaires, elle parvient à se faire accepter. Elle noue des liens d'amitié avec l'institutrice, également proche de la retraite, Germaine Leblanc. André, un ingénieur installé provisoirement sur l'île pour un chantier, tombe amoureux d'elle. D'abord réticente, elle sort avec lui, au risque de compromettre sa réputation. Il la demande en mariage, mais exige qu'elle renonce pour cela à son métier.

Analyse et critique


L’Amour d’une femme est le dernier long métrage de Jean Grémillon, qui ne retrouvera l’occasion de passer derrière la caméra que le temps de quatre courts métrages documentaires. Il s’agit d’un scénario original de Grémillon, cosigné par René Fallet et René Wheeler. Le réalisateur y offre une sorte de condensé  de ses grands films des années quarante. Dans nombre de films de Grémillon, il est question de romances contrariées par un clivage social (le couple de Gueule d’amour (1938)) ou un conflit moral (la relation adultère de Remorques (1941)) pouvant s’exacerber dans le cadre de communautés isolées telles que la province minière de Lumière d’été (1943) ou celle, portuaire, de Pattes blanches (1949). On retrouve tout cela ici mais dans une forme d’épure dénuée des tics d’écriture du réalisme poétique ou de la « qualité française » des années cinquante. Point de personnages tourmentés, de construction dramatique tirant vers une noirceur attendue ou de grand final soufflant un romanesque ténébreux. Grémillon offre ici une sorte de pendant lumineux de Pattes blanches où l’élément féminin extérieur est source d’apaisement, sans totalement perdre sa nature sacrificielle.


Marie (Micheline Presle) est une femme médecin venue exercer sur l’île d’Ouessant. On évite le cliché de la communauté isolée, rugueuse et méfiante (si ce n’est une plaisanterie dont sera victime Marie) puisque après avoir montré ses compétences en sauvant une petite fille, Marie est rapidement adoptée par les habitants. L’isolement se ressentira plutôt à travers l’avenir qui se pose à elle en exerçant sa profession sur le long terme dans cet environnement loin de tout. Elle aura notamment l’exemple de son prédécesseur, le docteur Morel (Robert Naly), repartant vieillard et usé après trente ans de bons et loyaux services. Le plus significatif sera cependant celui de l’institutrice Germaine Leblanc (Gaby Morlay), bientôt amenée à quitter ses fonctions, célibataire et sans enfants, si ce n’est ceux qu’elle a accompagnés dans leur éducation durant toutes ces années. Lorsque Marie tombera amoureuse d’André (Massimo Girotti), un ingénieur de passage sur l’île le temps d’un chantier, le conflit entre son sacerdoce et ses aspirations de femme va la tirailler.


Grémillon oppose tout au long du film la satisfaction commune de Marie et ses patients avec celle, intime, ressentie au contact d’André. C’est le motif de son refus initial puis la raison d’un premier rendez-vous manqué. L’enchaînement des scènes obéit à ce doute permanent, la méticulosité attentive qui voit Marie sauver une fillette fiévreuse étant suivie d’une magnifique scène de rencontre nocturne où le rapprochement se fait avec André. Quand elle s’abandonnera trop intensément à son amour, un montage alterné la trahira avec la mort d’un personnage emblématique. Micheline Presle, apaisée et le sentiment du devoir accompli après un bienfait au service de la communauté, oppose un jeu plus à fleur de peau et ardent dans les bras de Massimo Girotti. L’assurance de son métier, le savoir et l’attente des autres à son égard, lui confèrent une autorité naturelle (la haletante scène d’opération de la dernière partie) qui s’estompe quand il est question de ses propres sentiments et du choix de suivre André, qui veut une épouse traditionnelle.


Il y a également de la part du réalisateur un jeu sur l’espace où il se plaît à fondre Marie de façon très différente selon les moments. L’isolement positif ou négatif se ressent dans les grands espaces, la rencontre en plein jour des amoureux s’amorçant dans un plan large où ils semblent seuls au monde alors que le village poursuit son activité autour d’eux. À l’inverse, nombre de scènes d’intérieur tissent la communion de l’héroïne avec les habitants, conquis par son abnégation, qui les amène à l’adopter. La mère anxieuse de la fillette malade l’observe ainsi puis la remercie chaleureusement dans l’exiguïté de sa maison, quand le sauvetage final sera suivi d’une grande beuverie au bar de l’île, où Marie se fond parmi les joyeux buveurs qui l’ont adoubée. Les deux scènes d’enterrement du film illustrent ce côté à la fois dedans et en dehors de Marie, le pittoresque de la première parade funéraire s’observant avec la curiosité de la nouvelle arrivante alors que la douleur de la seconde se ressent avec le sentiment d’appartenance à ce monde - mais aussi le désir de le fuir en étant ainsi crûment exposé à sa solitude.


Tout cela s’exprime dans une veine sans flamboyance ni dramatisation forcée, la tonalité intimiste dominant l’ensemble si ce n’est dans la façon dont Grémillon magnifie cet espace naturel et la beauté de ses acteurs (la photo de Louis Page prend le même soin à mettre en valeur nature et décor que le moindre gros plan chargé d’amour de Micheline Presle). Cela passe aussi par la subtilité d’écriture des personnages. Massimo Girotti est très loin du rustre machiste italien (cliché dans lequel la situation et son personnage auraient pu le faire tomber) et hésite toujours entre volonté d’imposer son amour et culpabilité pour les même raisons qui lui font voir la façon dont il freinera la destinée de Marie. Micheline Presle, quant à elle, oscille entre farouche indépendance et romance éperdue, le tout se ressentant le plus souvent dans son jeu plutôt que des dialogues qui ne feraient que le surligner. C’est d’ailleurs sans un mot et sur un gros plan de son visage et de ses yeux embués de larmes que se conclut le film (rappelant la fin magistrale de Remorques avec le même effet sur Jean Gabin), dans un sentiment incertain entre la responsabilité et la résignation. Magnifique film où l’on regrettera juste le doublage de Massimo Girotti (le doubleur ayant une voix bien moins imposante) qui parlait pourtant bien français - arrivé en France une heure avant le premier clap, il n’aura pas eu les quelques jours nécessaires pour le rafraîchir, d’où la solution fâcheuse du doublage. Belle conclusion mais échec cinglant en salles. La carrière de Jean Grémillon ne s’en relèvera pas.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 9 octobre 2018