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Critique de film
Le film
Affiche du film

Futur immédiat, Los Angeles 1991

(Alien Nation)

L'histoire

En 1988, un vaisseau extra-terrestre transportant plusieurs centaines de milliers de Newcomers est arrivé sur Terre. Trois ans plus tard, les nouveaux arrivants se sont intégrés, et accèdent à des postes autrefois réservés aux humains.

Matthew Sykes, flic à l'ancienne qui ne voit pas ces nouveaux venus d'un très bon œil, est pris un soir dans une fusillade durant laquelle son partenaire de toujours, Bill Tuggle, trouve la mort. Pour élucider le mystère entourant le meurtre de son ami, Sykes accepte de former équipe avec Samuel Francisco, le premier extra-terrestre à accéder au rang de lieutenant de la police de Los Angeles.

Analyse et critique

Si 48 heures de Walter Hill, en 1982, avait posé les bases du buddy movie telles qu’elles seront abondamment reprises par le cinéma hollywoodien dans les deux décennies qui suivront, L’Arme fatale avait représenté, en 1987, une sorte de (modeste) apogée du genre, et les déclinaisons à venir ne pouvaient dès lors se démarquer qu’en offrant une touche de nouveauté ou d’insolite dans la composition du duo central propre au genre : en se limitant à la seule période 1988-1990, on verra ainsi le contraste naître de la concurrence entre super-flics (Tango et Cash), de la différence générationnelle (La Relève), nationale et politique (Double détente) ou de l’association entre espèces (Turner et Hooch)... Rarement inspiré dans ses péripéties (en gros, deux protagonistes que tout oppose a priori doivent faire équipe pour contrer les ambitions d’un méchant très méchant), l’intérêt du genre reposait beaucoup sur l’alchimie des protagonistes, la popularité des comédiens et une éventuelle plus-value comique.

Parallèlement, durant ces mêmes années quatre-vingt, l’intérêt déjà affirmé depuis plusieurs décennies du cinéma américain pour la question extra-terrestre s’était en partie déplacé d’une problématique de l’invasion imminente vers une problématique de la présence effective : dans E.T., Invasion Los Angeles ou Cocoon (pour citer des exemples très différents dans leurs modalités), il ne s’agissait plus tant de craindre l’arrivée des aliens que de savoir ce que l’on faisait d’eux une fois qu’ils étaient là.

À la confluence de ces deux tendances, il y a donc Futur Immédiat Los Angeles 1991 (aka Alien Nation, titre original que l'on va désormais privilégier), dont le principal mérite est, d’emblée, d’aborder le problème, habituellement éludé par le cinéma mais concrètement tout à fait central, de la cohabitation durable entre les humains et les extra-terrestres : les premières minutes du film, traitées avec efficacité, montrent ainsi comment, trois ans après leur arrivée, les aliens sont confrontés à des questions toujours très actuelles d’intégration (la ghettoïsation des quartiers, l’accès à l’emploi ou aux études, l’affirmation d’une culture propre, la mixité sociale, la représentation médiatique ou publicitaire...).

Un parallèle presque inévitable consisterait à imaginer les premières minutes du film avec des Noirs, des Latinos ou des Asiatiques à la place des aliens, manière de charger le film d’une forme d’acuité sociale, en témoignant de la façon dont le racisme ordinaire, quotidien, s’installe vite, durablement et inconsciemment dans les esprits ou les habitudes. Le personnage principal de flic bourru, interprété (dans ses pantoufles) par James Caan, est en d’ailleurs dans un premier temps un bon exemple : en l’entendant prodiguer ces horreurs à son ami et partenaire Tug (qui est noir), et en repensant rétrospectivement au parcours des Newcomers (venus sur Terre après une existence de servitude sur leur planète d’origine), on se dirait même que le film décrit quelque chose de l’étape suivante dans le cycle, éternel et désespérant, de la domination blanche, et qu’un "S-word" (Slag) s’y serait substitué au "N-word". L’analogie politique, presque méthodique jusque dans sa description d’une mise en place des quotas de "représentativité" (Sam/George est le premier Newcomer à accéder à ce grade dans la police de Los Angeles), prend dans la dernière partie du film un tour plus inattendu : certes, et évidemment, Sykes et Sam/George vont se rapprocher en apprenant à mieux se comprendre, à découvrir leurs spécificités (culturelles, humoristiques et même anatomiques), le rapprochement entre les peuples c’est formidable, etc., etc. En réalité, derrière une prime posture un peu paternaliste (Sykes qui ne cesse d’apprendre des choses à Sam/George l’ingénu - voir la scène un peu embarrassante du préservatif), se révèle un retour plus secret : ce que Sam/George apprend à Sykes, c’est que si l’entente entre leurs espèces passe par une plus grande compréhension mutuelle, elle nécessite aussi l’acceptation intellectuelle que certaines choses méritent de demeurer non-dites et non-sues. À cet égard, et malgré les apparences, le film ne promeut pas tant une assimilation qu’un développement en parallèle : ce n’est pas en se comportant comme des humains (façon William Harcourt) que les Newcomers affirmeront leur place, c’est en acceptant leur histoire et leur singularité.

Évidemment, en décrivant Alien Nation de cette manière, on risque de faire passer le film pour ce qu’il n’est pas : la parabole sociale ou la réflexion historique n’y demeurent, en réalité, qu’à un arrière-plan stimulant mais anecdotique, et la véritable nature du film, soyons honnêtes, réside plutôt du côté de la série B plaisante mais troussée à la va-vite. Dans un article écrit à la sortie du film, le critique américain Roger Ebert parlait d’un film « fait par des gens qui ont vu beaucoup de films mais ne pensent pas que le public aussi ». Cela est particulièrement perceptible dans l’écriture ou la mise en scène du film, à ce point réduites à des stéréotypes que cela en devient parfois problématique (1) : prenons quelques exemples symptomatiques. Lors de la première visite de Sykes au laboratoire, il discute avec un savant humain en blouse blanche, qui lui explique le fonctionnement des lieux. Une fois Sykes parti, la caméra s’attarde sur l’homme, qui fronce les sourcils. L’appareil amorce alors un mouvement en travelling avant pour s'approcher de lui, tandis qu’une brève ligne musicale aux tonalités sombres démarre, double effet grossier qui annule tout effet de surprise (« lui, il n’est pas net ») sans pour autant créer le moindre suspense (puisque aucun enjeu n’est alors attaché au personnage). On pourrait également citer l’intégralité du personnage de Harcourt, que l’interprétation caricaturale de Terence Stamp n’aide pas sauver : de cette convention où il est honoré au dernier rebondissement final téléphoné, en passant par la scène de meurtre de nuit sur une plage ou la réunion de malfrats avec monologue pompeux, absolument tout ce qui le concerne relève d’une paresse d’écriture assez éhontée. Dans le même article, Roger Ebert cite également une empirique "Première Loi des Noms Rigolos", qui énonce que le recours aux patronymes comiques est un signe de détresse scénaristique. On sera moins sévère que lui, non tant pour l’inventivité des "trouvailles" (Sam Francisco ou Rudyard Kipling, ça a bigrement brainstormé) que pour, là encore, la réciproque venant de la traduction du nom de Sykes dans la langue des Newcomers : pour revenir à ce que nous disions précédemment, cet exemple illustre le fait que celui qui cède à la moquerie ou au racisme, la plupart du temps, ne prend pas le temps d’envisager à quel point il peut, lui-même, aisément en être à son tour l’objet.

Plutôt sans intérêt, donc, en termes de récit comme de mise en scène, Alien Nation n’empêche pas de passer un bon moment, surtout si l'on est sensible à son charme eighties : la direction artistique rétro-futuriste, la photographie nocturne bleutée ou les maquillages élaboré par les Studios Stan Winston (sans toutefois la collaboration propre du maître) ne manquent ainsi pas d’atours. On aurait aimé y ajouter la musique, mais le score de Jerry Goldsmith fut rejeté (il en réutilisera de grandes parties pour La Maison Russie en 1990), et celui finalement conservé, signé Curt Sobel, ne marque pas spécialement l’oreille. En réalité, et en particulier pour quiconque - comme c’est notre cas - trouve dans son point de départ une source réelle de promesses, le principal problème de Alien Nation est son côté un peu frustrant, la sensation qu’il n’exploite jamais véritablement son potentiel de fond : l’anticipation, au cinéma, est un genre exaltant en ce qu’il vibre à la fois de l’actuel (ce qu’il dit d’aujourd’hui) et du prophétique (ce qu’il annonce de demain), et le film opère de façon trop sommaire et inaboutie dans les deux registres. La sensation dut être partagée, dans la mesure où une série télévisée (une unique saison de 22 épisodes) fut lancée dès septembre 1989, en se concentrant semble-t-il (nous n’en avons jamais vu une image, avouons-le) sur les aspects caractéristiques de la culture « tenctonese » des Newcomers. Les années aidant, le film a progressivement gagné une petite aura, en particulier et spécifiquement chez les amateurs de la science-fiction des années quatre-vingt : pas sûr qu’elle déborde, à terme, de ce cadre un peu restrictif, mais nul doute que les principaux concernés y trouveront un plaisir certain.

(1) Probablement parce qu’il était proche de la productrice Gale Anne Hurd, James Cameron participa aux premières séances d’écriture, sans finalement être crédité au générique - crédit dont sa filmographie n’a de toute façon nul besoin.

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La fiche IMDb du film

Par Antoine Royer - le 6 novembre 2018