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Critique de film
Le film
Affiche du film

Jack l'Éventreur

(The Lodger)

L'histoire

A Londres, au début des années 1890, des chanteuses de cabaret sont assassinées par un mystérieux tueur en série. Au même moment, un couple de bourgeois dont la fille, Kitty Langley, est artiste de music-hall, accueille sous son toit monsieur Slade, un énigmatique étudiant en médecine.

Analyse et critique


John Brahm réalise son second film d'épouvante à la Fox avec The Lodger, et après la modeste réussite de The Undying Monster (formellement brillant mais narrativement trop marqué par les conventions du sous-genre du murder mystery), il signe cette fois un grand classique du genre. Le film est considéré comme le remake du classique muet d'Alfred Hitchcock, mais il est aussi une autre adaptation du roman de Marie Belloc Lowndes et de sa vision de Jack l'Éventreur. Le roman connaîtra d'ailleurs une autre transposition, après le film de Hitchcock et avant celui de Brahm, en 1932 réalisée par Maurice Elvey et une plus tardive en 1953 signée Hugo Fregonese. The Undying Monster fait figure de brouillon dont les scories sont ici totalement absentes, avec un ensemble qui affine et transcende toute les qualités que l'on trouvait dans le film précédent : des moyens supérieurs, un script plus subtil et une interprétation bien plus intense. Et avec comme atout principal une nouvelle fois la mise en scène virtuose de John Brahm, qui appose sa marque dans une ouverture mémorable dont il a le secret.


Une vision en plongée du sinistre quartier de White Chapel baigné dans la brume nous fait observer son activité dans un sobre plan-séquence en léger panoramique où l'on accompagne différents protagonistes sortant éméchés d'une taverne. Une silhouette féminine titubante se détache du groupe pour rentrer seule et disparaît derrière une ruelle où la mort l'attend, seuls ses hurlements font partager la terreur inspirée par sa sinistre rencontre tandis que le meurtre restera hors-champ. Tandis que la ville s'agite de ce nouveau méfait de celui que l’on nomme déjà Jack l'Éventreur, Slade (Laird Cregar), un homme mystérieux, loue une chambre chez un couple de bourgeois. Celui-ci ne va pas tarder à éveiller la suspicion de ses hôtes par ses curieuses habitudes, qu'il associe à ses expériences scientifiques puisqu'il ne sort que la nuit. De plus, il semble particulièrement troublé par leur nièce Kitty (Merle Oberon) qui est actrice, soit la profession de toutes les victimes de Jack l'Éventreur. The Lodger ne commet pas la même erreur que The Undying Monster : mener l'enquête et créer un pseudo-mystère autour de l'identité d'un coupable que le spectateur aura aisément deviné (tout comme le fit Hitchcock même si celui-ci aurait préféré dissimuler le coupable jusqu'au bout dans sa version). Au contraire, la tension naîtra du malaise dégagé par la présence de Laird Cregar, fascinante figure de serial killer. Le mystère à résoudre, c'est la raison qui le pousse à tuer et le suspense naîtra des situations qui provoquent ses poussées meurtrières que nous devinons progressivement.


Ce sera d'abord la répulsion face à des figures féminines trop apprêtées et généralement associées au monde du spectacle. Découvrant des tableaux d'actrices dans sa nouvelle chambre, Slade les retournera tous avant de faire disparaître plus radicalement celles qu'il croisera dans la réalité tandis qu'il consulte régulièrement une bible massive et cite constamment les Écritures lorsqu'une séduction tentatrice lui est soumise. L'évolution du script pourrait sembler poussive au premier abord : tous les indices de la culpabilité de Slade sautent aux yeux et, malgré leurs soupçons, les personnages laissent constamment retomber leurs craintes pour une raison quelconque. Brahm mise en fait sur l'étrange ambiguïté qu’exprime Laird Cregar. Si sa silhouette massive dégage une réelle menace, son comportement timoré, sa mine apeurée et son regard perdu le définissent comme un être fragile rongé par ses démons. On découvrira la raison de sa haine des actrices qui sous-entend une sexualité perturbée et incestueuse, tandis qu'en surface le script avance un simple motif de vengeance. Elle définit en tout cas sa relation amour/haine pour les femmes ; et ce conflit se voit littéralement personnifié par le personnage de Merle Oberon dont John Brahm rend la féminité et la séduction des plus prononcées par le jeu de l'actrice (seule à être ouvertement avenante et amicale avec Slade) et bien sûr par ses tenues affriolantes avec un impressionnant défilé de robes somptueuses, sans parler des scènes de théâtre où dénudée elle se lance dans de furieux French Cancan. Le sommet sera atteint lors de la conclusion dans laquelle Slade, déchiré entre extase et dégoût, assiste à la revue de Merle Oberon, Laird Cregar exprimant alors cette douleur par un jeu intense et fiévreux.


John Brahm accompagne cette pure tension psychologique de moments horrifiques plus directs et particulièrement réussis. La reconstitution est somptueuse et le décor de White Chapel conçu par James Basevi (qui démontrera encore son brio sur les ambiances gothiques par la suite avec Jane Eyre et La Maison du docteur Edwardes) s'avère une formidable création. Brume constante, obscurité oppressante et ruelles étroites aux détours incertains maintiennent l'inquiétude en permanence sans que l'on assiste dans le détail au moindre crime. Brahm multiplie également les symboles, notamment celui de l'eau purificatrice : la main du cadavre de la première victime baigne dans une flaque tandis que Slade ira se laver dans la Tamise après chaque meurtre. Cette même Tamise constituera en définitive son tombeau lors de la conclusion. Les détails macabres allusifs sur les mutilations infligées par Jack l'Éventreur à ses victimes suffisent à susciter la frayeur, tout comme les meurtres furtifs telle cette scène en vue suggestive du tueur où Brahm reprend en plus réussi l'idée de l'ouverture de The Undying Monster. Logiquement, le formidable final s'avère bien plus inquiétant avec le sordide face-à-face entre Slade et Kitty que lors de la course poursuite qui suit, bien plus convenue. Voici donc un très grand film et une incroyable prestation de Laird Cregar, qui gagne ses éphémères galons de star avant de retrouver Brahm sur Hangover Square l'année suivante.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 11 septembre 2017