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Critique de film
Le film
Affiche du film

Héros ou salopards

('Breaker' Morant)

L'histoire

Trois lieutenants australiens, accusés d'avoir injustement exécuté des prisonniers durant la guerre des Boers, passent en cour martiale.

Analyse et critique

Héros ou salopards est un des grands classiques du cinéma australien et la mise en lumière d’une injustice militaire fameuse dans l’histoire locale. En effet, le réalisateur Bruce Beresford en découvre l’existence enfant lorsque son voisinage fait plusieurs fois référence au « Breaker » Morant qui aurait vécu dans la région. Se renseignant sur le « personnage », Beresford apprend le scandale militaire qui entoura l’intéressé et ses co-accusés les lieutenant Witton et Handcock durant la Seconde Guerre des Boers (1899-1902). Ce conflit opposait l’Empire britannique aux Boers, descendants des premiers colons néerlandais, allemands et huguenots (protestants chassés de France), arrivés en Afrique du Sud aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les deux camps se disputent les richesses en or et en diamants découverts dans le pays, cet appât du gain ravivant l’illégitimité (pourtant admise en 1852 puis 1854) de cette République d’Afrique du Sud pour les Britanniques. Un premier conflit aura lieu entre décembre 1880 et mars 1881 avant de se réenclencher en 1899. Cette guerre avait ceci de particulier qu’elle opposait l’armée régulière britannique à des paysans ou fermiers qui constituaient par leur connaissances de cet aride théâtre de combat une féroce opposition sous forme de guérilla. Les Britanniques vont donc solliciter des soldats australiens, rompus à la survie dans ces immenses territoires sauvages. Bruce Beresford mélange dans son script le fruit de ses recherches historiques avec officiellement des éléments de la pièce Breaker Morant de Kenneth G. Ross mais surtout du roman The Breaker de Kit Denton publié en 1973. Fort de toutes ces sources, le film nous introduit parfaitement le contexte tout en construisant une aussi poignante qu’implacable progression dramatique.

Un peu comme un pendant australien de Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, Héros ou salopards est davantage un film sur la guerre plutôt qu’un film de guerre. La narration entrecoupe scènes de procès et flashbacks qui viennent appuyer ou contredire les éléments discutés, et finit par dénoncer un système plutôt que ses acteurs. En représailles de la mort mais surtout dans l’affreuse mutilation d’un officier durant une expédition, Harry 'Breaker' Morant (Edward Woodward), Handcock (Bryan Brown) et Witton (Lewis Fitz-Gerald) exécutent arbitrairement différents soldats Boers ainsi qu’un prêtre. S’ils sont bien coupables de ces actes, les différentes révélations vont démontrer qu’ils agissaient sous les directives tacites du commandement britannique. Le conflit touchant à sa fin et par volonté de faire montre de bonne volonté dans les négociations de paix, nos trois accusés doivent donc servir d’exemple et être condamnés à coup sûr. Le verdict doit valider une hypocrisie et l’opacité d’un système opportuniste. Si le message et la dénonciation sont très clairs, Beresford n’en dédouane pas pour autant ses personnages.

Chacun d’entre eux est caractérisé dans une volonté d’humanisme en montrant la nature délicate et le goût pour la poésie de Morant, la bonhomie de Handcock et la jeunesse de Witton. Ce sont des attributs dont on leur demande de se défaire dans la réalité du front, puis dont on leur reproche l’absence une fois les basses besognes effectuées. La plaidoirie menée avec verve par le Major Thomas (Jack Thomson) montre ainsi les contradictions du système, les flashbacks plus ambigus démontrant la zone grise amenant les officiers à s’y complaire ou à en garder leur distance. Morant rechigne clairement à exécuter sans sommation les prisonniers Boers (les garnisons n’ayant pas les ressources pour les nourrir), s’y applique dans un premier temps à contrecœur avant de réellement nourrir une sanguinaire vengeance où les « ordres » ont bon dos. Edward Woodward est remarquable pour traduire cette ambiguïté (les larmes et la rage se lisant conjointement dans son regard), celle d’un homme fondamentalement bon amené à céder à ses bas-instincts. Les exécutions menées par les accusés sont d’ailleurs pour la plupart filmées à distance, comme un mal nécessaire mais jamais réellement exutoire - même celle en légitime défense pour Witton. La nature « programmée » du procès est aussi une manière de dénoncer le schisme et l’inégalité selon la nation du Commonwealth dont on est issu, la barbarie venant forcément des rustres d’Australie qui doivent servir de bouc-émissaires. C’est tout compte fait laisser croire que les britanniques mènent encore une guerre honorable, de « gentleman » (en opposition des Boers montrés comme des barbares) qui n’a sans doute jamais existé mais dont le mythe est souvent entretenu notamment dans les classiques du film de guerre anglais comme Les Quatre plumes blanches (en particulier la version de Zoltan Korda en 1939) ou Zoulou de Cy Enfield (1964). La réalité semble plus proche de l’assassinat froid (et une nouvelle fois filmé de loin) du prêtre Hesse, scandaleuse dans les faits mais indispensable stratégiquement.

Bruce Beresford équilibre brillamment la tonalité du film entre velléités humanistes, dénonciatrices et pragmatiques parcourant tout le spectre de la complexité d’un conflit armé. L’ensemble est captivant de bout en bout et marque vraiment les esprits par son finale brutal où l’exécution poursuit cette démarche de filmage distant, en alternant cette fois avec l’ultime point de vue des victimes, main dans la main face au peloton et un soleil levant – la cruelle ironie et l’injustice cohabitant par la seule force de l’image. C’est une œuvre majeure du cinéma australien dont l’exposition au Festival de Cannes lancera la carrière américaine de Bruce Beresford.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 22 août 2022